C'est dans un Trianon complet que les Suédois de Cult of Luna se produisent ce soir pour la tournée européenne dédiée à leur huitième album, le magistral A Dawn To Fear. L'impatience est à son comble, la mystérieuse formation post metal se faisant plutôt rare dans l'Hexagone. Récit d'une soirée d'exception, marquée par une splendide prestation de Cult of Luna, soutenue par des premières parties de qualité avec A.A. Williams, figure montante de la scène dark rock britannique, et le phénomène Brutus, énergique trio belge post / hardcore en passe d'atteindre les sommets.
A.A. Williams
L'artiste britannique A.A.Wiliiams était encore inconnue il y a un an, mais a déjà fait forte impression dans le milieu, la preuve en est cette tournée avec Cult of Luna, une précédente avec The Sisters of Mercy ou encore une collaboration avec les Japonais de Mono. Forte d'un premier EP sorti en janvier 2019, A.A. Williams séduit par son folk / dark / post rock teinté de ce petit quelque chose que nous appellerons de l'émotion et de la puissance à l'état pur.
Le set d'A.A. Williams débute dans une ambiance élégante et feutrée, à coups de cordes de guitare effleurées et d'envolées aériennes du chant de la jeune femme à la présence calme et troublante. La batterie, subtile au début, accompagne une montée en puissance avec la basse bien équilibrée. Les compositions très personnelles d'A.A. Williams se caractérisent souvent par le basculement de passages mélancoliques et sensuels vers un shred de guitare sublime, joué sans broncher par la maîtresse de cérémonie, tel un cri d'angoisse qu'elle accompagne en harmonie de son chant maîtrisé.
Difficile de ne pas se retouver happé par l'intensité des intros très atmosphériques portées par de la réverbération et des effets bien dosés, le trio étant mis en valeur par de beaux jeux de lumières. Les morceaux se font tantôt feutrés, tantôt inquiétants, et A.A. Williams montre aussi une force et une puissance indéniable dans certains passages très rock et extrêmement techniques, que ce soit à la guitare ou au synthé (ou en jouant des deux instruments en même temps, tout en chantant !).
Il y a de la puissance mais ce n'est pas en force que l'artiste convainc, mais dans la subtilité et l'authenticité de l'expression. C'est solennel et envoûtant, très technique sans gros riff, lancinant sans être glauque. Les applaudissements chaleureux du public du Trianon viennent saluer cette prestation convaincante et immersive d'A.A. Williams, une artiste à suivre de près.
Brutus
Petite satisfaction de la soirée : assister à un passage de témoin entre deux frontwomen sur la scène d'un concert de rock / metal d'importance. A.A. Williams range elle-même son matériel pendant que les membres de Brutus s'installent sur scène, la batteuse / chanteuse Stefanie Mannaerts au soundcheck et à l'assemblage des fûts. Quand la parité devient norme …
Un petit cœur est dessiné sur la caisse claire de la batterie placée à l'avant droit de la scène, et pourtant ne vous y trompez pas : d'emblée, Brutus va frapper très très fort avec l'énorme "War", repris en choeur par le public, marqué par le chant si puissant de Stephanie qui impose, après le crescendo plutôt ambiant, une vraie explosion rythmique derrière les fûts.
Que ce soit sur le groovy "Cemetery" ou le très punk "Drive", sur le redoutable "Space", l'énergie du trio est palpable, les riffs prenants de Stijn Vanhoegaerden à la guitare et la ligne de basse ravageuse de Peter Mulders font mouche.
Le public, séduit, chante, hurle, saute à en faire trembler le parquet du Trianon. Le chant de Stefanie impressionne, tantôt déchirant, tantôt doux. Le mix très correct donne la part belle à la chanteuse tout en mettant bien en valeurs les riffs implacables, groovy et surpuissants à la guitare et à la basse.
Les musiciens font preuve d'une belle complicité sur scène, et on assiste ici à un show impressionnant du trio belge, convaincant dans l'énergie, la fraîcheur, et le rythme effrené des compositions uniques.
Le trio, acclamé par le Trianon enflammé, quitte la scène après quelques humbles mots de remerciement en guise de conclusion à ce set explosif et magistral.
