Moins d'une semaine après la sortie de Ballistic, Sadistic, dix-septième album d'Annihilator, La Grosse Radio a pu s'entretenir avec le guitariste (et désormais chanteur) Jeff Waters, frontman infatigable du combo thrash canadien depuis déjà trois décennies. Conversation à cœur ouvert et confidences étonnantes de la part d'un musicien émérite, entre lucidité et sérénité, à l'occasion de la sortie du nouvel opus, et d'une nouvelle année qui s'apparente à l'année du bilan mais aussi, peut-être, à un tournant dans l'existence du groupe.
[ Entretien réalisé par téléphone le 29 janvier 2020 ]
Bonjour Jeff, et merci de répondre à nos questions. D'abord, comment vas-tu ?
Très bien, merci. D'où m'appelles-tu exactement ?
De région parisienne.
Ah, cool ! Tu sais, j'ai failli venir à Paris il y a deux jours, pour voir le concert de Five Finger Death Punch et Megadeth qui jouaient au Zénith, mais finalement ma femme et moi sommes allés les voir à Amsterdam.
Oui, ils ont joué hier soir à Paris. Tu as aimé ?
C'était vraiment très bien !
Parlons de Ballistic, Sadistic, qui est sorti il y a à peine quelques jours. Dans quel état d'esprit es-tu, en ce moment, pour cette dix-septième sortie d'album ?
Eh bien, la sortie de cet album a été la conclusion d'une période de deux ans où ma vie a connu de grands changements. J'ai quitté le Canada pour venir vivre au Royaume Uni. Une fois ici (en Angleterre), il a fallu s'occuper des travaux pour finaliser mon nouveau studio, pour que l'équipe et les musiciens puissent venir. L'enregistrement a duré entre neuf et dix mois, ça a été intense, tu vois. Tous ces changements se ressentent sur l'album : un nouveau studio, une nouvelle vie pour moi, dans un nouveau pays. Au moment du déménagement il y a deux ans, je m'imaginais que ça allait être facile … j'étais tellement naïf ! Tout cela a été très déconcertant et éprouvant pour moi : mon passeport a été confisqué par les autorités britanniques, par les services de l'immigration, et le processus a pris un temps fou. C'est ça qui nous a forcé à repousser d'un an la tournée For the Demented, prévue en 2018 et que nous avons finalement faite il y a quelques mois, à l'automne 2019. [ Annihilator s'est effectivement produit à Paris en octobre 2019, un an après la date prévue lors de la première annonce]
Les retards se sont accumulés, y compris pour la sortie du nouvel album, enfin bref il s'est passé plein de trucs. Mais, finalement, ça a été un mal pour un bien : une fois l'album terminé, vers le 3 septembre 2019, tout s'est très vite enchaîné. Avec le groupe, on a tout de suite tourné quelques clips pour l'album, puis commencé les répétitions pour la tournée européenne de deux mois qui commençait dans la foulée. Ça s'est terminé en décembre, et j'ai dû être hospitalisé pour subir de la chirurgie dentaire. Donc, tu vois, ça a été un an et demi de déménagement, de travaux, d'enregistrement, de tournée, puis l'hôpital, et ensuite les fêtes … [Rires] Donc la fin d'année, et même là maintenant, en ce moment, malgré la promo pour le nouvel album, je dirais que tout est redescendu, c'est plus cool, je suis plus serein et détendu. Enfin, les choses sont revenues à la normale, avec un rythme de travail respirable.
Quel rythme !
