Une Misère – Sermon

Au coeur des terres instables d’Islande, là où la nature s’exprime dans sa forme la plus violente et élémentaire, est née il y a quelques années un quintette remarquable portant un nom qui aurait parfaitement pu trahir des origines françaises. Le groupe Une Misère a beaucoup fait parler de lui ces deux dernières années et semble avoir totalement dérogé à la règle de l’ascension lente. Il fait partie de ces quelques exceptions qui ont su profiter d’une propulsion fulgurante sur l’avant de la scène et bénéficient aujourd'hui d’opportunités plus qu’alléchantes parmis lesquelles, dans le cas d'une Misère, on peut compter des tournées avec Arch Enemy ou Fallujah.

Se pose alors évidemment la question de la légitimité car, vous en conviendrez, une popularité explosive n’est pas toujours gage de qualité. Le 1er novembre 2019, sous la bannière Nuclear Blast, l’autoproclamée « formation la plus violente d’Islande » nous a offert Sermon, un album ambitieux qui tient largement les promesses émises par son premier single et titre éponyme. Alors, qu’en est-il ?

Une Misère - 2019

Avec des groupe comme Loathe ou Void of Vision, Une Misère s’inscrit dans un mouvement de renouveau du metalcore qui tente de raviver un genre à bout de souffle en puisant dans des influences qui sortent du champ de l’évidence, pour éventuellement en détruire les carcans. Difficile pourtant de réduire Une Misère à la seule étiquette du metalcore tant la formation excelle dans sa quête d’exclusion des frontières atrophiant les genres et leur expression.

Dans les douze tableaux de Sermon, le groupe convoque l’esthétique glaciale et désolée de sa terre natale afin d’en étaler l’inhérente hostilité. Loin de l’image idyllique d’une Islande qui ne cesse d’emplir l’imaginaire touristique, les membres d’Une Misère ont choisi d’en dépeindre la triste réalité, de la contracter dans une oeuvre officiant comme violente catharsis. Bien que le chemin soit tortueux et abrupt, la descente aux Enfers que propose le groupe est tout de même subtile. Elle est parsemée d’idées certes loin d’être nouvelles, mais investies de manière si judicieuse qu’elles tendent à la rendre enrichissante.

Ainsi, des bends et glissés qui ne sont pas sans rappeler les phrasés démembrés et excessivement agressifs de Car Bomb viennent jalonner les parties de guitares de "Sermon", "Failures", ou encore  "Burdened - Suffering". Des motifs électroniques sortis tous droits du trépas donnent une dimension nouvelle à la violence qui s’élève hors du champ de l’organique et devient encore plus massive et déstabilisante, comme en témoigne "Beaten" et ses effets larsen insoutenables.

Les Islandais ne boudent cependant pas leurs origines et se permettent d’en tirer les meilleurs éléments en faisant volontiers référence au black metal nordique. Blast-beats et tremolo picking inspirés du black le plus pur installent çà et là des moments de grave mélancolie qui transperceront sans doute le coeur des plus sensibles et fissureront celui des plus hermétiques. "Fallen Eyes" en est d’ailleurs le parfait exemple, car s’il y a une chose à retenir de ce Sermon, c’est sa capacité à convoquer des émotions tout à fait variées, voire même inattendues.

Une Misère - Sermon

La colère ainsi que la détresse inhérentes à la voix de Jón Már Ásbjörnsson vernissent les compositions d’une teinte froide comparable à celle brandie comme un étendard par les groupes de post-black metal. Les multiples blast-beats vont également dans ce sens et n’ont rien à envier à un Wiegedood ou un Der Weg Einer Freheit. Les breakdowns, de leur côté, se chargent de raidir la violence entretenue par le groupe à chaque instant. Sous ces lourdes dalles d'aggressivité qu'Une Misère s'évertue à poser gît en réalité un panel d'émotions sincère et loin du cliché traditionnellement attribué au metalcore.

Bousculé par les changements de rythmes, les hurlements quasi incessants et la lourdeur de ton des guitares, l’auditeur n’a pour échappatoire que quelques moments de silence, telle que l’interlude intitulée "Offering", implémentés avec parcimonie pour mieux frapper ensuite. Trente-six minutes de violence suffisent ainsi à Une Misère pour asseoir son autorité sur les scènes metalcore et hardcore.

Évidemment, tout ne relève pas du génie dans cet album. Certaines phrases musicales ou idées de composition sont presque épineuses tant elles ont été pressées, réutilisées et quasiment épuisées.  "Sin & Guilt" et "Sermon" sont loin de transcender les limites du jamais-vu, par exemple. Mais Une Misère parvient toujours à retomber sur ses pattes en juxtaposant ces banalités avec d’autres schémas plus élaborés ou originaux dans leur manière d’être employés. Toutefois, une question vient à subsister : celle de la longévité de cet album. Car s’il regorge d’inventivité et brasse de nombreuses influences, rien ne garantit réellement sa durabilité. S’inscrira-t-il dans le cercle des albums qui permettront le bouleversement du metalcore ou tombera-t-il avec ses semblables comme une tentative d’innover rapidement oubliée ? Le temps donnera sa réponse.

Quoiqu’il en soit, Une Misère nous partage une oeuvre violente, riche en émotions, qui brasse habilement de multiples influences, et enveloppe le tout dans une production aux petits oignons. En somme, c’est une belle aventure pour quiconque cherche de nouvelles sensations en terme de core. Ce genre de sorties sont d'ailleurs très encourageantes pour le futur de Nuclear Blast, car il semblerait que la tendance à l’uniformisation qui sévissait chez le label allemand s’estompe peu à peu pour laisser émerger de nouvelles têtes très prometteuses. Affaire à suivre.

Tracklist :

1. Sin & Guilt
2. Sermon
3. Overlooked // Disregarded
4. Burdened // Suffering
5. Fallen Eyes
6. Beaten
7. Grave
8. Failures
9. Damages
10. Offering
11. Spiral
12. Voiceless

 

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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