Entretien avec Seb (batterie) et Nico (guitare) de Slave One

Dans le milieu du death metal underground, Slave One est une formation qui commence doucement à faire parler d'elle. Avec la sortie de son deuxième album, Omega Disciples, chez Dolorem Records, nous avons souhaiter nous entretenir avec ses deux têtes pensantes, Seb, batteur du groupe, et son frère Nico, guitariste. De quoi nous pencher sur les influences diverses du duo, mais également sur les liens entre littérature française et death metal. 

Bonjour Seb, bonjour Nico. Merci à vous de nous accorder cet entretien. Omega Disciples, votre deuxième album sort tout juste deux ans après l'EP An Abstract And Metaphysical Approach to Deceit et presque quatre après votre premier album, Disclosed Dioptric Principles. Avec le recul, que penses-tu désormais de ces précédentes réalisations ? Changerais-tu quelque chose ?

Nicolas (guitare): Personnellement, je pense que je changerais certaines structures de morceaux sur Disclosed Dioptric Principles parce qu'avec le recul, je trouve que ça part parfois dans tous les sens.

Seb (batterie) : Salut La Grosse Radio ! L’enregistrement du premier album a été chaotique. Nous avons voulu faire les prises à la maison, je pense que cela s’entend… JC du studio a galéré, il a fait de son mieux mais avec des prises merdiques, tu ne peux pas faire miracles. Les morceaux sont un peu naïfs, incarnant notre volonté de montrer que l’on savait jouer et être techniques. On reprenait la musique après une longue pause, je pense que l’on voulait prouver quelque chose. Très naïvement.

Omega Disciples semble représenter un tournant dans l'histoire de Slave One. Pas tellement du côté musical, car votre style reste reconnaissable, mais plutôt en terme de line-up car il a changé entre l'enregistrement de l'album et sa sortie, Nicolas Petre (chant) ayant notamment cédé sa place à Tarvos Bràdach (avec qui Seb avait joué dans Brennkelt). Pouvez-vous nous présenter les nouveaux venus au sein du groupe ?

Nicolas : Tarvos est un ami de très longue date et un bon frontman. Je suis heureux qu'il se joigne à nous pour poursuivre l'aventure SlaveOne. Quant à Jean, nous le connaissons depuis quelques années. Il était d'ailleurs présent en studio quand j'ai enregistré les guitares pour An Abstract And Metaphysical Approach to Deceit. C'est le frère d'un ami avec qui je fais parfois du son pop électro. Ça reste la famille quoi, et c'est bien là l'essentiel. Seb et moi aimons travailler avec des gens que nous apprécions humainement.

Seb :Tarvos est un ami de très longue date, nous avons commencé la musique et monté notre premier groupe ensemble, Crimson Rain , groupe de black/death à synthé en 96. Il est maintenant le leader du groupe Brennkelt où il tient le chant et la basse. Son intégration s’est faite très naturellement. Il devait rejoindre SlaveOne à la basse mais le destin a voulu que le poste de chanteur soit vacant. Après un savant jeu des chaises musicales, il s’est retrouvé chanteur du groupe. Jean, quant à lui, occupe le poste de bassiste. C'est un mec carré, dispo dont l’état d’esprit colle parfaitement au groupe. Il connait le groupe depuis l’EP Cold, j’ai eu l’occasion de le côtoyer dans le groupe orléanais Last Avenue dans lequel il joue de la basse. Nous lui avons proposé le poste et il s’est jeté dans l’aventure car il s’agit d’une aventure. Il n’a pas le background metal extrême que nous avons ce qui est très intéressant. Il apporte une vision différente sur certains points ce que va très sûrement s’avérer très profitable au groupe. Les samples vont faire leur apparition en live grâce à lui. Comme tu l’as souligné, Nico, notre précédent chanteur, a décidé de quitter SlaveOne pour des raisons qui lui appartiennent et que nous comprenons. Tarvos a une voix totalement différente, moins typé death extrême mais il est capable d’apporter plus de variations. De plus, il est très présent sur scène. Les concerts du groupe vont y gagner en intensité. 

Lors d'une précédente interview pour La Grosse Radio, Seb nous avait parlé de ses goûts éclectiques en matière de musique. Qu'en est-il pour les autres membres du groupe ? Malgré des influences variées, comment parvenez-vous à une ligne directrice aussi marquée ?

Nicolas : je pense obtenir la palme du "j'écoute beaucoup de choses qui n'ont rien de metal" ce qui d'ailleurs nous vaut de grandes discussions avec Seb et nourrit aussi notre musique. Pour ce qui est de la ligne directrice, je crois qu'on ne se pose pas la question ça se fait tranquillement en famille !

Seb :Tarvos est celui dont les gôuts musicaux se rapprochent le plus des miens je pense, Ben n’est pas loin non plus. Nous nous connaissons depuis l’adolescence, nous nous sommes construits musicalement ensemble. Nous avons donc un vocabulaire musical commun. Parle nous de la compilation Master of Brutality, tu ne nous arrêtes plus. Nico connait également tous ces groupes. C’est accessoirement mon frère. Il connait Tarvos et Ben depuis aussi longtemps que moi et a suivi nos découvertes musicales d’ado de près. Nico est devenu la Lady Gaga du metal avec le temps avec un éventail de style écoutés à faire vomir un boulimique. Il lui arrive de me parler de groupe dont j’ignore l’existence. Il est tout de même capable de trouver que Mika est un artiste intéressant. J’ai eu envie de le gifler très souvent…(rires) Jean a plus de cordes à son arc musical je pense. Cela va du prog à l’extrême. Il est ouvert aux découvertes (musicales…) J’essaie de le corrompre petit à petit. J’arriverai à lui faire écouter du Deathspell Omega, j’en suis sûr. Pour la ligne directrice musicale, sur Omega Disciples, j’ai apporté la structure des morceaux et les principaux riffs de guitare. Nous les avons retravaillés avec Nico pour enregistrer des démos. Un vrai travail d’équipe cette fois. Tout est sorti plus naturellement. Un morceau comme "Les disciples de l’Omega" a été composé très très rapidement par exemple.

Les compos de cet album ("Debris" en tête) semblent évoluer petit à petit vers un style de death metal moins ancré dans le death technique comme à vos débuts. J'y détecte en effet des influences à la Gorguts ou Ulcerate, plus tournées vers la dissonance et les ambiances que vers le riffing, malgré quelques plans en tapping comme sur "Carbon Mantra"....

Seb :Tu n’es pas le premier à citer Gorguts ou Ulcerate. Ce sont des groupes que je ne maitrise pas beaucoup. J’y travaille depuis peu et effectivement on peut trouver des similarités sur Omega Disciples avec ces groupes. Je pense que l’analogie vient certainement de la recherche de la dissonance et du travail des riffs. Sur nos précédentes réalisations, les morceaux mettaient la batterie en avant, délaissant le travail des guitaristes. Sur Omega Disciples, les guitares occupent l’espace central. Nous avons tenté avec Nico d’écrire des guitares plus subtiles, en les faisant jouer au maximum des parties différentes en même temps. Effectivement, en écoutant Ulcerate, j’ai cette même sensation. J’écoute beaucoup de black metal dissonant, peut-être que cela n’a influencé aussi. Nous avons commencé à composer de nouveaux titres et cette complexité dans les guitares ressort à nouveau. Je pense continuer à simplifier les parties de batterie pour laisser la place aux guitares.

Vous avez invité Laurent Chambe (ex-Nephren-Ka) et Warchangel (Ritualization) à participer à cet album. Parlez-nous de ces collaborations ?

Nous connaissons Warchangel avec Tarvos depuis la fac. Nous parlions ensemble de l'avoir comme guest sur l’un de nos morceaux. "Dissident Flesh" s’est imposé de lui-même. Il est d’Orléans, où se situe également le studio de Marmelade Production. Nous avons donc pu passer une journée ensemble lors des sessions de prise de voix. Warchangel s’est occupé de la partie centrale de "Dissident Flesh" mais a aussi participé au titre "Carbon Mantra" (sur la partie finale). Quant à Laurent, c’est moi qui lui ai proposé de chanter sur "Suffocating the Stars". Le style du morceau correspondait parfaitement à sa voix. Nous avons travaillé à distance. Laurent a bossé avec une démo chant que j’avais enregistrée mais a replacé les paroles à sa façon. Du beau boulot qui apporte un côté plus percussif et agressif à ce morceau. Je suis très content d’avoir pu bosser avec ces deux noms du metal français. Warchangel est un ami de longue date et j’échange souvent avec Laurent sur les réseaux. Nous prévoyons même de mettre en oeuvre l’une de ces collaborations en live.

Vous êtes restés fidèles à Dolorem, votre label depuis Disclosed Dioptric Principles. Pour l'occasion, vous avez même sorti une édition limitée à 25 exemplaires, contenant un buste en résine. Peux-tu nous en parler ?

La box collector est de l’initiative unique du groupe et a été financée uniquement par celui-ci.
Un projet ultra chronophage mais gratifiant. J’ai géré le projet de A à Z (loin de moi l’idée de m’auto-congratuler mais j’y ai tellement passer de temps que je me permets de le souligner), ce qui veut dire design des box, design des t-shirts, concept des artwork card… La box contient donc le digipack de l’album, quatre artwork cards, un t-shirt ainsi qu’un buste réalisé par un de mes amis qui a sa boite de sculpture de miniatures. Il représente l’un des disciples de l’oméga , échelle 1/16 ème. Le tout est limité à 25 exemplaires, qui se sont retrouvés sold-out en moins d’une heure. Nous nous sommes faits plaisir sur ce projet afin d’offrir un produit original et abordable financièrement.

L'artwork est particulièrement travaillé avec ces écorchés, qui s'éloignent de l'univers graphique que vous aviez développé sur les précédents opus. Le logo a également été modifié. Pourquoi ces choix et que cherchez vous à exprimer à travers ces dessins dans l'artwork ?

Le changement de logo est de mon initiative. Je voulais marquer une cassure avec l’ancien SlaveOne. J’ai senti que musicalement , nous avions évolué vers un quelque chose correspondant plus à notre personnalité. Nous essayions plus d’être un groupe technique pour la technique. Nous faisons un retour à nos premiers amours, le death classique à la Loudblast, Death, Atheist. Des groupes que l’on écoute depuis l’adolescence et qui ont imprégné la moelle de notre culture musicale. Pour le logo, je voulais quelque chose de travaillé mais qui reste lisible. Arpad de Arpkor Design a su y donner vie avec talent.

Quant aux gravures à l’intérieur du livret, j’ai voulu m’essayer à l’exercice en m’inspirant de Seth Spiro Anton. J’aime beaucoup son travail. J’ai eu beaucoup de mal, c’est un exercice complexe mais j’ai voulu créer une illustration pour chaque morceau. Celle de « Ce que dit la bouche de l’ombre » est l’archétype de ce que j’avais en tête. Je n’aime pas les livrets qui ne contiennent que les paroles. Un album doit avoir un impact sonore et visuel avec des détails à découvrir, des paroles à lire et interpréter. Ca laisse planer plus de mytères et d’interprétations possibles. Nous allons de ce fait renforcer l’aspect visuel des concerts en mettant quelles surprises en place.

A propos du logo, ce dernier n'est pas présent sur la pochette de l'album. On y remarque de façon discrète en bas votre patronyme ainsi que le nom de l'album, mais ce qui saute aux yeux c'est ce montage photo...

Seb : Ce n’est pas un montage photo mais une vraie photo. Above Chaos a fait un boulot de dingue. J’ai pu voir le « making-of » de la pochette, c’est hallucinant. Tous les éléments que tu vois sur la pochette existent. Nous avons volontairement mis le logo en retrait car la pochette parle d’elle-même. Le label a voulu mettre le titre de l’album et le nom du groupe. J’avais une vision plus jusqu’au boutiste : je ne voulais que la pochette. La pochette est sobre avec des tons classieux, je pense qu’elle a plus de poids que des mots ou un logo. La pochette traite du thème de la chair. Le corps est un temple, une prison, un passage…

Deux titres sont écrits en français ("ce que dit la bouche de l'ombre" et "les disciples de l'omega"). Le premier est un instrumental mais il est inspiré d'extraits du poème éponyme de Victor Hugo. Pourquoi ce poète et cette oeuvre en particulier ?

C’est un long poème qu’Hugo a écrit durant sa crise mystique qui débute en 1853. Il fait tourner les tables et se forme une nouvelle religion. Il la décrit dans le poème « Ce que dit la bouche d’ombre » qui se trouve dans le recueil « Les contemplations ». « Ce que dit la bouche de l’ombre » est l’adaptation d’un court passage de cette œuvre. Les disciples de l’Omega ont créé leur propre culte. Le texte collait parfaitement au sujet. Je n’ai aucune affection particulière pour Hugo mais ce poème était parfait pour le morceau. J’ai fait un peu de zèle, j’ai écrit / adapté des paroles pour un morceau instrumental. Je voulais fournir des explications sur le thème abordé et l’ambiance que je désirais développer. Les quelques lignes écrites vont très sûrement être enregistrées pour le live.

Côté littérature classique, le metal a plus souvent fait des passerelles vers les oeuvres de Poe, Lovecraft ou Baudelaire que Victor Hugo. La littérature et le metal ne sont donc pas antinomiques pour toi ?

Pas du tout antinomiques, bien au contraire. Chez les musiciens de metal et plus généralement les amateurs du genre, il me semble que toutes les catégories socio-professionnelles sont représentées.
Certes, c’est un style très « codé » mais avec des adeptes de tous niveaux sociaux, intellectuels très ouverts d’esprit  et globalement cultivés. Il m’est arrivé de tomber sur les deux extrêmes, le demeurés ("le métolllll n’a rien à foutre avec les livres") ou le super intello multi casquette ( prof de savoir vivre, écrivain, traducteur de notices IKEA) mais globalement le metal est un milieu ouvert à la culture et l’échange à ce sujet n’est pas rare du tout. Je te dirai donc que le metal et la culture en général sont deux bons amis (c’est cliché mais c’est la vérité). Quand je détourne un texte d’Hugo, je me fais plaisir avant tout, je n’ai aucune vocation à répandre la bonne parole littéraire. Et si cela me permet d’échanger une bière à la main à ce sujet après un concert, c’est encore mieux.

"Les Disciples de l'Omega" est cependant un texte écrit par toi-même en français. Quel exercice te semble le plus difficile, écrire en français ou en anglais ?

Ecrire en français, c’est indéniable ! Je commence seulement à y prendre goût. Je peux mettre des nuances plus subtiles qu’avec la langue anglaise. Sur « les Disciples de l’Oméga » , je me suis inspiré de « L’esthétique des fluides/sang,sperme,merde dans la peinture francaise du XVIIe siècle » de Frédéric Cousinié. J’utilise le champs lexical de la peinture pour décrire les plans d’un de ces disciples. Je n’aurais pas pu être si nuancé en utilisant l’anglais. Mais cela reste un exercice qui n’est pas naturel pour moi. Tous les groupes (ou la plupart, n’oublions pas Misanthrope) qui ont forgé ma culture metal sont anglophones. Ecrire un texte est un exercice cathartique, on se livre à l’auditeur. Ecrire en anglais permet de mettre une barrière (pour un non-anglophone de naissance) je trouve. De plus, je m’étais destiné à enseigner l’anglais (je me suis détourné de cette optique) et Nico est professeur d’anglais. C’est donc un exercice assez simple pour nous  que d’écrire en anglais.

Merci pour cette interview. Avant de te laisser, avez-vous un message à faire passer à nos lecteurs ?

Merci pour ces questions pertinentes. Allez jeter une oreille à l’album, venez nous voir en live. Soyez curieux et ouverts d’esprit mais pas autant que Nico car Mika ça craint vraiment !

Entretien réalisé par mail en janvier 2020
Photographies : © Droit Réservé Slave One



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