Setlist Brutus :
- War
- Cemetery
- Horde II
- Drive
- Space
- Justice De Julia II
- Techno
- Baby Seal
- Sugar Dragon
Cult of Luna
L'excitation est à son comble, dès l'installation du décor pour le set de Cult of Luna. On est déjà dans l'ambiance avec de grands draps hissés sur des mats penchés en guise de backdrop , imitant des voiles de bateaux éclairées et mises en mouvement. Le décor énigmatique est planté, les nombreux instruments placés (sept musiciens en tout composent le collectif Cult of Luna, avec notamment trois guitaristes et deux batteurs) , une épaisse fumée lancée, inondant la scène et une bonne partie de la fosse … le concert peut commencer.
Quelle entrée en scène impressionnante avec le premier titre, "The Silent Man", issu du dernier opus A Dawn to Fear ! Cet énorme morceau magique et lancinant résonne fort dans le Trianon, avec chacun des instruments parfaitement audible, et un engagement impressionnant de la part de tous les musiciens sur scène. Les riffs sont louds, les synthés atmo au possible, la rythmique intense et pesante pour accompagner le cri de Johannes Persson, maître de cérémonie et leader sans visage qui tient le devant de la scène, à contrejour, assurant à la guitare et au scream.
Le public headbangue, les yeux fermés, comme en transe, que ce soit sur l'épique "Finland" ou sur le splendide "I : The Weapon", irrésistible, lourd et très marqué par les synthés de Kristian Karlsson, lui-même arborant un air inspiré et agitant volontiers la tête, ou sur "In Awe Of", très fort avec des cris énormes de Johannes. Le fait que le public ne distingue que les silhouettes des musiciens, dans une nébuleuse de lumières et de fumée, rajoute à l'ambiance énigmatique et puissante de la soirée. Sur certains morceaux, un batteur assure derrière les fûts, sur d'autres, ce sont les deux : Magnus Lindberg et Thomas Hedlund se livrent alors à des mouvements à la chorégraphie hypnotique, imposant un rythme lancinant dans la salle.
Le concert de ce soir semble construit comme un spectacle à la narration travaillée. La setlist est équilibrée, avec des titres issus de trois albums seulement, de Vertikal I&II (2006) à A Dawn to Fear (2019) en passant par Somewhere Along the Highway (2014). Différentes ambiances s'enchaînent, des passages doux comme dans l'outro de "Finland" ou encore dans les morceaux où le (splendide) chant clair est assuré par le second guitariste Fredrik Kihlberg. Ce dernier se distingue par son timbre bas et suave, dans le très mélancolique "Passing Through" avec les harmonies avec Kristian, ou dans le cinématographique "And With Her Came the Birds", dont la solennité rappelle à la fois Nick Cave et les musiques de western. La part belle est toutefois donnée au dernier opus de Cult of Luna, avec quatre titres fleuves puissants et lourds, parfaits pour le live.
Présence fantomatique mais fascinante, Johannes Persson s'impose comme véritable patron de la soirée. On ne voit jamais son visage, mais ses screams, son jeu de guitare, sa posture inspirée et ses gestes hypnotisent. Les trois guitaristes sur le devant de la scène d'ailleurs sont extrêment expressifs et dynamiques, alors même qu'on ne les distingue pas vraiment. Un bel ascenseur émotionnel pour l'ultime titre "The Fall" (piste de conclusion du nouvel album), une épopée en soi. Ça monte, ça redescend, puis réexplose, entre lourdeur et lévitation. Les batteurs sont debout, les musiciens comme en transe, tout le monde agite la tête, dans la fosse comme sur la scène.
Les titres, longs, ont été redoutables et efficaces, plus beaux les uns que les autres. Tellement beaux que l'heure et demie de concert ne se ressent pas du tout, et lorsque "The Fall" s'achève, personne dans le Trianon ne semble réaliser que c'est bel et bien terminé. Des cris de protestation et d'incrédulité concluent la soirée et quand la lumière se rallume, dans la fosse, les regards sont embrumés, mais ce n'est pas (totalement) à cause de l'abus de fumigènes ce soir. Ce qui vient de se passer ce soir est magique ; le culte de la lune vient, encore une fois, de rallier à sa cause de nombreux et fidèles disciples.
Setlist Cult of Luna :
1. The Silent Man
2. Finland
3. Nightwalkers
4. I: The Weapon
5. And With Her Came the Birds
6. Lights on the Hill
7. In Awe Of
8. Passing Through
9. The Fall
Photographies : ©Arnaud Dionisio. Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe.