Entretien avec Euryale de RàGARàJA

A l'occasion de la sortie du nouvel album de RÃGARÃJA, nous avons pû nous entretenir avec Euryale, chanteur du groupe. Retour sur la composition de ce nouvel opus et surtout sur l'histoire du groupe.

La Grosse Radio : Nous aimerions tout d'abord savoir qui est Rãgarãja ?

Euryale : Cinq personnes qui ont choisi d’incarner en musique de la colère froide, mûrie, réfléchie et de l’encapsuler en format mp3. Le but c’est vraiment ça, mettre la rage au ventre, motiver les gens. On a envie d’être une sorte de thérapie de renforcement personnel qui s’écoute au casque. T’es dans le métro, tu mets du RÃGARÃJA, ça t’enveloppe dans une armure sonore impénétrable et tu veux bouffer le monde. D’un autre côté on a aussi fait un album long pour que les gens puissent se poser et prendre le temps de l’apprécier sereinement, allongés sur un lit les yeux fermés. Niveau historique, je suis à la base du projet depuis 2014, avec Fabien (basse) et Stanislas (guitare). Au début on devait poursuivre l’aventure DACRYMA, mais au final j’ai lâché le poste de guitariste, pour occuper celui de chanteur pour ne plus être « dépendant » comme je l’étais dans DACRYMA et j’ai eu envie de repartir de zéro. Du coup Chris (guitare) nous a rejoint rapidement pour remplacer Emilio, puis Léo (Batterie) nous suit depuis plus d’un an. On a eu beaucoup de mal à trouver le gars idéal à la drum, malgré des batteurs très cools (Cyril de chez Serenius, ou Félix Faviez par exemple) c’est un peu le poste maudit chez RÃGARÃJA. Aujourd’hui Léo est à fond dans le projet et c’est une vraie complicité musicale qui s’est créée. Du coup là on repose sur une base solide et saine. Le projet est parti pour durer, on n’est clairement pas parti pour être éphémère dans le paysage musical français et tout va s’accélérer.

D'où vient le nom du groupe ?

D’une recherche wikipédia. Ce n’est même pas une blague. Je sortais de l’hopital suite à un ratage sur un tournage, j’avais loupé les matelas après une chute de quatre mètres de haut à plat (oedeme, hémorragie cérébrale, coma artificiel etc). Durant mes deux semaines là-bas ma petite amie de l’époque m’a offert une statuette d’une divinité Japonaise « Fukurokuju », elle devait me porter chance. Quand j’ai été mieux et que j’ai pu reprendre la musique, j’ai voulu reprendre ce nom, mais il était trop long, et ne collait pas vraiment au concept musical. J’ai donc cherché un peu sur wikipédia un peu d’inspiration dans les mythologies asiatiques et Rãgarãja a retenu mon attention. C’est le roi des passions dans la religion bouddhiste tibétain, est considéré comme une forme irritée de Vajrasattva (autre divinité dite « être de diamant ») dans le bouddhisme tantrique et il aborde plusieurs symboles qui collent bien avec notre musique, notamment le Vajra qu’on a repris dans notre blason, en utilisant deux vajras croisés dans un hexagone. Le Vajra a plusieurs sens, c’est symbole polymorphe. C’est une arme divine qui s’est refermée pour devenir un symbole de colère contenue dans l’hindouisme. C’est également quand on croise deux vajras dans le bouddhisme, un symbole de l’action efficace par l’excellence, c’est également un symbole dans le vœu de la libération individuelle, et de l’aide autrui sur le chemin de l’éveil.

Vous venez de sortir votre premier album, comment s'est passé l'enregistrement ?

Contrairement au premier EP mixé et mastérisé par Amael Durand (Novelists), on a fait le choix de travailler le son par nous-mêmes, et donc de gérer l’enregistrement, le mixage et master. On a passé deux ans sur l’album et je pense que le mixage a dû nous prendre facilement un an. On voulait quelque chose de « dur », avec pas mal de dynamique, beaucoup d’impact sur les drums, des voix organiques, des guitares certes carrées mais une texture saturée qui ne soient pas « clinique » donc un peu différente des prods djent du moment. Une sorte de mélange froid et organique à la fois. Je trouve qu’on n’a pas trop mal réussi l’exercice, et que le son colle bien avec le visuel de la pochette.

Vous ouvrez l'album avec un intro apaisante qui créée tout de même une sorte de tension. Tu peux nous en dire plus sur ce début d'album ?

(Rires) C’est vrai qu’elle peut être apaisante d’un certain point de vue, pour se tendre petit à petit. On voulait surtout faire un album qui démarre avec une bonne intro, une belle mise en bouche. Les grandes tables commencent toujours avec une belle mise en bouche, et bon nombre de grands albums ont une intro mémorable. C’est comme les préliminaires, quand c’est bien fait en général tu sais que tu vas passer un bon moment. L’intro c’est sensé te réveiller, t’attraper, t’immerger, puis te libérer. C’est Fabien (bassiste) qui l’a intégralement composé et je trouve qu’il a sacrément bien réussi l’exercice. C’est aussi d’ailleurs lui qui a composé le premier morceau « Premier Souffle », j’ai juste eu à poser les paroles. J’ai profité du fait qu’il allait devenir papa au moment de l’enregistrement pour faire un texte en me mettant à la place d’un enfant qui vient de naître. J’aime beaucoup les symboles et c’était important pour moi. Puis après tout sur le premier EP j’avais composé tout seul l’intégralité des chansons, là c’est différent, Fabien a composé l’intro, le premier morceau, j’ai proposé les autres morceaux, on a tout retravaillé ensemble, c’était plus un travail de groupe, donc c’est une vraie « naissance » d’un projet à plusieurs, l’accouchement a été pas mal douloureux vu qu’on avait choisi de pas avoir d’ingé son pour faire la sage-femme.

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Vous avez fait le choix de chanter en français (bon résultat au passage), pourquoi ?

Parce que j’ai un accent anglais ignoble (rires). Pour le coup c’est une question de sincérité artistique. Pour moi ta langue maternelle te forge. Une langue complexe avec beaucoup d’exceptions, forgera des personnalités différentes qu’une langue simple et efficace forgerait. Pour moi la langue construit tellement ta personnalité que pour exprimer ton art (qui est quand même directement lié à ta personnalité) tu dois utiliser ta langue maternelle. Je suis fier d’être français, de notre culture, de notre histoire, et sans être nationaliste je trouve que c’est important en tant qu’artiste de contribuer à notre culture et à son identité. Je n’ai pas envie que les seules musiques francophones soit de la variété française moderne avec des textes odieusement pauvres tant sur le plan technique que sur la profondeur des messages qui sont transmis. Il y a peut-être une mission derrière ce choix de chanter en français.
C’est aussi un vrai choix esthétique, on travaille beaucoup sur le vocabulaire, les images, sur la texture du cri, le choix des mots est vraiment essentiel. Le but c’est de faire aimer le metal francophone à ceux et celles qui pensent que l’herbe est plus verte ailleurs, que le français n’est pas une langue musicale (non mais sérieusement on crie comme des damnés c’est quoi le rapport avec la musicalité ?) ou que -je cite- ça fait « pas pro ». Rammstein a reussi à la fois dans le style et par leur langue, à incarner leur pays dans la musique metal, j’ai envie un jour qu’un groupe soit capable pour le reste de la planète d’incarner la France dans la musique metal. Je pense pas que ce soit encore le cas et les seuls qui pourraient y prétendre aujourd’hui sont les Mass Hysteria.

Vous mélangez du metal progressif, du metalcore avec un air de rap, on ne se trompe pas ?

Oui, c’est un peu ça, c’est une sorte de metal moderne. Je ne suis vraiment pas à l’aise avec les cases et sous-genres. Je suis très peu renseigné en la matière. Je dirais qu’on fait du metal, ou du djent qui sont des catégories plus larges. Quand je compose je ne pense pas aux codes d’un des sous-genres. Je suis un peu autiste sur ça, j’écoute au final très peu de metal dans mon temps libre. On a mis en place une formule simple : du riff (technique sans que ce soit une avalanche de notes dont on ne retient rien), de la guitare clean en ambiance, des voix saturées, du français, de la drum bien remuante. Pas de règles en matière de structures, de métrique, ou d’accordage. Après vous parlez d’un « air de RAP » mais RAP c’est l’acronyme de « Rythm And Poetry », soit du rythme et de la poésie. Au final si tu prends au premier degré le nom RAP, et que tu écoutes Rãgarãja, il y a un rythme plus que soutenu, et des textes extrêmement lyriques, poétiques. Bref on fait du RAP à notre façon, donc plutôt du « Rage and Poetry ».

Vous avez sorti un clip pour le morceau "Chrysalide", pourquoi avoir choisi ce morceau en tout premier single ? Vous avez l'intention de sortir un autre clip ?

"Chrysalide" n’est pas le premier single  de l’album mais je trouve qu’il était important qu’il porte l’album, c’est un morceau condensé de notre personnalité, très varié en peu de temps et il traite le thème récurrent de l’album à savoir la liberté. En fait, pour résumer la démarche, on a sorti un clip en mai dernier pour le morceau "Vagabond" pour annoncer l’album, puis on a sorti "Chrysalide" pour présenter et porter l’album, et on finira sur "Egosphère". On a choisi ces trois morceaux car ils forment une boucle. "Vagabond" c’est la liberté par l’errance, "Chrysalide" c’est la fuite et la recherche de la liberté par le refuge, par l’immobilisme et "Egosphère" c’est la libération de nos refuges, de nos égos qui sont aujourd’hui des égos numériques. Peut-être que ce ne seront pas les seuls morceaux de l’album qui auront un clip. J’ai très envie de tenter des choses, donc à voir.

Et quelles sont vos inspirations en règle générale ?

Le désespoir, la mort, les psychopathes, les bébés écorchés... (rires) Non je déconne. Perso pour écrire, je puise souvent mon inspiration dans les transports en commun, les gens y sont fascinants, et remarque parfois c’est un peu le désespoir, la mort intellectuelle, et tu peux même y croiser des psychopathes (et très rarement les bébés écorchés). Sinon côté inspiration musicale, chaque membre du groupe a ses propres influences et c’est sacrément varié, on a tous des préférences très différentes en matière de metal. Y a pas vraiment de « référence » parce que concrètement aucun groupe ne fait ce qu’on fait, mélanger du français, de la poésie, dans ce style de metal là. Du coup prendre une référence sur laquelle se baser c’est compliqué. C’est avant tout le concept qui nous réunit et qu’on essaie de rendre inspirant en gardant une approche naïve pour éviter de faire ce que d’autres ont déjà fait (et surement mieux que nous). On ne prétend pas qu’on est des innovateurs de génie, mais en tout cas c’est dans notre volonté de faire quelque chose qui n’existe pas.   

Quels sont les projets à venir pour Rãgarãja ?

Déjà conquérir la France avec cet album. Faire sortir les gens de chez eux pour se réunir autour de notre musique. Et surtout, faire aimer le metal en français. Mais ce ne sont pas des projets, plutôt des missions, l’art en tant que tel est plus une mission qu’un projet. Les projets sont là pour rendre concrète notre mission. Evidemment, on va continuer à sortir des clips, on se projette même déjà une prochaine sortie pour fin 2020. On a fait la démarche cette année d’organiser une diffusion pour notre clip « Chrysalide » pour en faire quelque chose d’humain, de vivant, avec du monde pour boire, en bref essayer d’ancrer le plus possible notre existence dans le réel et d’accompagner chaque sortie virtuelle avec quelque chose de réel, en « dur ». 

Des dates de prévues en France ?

On a prévu de retourner le Bus Palladium le 1er novembre. Le Chaudron le 21 décembre. Et en 2020 on organise les dates progressivement pour faire une tournée.

Pour finir, comment qualifieriez-vous votre musique ?

C'est de la poésie aussi élégante que bruyante. Mais chacun peut avoir sa propre approche donc je vous invite à vous faire votre propre idée avec notre dernier clip « Chrysalide ».



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