Dans le domaine du post metal il n'est pas rare de tomber sur des groupes singuliers, avec une identité et un je-ne-sais-quoi mémorable. C'est le cas avec Dragunov, duo instrumental parisien ancré dans un univers post-apocalyptique soviétique. Créée en 2013, la formation a déjà à son actif de nombreuses dates en live ainsi que deux premiers efforts, et s'apprête à sortir un nouvel album. Plongez en immersion dans l'ambiance oppressante et sibérienne d'un monde de chaos avec Arkhipov, sorti 31 janvier 2020.
Ce qui frappe d'emblée avec Arkhipov c'est la richesse et la lourdeur du son d'ensemble. Tristan (batterie) et Sébastien (guitare) rivalisent de puissance et de nuances, pour un effet immersif et cinématographique, oscillant dès le titre d'ouverture, "Horizontal", entre un sentiment claustrophobique, comme à l'intérieur d'un sous-marin, et un groove imparable porté par des riffs magistraux. L'ambiance est placée, l'univers clairement dessiné, notamment grâce à l'excellent mix et mastering de Raphaël Bovey (qui a travaillé avec Dirge ou Schammasch, entre autres).
Au fur et à mesure de l'écoute se dessine une trame narrative nette : le sous-marin de la pochette de l'album est présent en filigrane. On retrouve ainsi dans Arkhipov de nombreux passages de samples et effets rappelant l'echo des sonars ; ça et là on est plongé dans une ambiance oppressive plutôt inquiétante, comme au début de "Keldysh" ou "Kolesnikov's Letter", morceaux par ailleurs construits sur un crescendo magistral, avant de lancer les hostilités avec l'énorme "65-76", aux tonalités rétro très heavy, véritable explosion d'artillerie lourde - filons la métaphore avec Dragunov. L'esthétique soviétique est d'ailleurs travaillée et présente depuis les débuts du groupe, les deux hommes allant jusqu'à entamer tous leurs concerts avec de lourds masques à gaz ...
Le voyage froid et aquatique se poursuit jusqu'à l'excellent "Ledokol Somor", morceau très cinématographique, lent et magnétique. Du bruit de la mer à l'obscurité suggérée par la guitare, les chutes brutales de tonalité provoquent un effet de réverbération hypnotique, énorme rythmiquement. le sentiment d'urgence est perceptible dans "B-59" avec un finish meurtier, le déclenchement d'une gachette marquant la fin de tout espoir... "Spas Mir", ultime morceau de l'album, se pose en épopée finale sur la destruction, tout en riffs lourds, sombres et puissants, à la Cult of Luna.
Arrêtons-nous un instant sur l'interprétation et la "patte" de chacun des musiciens, la forme même du duo nous incitant à scruter chacun des instruments en détail. Le jeu de Tristan à la batterie, d'abord, est impressionnant de diversité. Quelle maîtrise impeccable, à coups d'accélérations, de subtilités, et de lignes rythmiques très variées ! Plus que de la frappe, il révèle une expressivité toute personnelle dans son jeu, formidable dans l'épique "Spas Mir" ou le single "Kolesnikov's Letter" par exemple.
Lorsqu'on se penche sur les guitares, c'est sans surprise que l'on perçoit des couches différentes qui se superposent. D'ailleurs, en live, l'utilisation du loop est inévitable. Mais Sébastien utilise ces moyens et effets avec intelligence et parcimonie, sans excès. Le jeu de ce dernier s'apparente à celui d'un peintre, travaillant tantôt par touches discrètes et subtiles, comme dans "Ledokol Somor", tantôt par grands aplats : c'est la ligne rythmique lourde, soviétique dirons-nous, présente dans "65-76" ou "Keldysh". Encore une fois, c'est la variété et la maîtrise qui ressortent, puisque Seb donne également dans les soli ou des shreds superbes et incisifs ("B-59").
Le défi de l'instrumental est relevé haut la main par Sébastien et Tristan sur cet opus. Ils démontrent même davantage : clairement, ici, le chant ne manque pas. C'est l'intelligence des compositions, l'interprétation inspirée et le jeu subtil des instruments qui permet à la fois de transporter l'auditeur dans un univers, poser une narration ou proposer des mélodies efficaces. Les quarante-cinq minutes de l'album passent très vite, sans que deux titres ne se ressemblent.
Arkhipov se révèle être une oeuvre solide, singulière et marquante. Le post metal proposé par Dragunov touche au doom, au prog, au sludge, autant d'influences qui sont toutes maîtrisées, digérées et assaisonnées à la russe, pour un effet des plus appréciables. Na zdravlje!
Tracklist
1. Horizontal
2. Keldysh
3. Kolesnikov's Letter
4. 65-76
5.Ledokol Somov
6. B-59
7. Spas Mir
Arkhipov, second album de Dragunov, est disponible sur le bandcamp du groupe.
Crédit photographies : ©Guillaume Reynaudo.