Samedi 29 juin, la chaleur est écrasante. Les quelques courageux entrant sur le festival à l’ouverture des portes se réfugient directement sous les arbres, et tonnelles des bars pour tenter d’échapper aux rayons de soleil. Dans la matinée, des tuyaux d’arrosage percés ont été installés le long de buvettes pour rafraichir le public. Les bénévoles seront également aux petits soins toute la journée, venant asperger les gens et venant leur proposer des rafraichissements sans qu’ils aient à se déplacer au bar. Bref, tout est fait pour que l’on se sente bien, et les problèmes techniques sur la scène qui retarderont le festival d’environ une heure passent presque totalement inaperçus, tellement il est bon de se poser pour bavarder à l’ombre des arbres.
30000 MONKIES
Ce sont les Belges de 30000 Monkies qui débuteront les hostilités à l’abris d’une tonnelle à droite de la scène.
Beaucoup de gens les écouteront de loin, trop accablés par la chaleur, mais les membres de 30000 Monkies donnent tout ce qu’ils ont pour leur public. Leur énergie est débordante, leur rock noise très viscéral. Leurs riffs ‘’font l’effet d’une visseuse qui fait flarf flarf flarf qu’on enfoncerait dans tes oreilles’’ (Merci Alexis pour ce ressenti).
Rien n’arrêtera le quatuor, pas même la batterie mal calée sur la plateforme qui rebondit à chaque impact, ni la sangle de guitare qui lâche au milieu d’un morceau. Ruben Savelkoul, vous transperce du regard quand il hurle dans son micro.
C’est un peu comme si 30000 Monkies s’était donné pour mission de réveiller cet amas de festivaliers amorphes à coup de pelles en plein visage, et ça marche !
THE K.
C’est un autre groupe de noise belge qui suivra 30000 Monkies sous la tonnelle. Là encore, on a droit à un son bien abrasif qui met de bonnes tartes à ceux venus assister à leur concert. Le seul qui ne sera pas diffusé en direct sur la page Facebook du Rock in Bourlon, et on peut vous dire que si vous n’y avez pas assisté, vous avez manqué un moment de pure folie.
Tout est poussé à fond. Les riffs sont agressifs comme il faut. Le son est fort. Les musiciens en roue libre. Sébastien Von Landau joue en boxer et occupe tout l’espace qu’il peut prendre. Il ponctuera le set de blagues décalées sur le chocolat belge entre autres.
On le sent possédé par sa musique et il finira même le concert entièrement nu à se rouler par terre. Moyen de finir le concert en beauté et de façon surprenante et décalée, me direz-vous. Pourtant, ce n’est pas la seule surprise dont nous aurons droit aujourd’hui de sa part.
NOUVEAUX CLIMATS
C’est sur la grande scène que Nouveaux Climats prend place pour son set. Ils seront la touche d’éclectisme de ce festival avec leur musique entre groove suave et rock psychédélique hypnotisant.
Les musiciens bougent peu sur scène, mais on sent les techniciens. Rien n’est laissé au hasard. Leur son très différent des deux groupes précédents attire les curieux devant la scène. On se laisse vite transporter par leur musique qui pourrait faire office d’une bande originale parfaite pour un film de James Bond ou tout autre film d’agent secret des 60s et 70s.
Il suffit de fermer les yeux pour s’imaginer en costard au volant d’une Aston Martin lancée à tout allure sur une route à lacets déserte.
La foule se fait plus dense à mesure que leur set avance. Le public adhère totalement et se dandine au son des bongos, des synthés et effets sur le son de la guitare. On voyage. On se sent décontracté, léger. On en oublie les rayons de soleil qui nous brûlent. Et lorsque le concert s’achève et que l’on sort de l’état de rêverie dans lequel Nouveaux Climats nous a plongé, on en redemande encore.
WYATT E.
Il semblerait que le public du Rock in Bourlon aime les voyages musicaux. Après le voyage dans le temps que nous fait faire Nouveaux Climats, c’est un tout autre voyage vers des contrées plus chaudes que Wyatt E. nous propose.
Plus haut, on vous disait que Sébastien Von Landau était un garçon plein de surprises … La preuve avec Wyatt E. Le leader de The K. qui avait fini nu comme un ver se retrouve alors sur scène vêtu d’une sorte de burkha à tentacules, plaçant le groupe dans une sorte d’univers Lovecraftien oriental, très étrange.
Le groupe mêle sonorités orientales envoutantes et riffs lents et saturés nous emportant avec eux dans leur monde magique quelque peu inquiétant. Il suffit de fermer les yeux pour que notre esprit se mette à vagabonder. D’ailleurs, beaucoup de gens dans le public semblent transportés par la musique, se déhanchant lentement en rythmes, les yeux clos.
Leur son, comme leurs costumes, a quelque chose de tentaculaire. On se sent happé par les profondeurs de leur musique qui nous amène dans des contrées imaginaires lointaines. La chaleur qui règne à Bourlon en ce 29 juin colle parfaitement à la musique. Il ne manque qu’un coucher de soleil sur les dunes pour que le cadre soit parfait.
Aucune communication avec le public pour ce set, mais elle n’est pas nécessaire. La musique parle d’elle-même et les mots risqueraient de rompre la fine membrane musicale qui nous sépare du monde réel.
RUFF MAJIK
Retour sur Terre (ou presque) avec Ruff Majik. Les Sud-Africains arrivent sur scène tous sourires pour nous mettre une belle claque avec leur musique mêlant influences fuzz, sludge, doom et stoner.
La voix éraillée de Johni Holiday est puissante et fougueuse. On sent une énorme complicité entre les membres du groupe et ils n’hésitent pas à la partager avec la foule qui se déchaîne à l’avant de la scène. Benni Manchino à la batterie ne cessera de sourire. Jimmy Glass descendra de scène pour s’approcher des barrières et être plus prêt du public.
Une belle osmose se crée très rapidement entre le groupe et le public. Il faut dire que les trois Sud-Africains envoient sévère. On n’a pas affaire à un groupe de stoner lambda, loin de là. Ruff Majik nous emporte avec leur riffs magiques (oui… mauvais jeu de mots indispensable). Ce sont de grands magiciens du mélange des genres. Ils nous mettent une pincée de heavy-stoner à soli de virtuoses par-ci, des riffs plus saturés et agressifs tirant sur le black metal par-là, le tout saupoudré de sonorités plus doom et psyché. Il n’est pas forcément aisé de mélanger les genres sans que le tout ne soit totalement indigeste. Mais Ruff Majik le fait avec brio !
Malheureusement, les concerts ayant commencé une heure plus tard que prévu, ils devront écourter leur set. Mais cela ne les aura pas empêchés de mettre la foule sens dessus dessous. Le feeling est bien passé, on en redemande. Johni annonce qu’ils viendront boire des bières avec le public avant d’entamer leur dernier morceau ; ce qu’ils feront pour le reste de la soirée, se mêlant à la foule pour profiter des concerts et bavarder.
BO NINGEN
On continue notre tour du monde musical avec les Japonais de BO NINGEN. Là encore, on a droit à un groupe dont les influences sont très éclectiques musicalement et même vestimentairement parlant. Les tenus des membres du groupes ne montrent aucune cohésion. Seul point commun leur longue chevelure noire qui en fera jalouser plus d’un(e).
Les musiciens sont fougueux et totalement transportés par leur musique. La gestuelle et le physique androgyne très particuliers du leader du groupe a un côté hypnotique.
BO NINGEN est à la croisée des cultures avec des sonorités provenant des quatre coins du monde. On y retrouve une basse très groovy, une rythmique batterie rock’n’roll, des samples et une voix dont les influences nipponnes sont indéniables. Mais contrairement à Ruff Majik, le mélange des genres ne prend pas tout à fait. C’est Ni Bo(ningen), ni mauvais (Je ne sais pas si je dois remercier mon acolyte Simon pour ce jeu de mot douteux). Certains morceaux sont entraînants, et leur côté expérimental intéressant et poignants. Mais la cacophonie prend bien trop souvent le dessus sur l’expérience musicale.
Bref, on aime ou on n’aime pas, mais ce qui est sûr c’est que BO NINGEN est un groupe qui a un son très personnel et inimitable. Ils font partie de ces curiosités musicales qui ont le mérite d’exister et qui font de la musique un art si vaste à explorer. Leur show aura attiré beaucoup de monde et même si les avis divergent dans le public, rares sont ceux qui les auront écoutés d’une oreille distraite. Leur musique et leur présence scénique ont pouvoir magnétique et n’aura laissé personne indifférent.
ÅRABROT
Les Norvégiens d’Årabrot entrent sur scène l’un après l’autre sur un morceau très lyrique de Klaus Nomi. Derrière eux, l’écran blanc s’est orné de leur logo qui fait penser à une sorte de vulve aux dents acérées. Avant de commencer à jouer, Kjetil Nernes positionne ses mains au-dessous de son front comme pour scruter l’horizon, son regard passant bien au-dessus de la foule à ses pieds. Cette attitude colle parfaitement à son costume de prédicateur pionnier. Il refera ce geste très souvent lors du set comme pour voir si ces paroles ont bien été entendues, même au-delà des frontières du festival.
Son accoutrement peut paraître étrange, mais plus qu’un costume de scène, ces vêtements ont un côté très symbolique. En effet, Kjetil Nernes a échappé à un cancer virulent quelques années plus tôt, et leur dernier album, The Gospel, est une sorte de prêche et d’exutoire, après avoir traversé une période sombre et douloureuse. Kjetil Nernes, nous prêche une leçon de vie et un renouveau avec sa musique.
Leur musique que Kjetil qualifiera de new rock à la fin de leur concert a bien des influences rock, voir punk dans les riffs de guitares. Les synthés apportent un côté plus psyché et expérimental à leurs morceaux et les vocalises et chœurs, modifiés par différents effets, de Karin Park apportent un aspect assez étrange et dénotent d’une certaine fragilité qui contrebalance à merveille la voix rauque et puissante de Kjetil qui crache ses questionnements philosophiques avec rage et violence.
Le public boit les paroles du leader charismatique d’Årabrot et se déchaîne au rythme de la musique. La dernière chanson du groupe part dans tous les sens et communique une sorte de frénésie à la foule qui slame dans tous les sens. Une belle performance pour Årabrot qui aura bien chauffer l’audience avant le live très attendu de Corrosion of Conformity.
CORROSION OF CONFORMITY
Les membres de Corrosion of Conformity sont arrivés assez tôt sur le site du Rock In Bourlon et tiennent absolument à jouer à l’heure prévue, tronquant les performances des groupes précédents.
Le festival est synonyme de petite pause sympathique dans leur tournée fêtant les 25 ans de leur album Deliverance. On aura croisé un Pepper Keenan très détendu, qui avait plus envie de faire des photos débiles avec mon énorme chapeau à fleurs que de répondre aux questions de l’interview…
Bref, le groupe mythique se sent quelque peu en vacances mais cela ne les empêchera pas de nous offrir une prestation très carrée et professionnelle. Comme pour les autres live de la tournée, le groupe jouera sept morceaux de Deliverance et quelques autres chansons de leurs autres albums. Le set-list diffère selon les concerts, et selon les envies du groupe. D’ailleurs Pepper Keenan lâchera un ‘’Tais-toi’’ en français, destiné aux gens du public lui réclamant de jouer tel ou tel morceau.
La foule est très dense. Les photographes s’amassent dans le pit photo. C’est sûrement la prestation la plus attendue du festival. L’énergie est là, la complicité entre musiciens et les sourire de Pepper Keenan au public aussi. On a droit à live tout en puissance et sans accrocs avec tout de même quelques notes d’humour. On se souviendra de Pepper criant ‘’Who’s got the fire ?!’’ au public, allant chercher le photographe sur scène pour lui demander comment le dire en français, essayant de prononcer ‘’Qui a le feu ?!’’ mais n’y parvenant pas, laissant le photographe le dire à sa place.
Tous les éléments sont réunis pour un bon concert, mais le côté très calculé de la performance manque un peu d’âme, surtout avoir vu tant de groupes hors du commun tout au long de la journée.
COILGUNS
L’espace devant la scène de désemplit rapidement après le concert de Corrosion of Conformity, comme si pour beaucoup de festivaliers, aucun groupe ne pourrait clôturer aussi bien ce festival. Mais quel tort tous ces déserteurs ont-ils eu !
Il est vrai que la musique de Coilguns n’est pas forcément accessible à toutes les oreilles et que leurs lives se transforment vite en un champ de bataille où il ne faut pas avoir peur d’être assommé, léché, embrassé, câliné ou mordu par Louis Jucker. D’ailleurs, les membres du staff s’occupant de la sécurité aux barrières qui s’étonnaient de devoir être quatre pour le dernier concert alors qu’ils avaient été seul ou deux maximums pendant tout le festival ont très vite compris pourquoi ils auraient besoin de renforts !
L’installation sur scène est un peu longue mais le concert de Coilguns démarre sur les chapeaux de roues. Dès les premières notes, Louis Jucker passe du stade d’être humain en une sorte de pantin désarticulé possédé par un esprit démoniaque faisant tout pour sortir de son corps, trop petit pour lui. Il occupe toute la scène, se déchaînant au son de la musique, grimpant sur les retours, la batterie, faisant mine de prendre son élan pour se jeter dans la foule avant de s’arrêter net.
Donatien Thiévent, s’agite lui aussi à l’arrière de la scène et viendra plusieurs fois accompagner Louis dans ses frasques scéniques. A gauche de la scène, Jonathan Nido nous assomme de ses riffs agressifs, caché sous sa chevelure. Il est dans sa bulle semblant faire totalement abstraction de ce qui se passe autour de lui. Luc Hess, quant à lui, semble imperturbable derrière sa batterie. Il a tendance à passer un peu inaperçu caché derrière ses acolytes qui retournent le scène, mais celui qui se concentre sur son jeu, ne peut qu’être impressionné par sa technique. Pas besoin de grand mouvement, chacun de ses gestes est rapide et précis. Son jeu ne nous laisse aucun répit et nous martèle les chansons en tête.
Très vite, Louis se jette une première fois dans la foule, y piquera un téléphone portable qui passera par sa bouche avant de valdinguer à l’autre bout de la scène. Le chanteur est aussi très communicatif avec son public qui l’imite dans le pit, transformant la place de l’Abreuvoir en un immense bordel. Il remercie la foule d’être venu les voir et de rester pour leur concert tardif, ainsi que les organisateurs et bénévoles du Rock in Bourlon avant d’entamer ‘’Millennials’’ un des titres phare de leur album éponyme.
Louis, se jette à nouveau dans la foule pour ce morceau, slame tout en hurlant les paroles d’un bout à l’autre de la place, obligeant le staff à tirer des mètres et des mètres de câble. Il revient sur scène en reprenant son souffle, avant de remercier le public à nouveau : ‘’On a été reçu ce soir comme des stars qu’on n’est pas depuis très longtemps, ou qu’on ne sera pas avant un bon moment, à part pour des espèces de freaks dans votre genre. Merci à vous. Restez étranges et à foutre le bordel.’’ Coilguns enchaîne avec ‘’Commuters’’, une chanson datant de leurs débuts.
On aura également droit à un nouveau morceau qui figurera sur leur prochain album. La minute promotionnelle de Louis s’éternise. Il entre dans un discours un peu fou qui sera stoppé par les premières note de ce nouveau titre. Après, cette découverte, Coilguns jouera encore deux morceaux. Le groupe se déchaîne ‘’Self Employment’’. Donatien vient partager le devant de la scène avec Louis. Jona sort de sa bulle et se joint à leur défoulement. Il fini au sol à jouer avec ses pédales à effets. Louis finira le dernier morceau dans le public.
Le set du quatuor suisse semble avoir passé à une vitesse fulgurante. On en ressort épuisés mais heureux. Leur musique sombre et occulte, a un aspect très cathartique et nous pousse à sortir de nos carcans pour les accompagner dans leur transe. Les membres du groupe, reviendront passer un peu de temps avec le public pendant qu’ils remballent pour papoter et faire des câlins. Une petite touche de tendresse après ce set d’une violence rare. Rien de tel pour bien finir un festival.
Le Rock in Bourlon aura tenu toutes ses promesses. Une programmation éclectique de qualité avec de belles découvertes et des concerts époustouflants. Une ambiance détendue. Des bénévoles aux petits soins. Une organisation sans faille. On en repart pressé d’assister à la dixième édition !
Article et photos: Eloïse Morisse