Oui, et puis les choses se mélangeaient : des journalistes sont venus dans mon nouveau studio dès le mois de juillet pour la promo du nouvel album alors qu'il n'était pas encore terminé, et finalement c'est la tournée européenne à l'automne qui nous a permis de faire découvrir les nouveaux morceaux de Ballistic, Sadistic au public. À ce moment-là, impossible de trouver le temps de faire de la vraie promo avec la presse. Et nous voilà, juste après la sortie, et ce que je peux dire c'est que cet album, c'est un de ces albums « chanceux » où ce qui fait la renommée du disque, c'est le bouche-à-oreille de fan en fan, et les reviews des medias du type « écoutez ces nouveaux morceaux, l'album a l'air vraiment bon, meilleur que les précédents » [Rires]. On a beaucoup de chance que les choses se passent comme ça : les gens parlent de l'album parce qu'ils ont entendu des recommandations ou des morceaux joués en live. À mon avis, c'est notre meilleur album parmi les cinq derniers, peut-être même parmi les dix derniers albums sur dix-sept ! Alors, je suis un peu inquiet en ce moment, mais dans le bon sens du terme, c'est à dire que je me demande si Ballistic, Sadistic ne serait pas notre dernier album. Quand j'y pense, je ne sais pas si je pourrais faire encore trois ou quatre albums avant d'arriver à en refaire un très bon, enfin qui sorte du lot. Nous verrons bien, je n'en sais rien ! En tout cas on est vraiment très contents de la qualité de ce disque.
Tu mentionnais les titres de Ballistic, Sadistic que vous avez présentés au public lors de la dernière tournée. Avec La Grosse Radio, nous étions au concert parisien à Petit Bain en octobre dernier, et effectivement le nouveau titre que vous avez joué ce soir-là, "Psycho Ward", parfaitement intégré dans la setlist, a semblé bien fonctionner d'emblée auprès du public, qui pourtant ne l'avait pas entendu auparavant. Comment expliques-tu cela ?
Sur l'album, il y a plusieurs riffs ou plusieurs mélodies qui sont, de façon presque intentionnelle, réminiscents de plusieurs de nos trois premiers albums. "Psycho Ward" sonne un peu comme certains morceaux de l'album Set the World on Fire [1993], mais aussi comme "Stonewall", un titre de notre deuxième album [Never, Neverland – 1990] ... Je pense que les gens dans le public avaient le sourire en entendant ce titre inédit car cela leur rappelait ces albums qu'ils aiment beaucoup.
Quand on écoute Ballistic, Sadistic, on ressent beaucoup de colère et de rage, c'est un album explosif et agressif. Est-ce que cela vient du fait que tu aies recherché, comme tu viens de le dire, une sorte de retour aux sources par rapport aux premiers albums d'Annihilator, ou bien cet album a été une sorte de défouloir ou de thérapie parce que tu ressentais réellement ces émotions ?
C'est un mélange des deux. Il y a vraiment de l'agression dans cet album, que ce soit au niveau de la musique ou des paroles. Cette rage est sincère à 100%. Ce n'est pas juste de la rage juste pour être heavy. Ça, j'ai essayé de le faire dans le passé, et ça n'a vraiment pas été une réussite. J'adore le son heavy et rageur de Cannibal Corpse, de Slayer, ou de l'album Master of Puppets de Metallica, mais moi je n'ai jamais été capable d'écrire avec cette intensité de colère et de rage. Je n'ai pas ça en moi. Sur Ballistic, Sadistic, cette colère que les gens ressentent, elle n'est vaiment pas feinte, c'est du réel.
Et ce qui a changé aussi c'est ma façon d'écrire. J'ai écrit les morceaux avec le batteur, chose qui n'était pas arrivée depuis 1990, ce qui fait... attends ça fait combien de temps ? 28, 29 ans ? [Rires] Tous les riffs et mélodies ont été composés par Fabio [Alessandrini, batteur du groupe] et moi. Donc déjà, la façon de composer a été une sorte de retour aux sources, puis au fur et à mesure on s'est rendu compte que ça sonnait un peu comme les premiers albums, au niveau du style et on aimait bien ça. D'après moi, il ne sera jamais aussi bon que les premiers albums, mais ce qui fait que les gens aiment cet album, c'est que ça leur rappelle le son old school d'Annihilator et ça, ça leur donne le sourire.
Justement, les musiciens, Fabio (batterie), Aaron (guitare) et Rich (basse) semblent avoir joué un rôle important dans l'élaboration de ce nouvel opus. Qu'apportent-ils au son d'Annihilator, sachant qu'ils ne sont dans le groupe que depuis quelques années ?
Fabio, Aaron et Rich ont tous contribué à l'écriture de Ballistic, Sadistic, ce qui est assez nouveau pour Annihilator, où j'ai souvent été le seul compositeur, même si cela nous est arrivé de faire appel à d'autres personnes pour certaines parties instrumentales. Rich, notre bassiste, avait déjà bossé avec moi pour l'écriture de notre précédent album, For the Demented. Quant à Aaron, c'est un peu le chef d'équipe quand on est en tournée. Il sait vraiment nous mettre dans une bonne ambiance de travail, et il m'a beaucoup aidé au moment de la composition de l'album. Même s'il vit au Canada, on a pas mal communiqué par téléphone ou par messages. Il m'a soumis pas mal d'idées, et aussi des conseils et son avis sur le style de tel ou tel morceau. Leurs opinions à tous les trois ont beaucoup compté, c'est pourquoi on peut vraiment parler d'un esprit collectif pour cet album, ce qui est vraiment nouveau pour Annihilator.
Tous les membres du groupe vivent dans des pays différents, ce n'est pas un problème pour vous ?
Pas du tout ! Par le passé, j'ai engagé beaucoup de musiciens différents, qui venaient de l'étranger, ça a toujours été plus ou moins international. Pour ce line-up, Fabio vit en Italie, Rich, le bassiste, à Cambridge, en Grande-Bretagne, et Aaron au Canada, et moi, j'ai quitté le Canada pour l'Angleterre ! Non, ce n'est pas dur, il suffit de faire monter tout le monde dans un avion, et voilà ! [Rires] Je pense que ça serait beaucoup plus difficile si on était dans les débuts du groupe, au moment où il faut construire et imposer un style, tu vois ? Mais là, c'est différent. Le groupe existe depuis un moment, et ces gars-là sont d'excellents musiciens. Ils s'entraînent chez eux, de leur côté, et ensuite on se retrouve ensemble pour les répétitions dans mon studio, où on bosse ensemble en intensif, six heures par jour pendant plusieurs jours. C'est beaucoup de travail, mais il y a de la préparation de notre côté alors on n'arrive pas les mains vides quand on est réunis.
Le fait que tu possèdes ton propre studio, à Durham en Angleterre, a probablement beaucoup joué dans votre travail collectif pour cet album...
Oui, tout à fait. Déjà la construction de ce studio a pris du temps, et j'ai voulu être là pour toutes les étapes, que ce soit pour le design, alors que je n'y connais rien, mais surtout pour l'acoustique. Je voulais vraiment mon studio « de rêve ». J'avais déjà eu trois studios au Canada auparavant, mais celui-là devait être parfait ! Mon expérience et mon travail dans différents studios dans le passé m'ont appris toutes ces petites choses dont ont besoin les musiciens et les ingénieurs du son. Les travaux ont pris plusieurs mois. Ce long processus a impliqué beaucoup de travail, beaucoup d'argent, différentes entreprises, mais je voulais vraiment que tout soit pour le mieux. La municipalité a fait une visite d'inspection pour que l'on puisse avoir l'autorisation d'ouvrir, pour vérifier que tout était conforme, et cela aussi a pris du temps.
Pendant toute cette période, je n'ai pas du tout pu écrire. Le studio me prenait tout mon temps et mon énergie. Le jour où j'ai enfin pu ouvrir le studio, je me suis fait un café avec ma machine Nespresso flambant neuve, et je me suis assis dans un siège avec une guitare, pour la première fois depuis des mois, j'ai allumé les amplis et les consoles, et là tout est venu tellement vite !
Tout était déjà prêt car dans ma tête j'avais déjà pas mal planifié les choses, mais aussi je sortais d'un an et demi de véritable tourbillon de problèmes, d'ennuis, de rythme effréné, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle. J'ai dû partir, quitter mon pays et dire au revoir à mes amis au Canada, à mon fils de 24 ans, Alex. Même mon petit chien n'a pas eu l'autorisation de voyager et de venir avec moi ! Et ici, j'ai une nouvelle vie dans une nouvelle ville, avec ma nouvelle famille, la famille de mon épouse. Un nouveau pays, cela veut dire aussi un nouveau gouvernement, etc. Ce changement, même si c'est pour des choses extraordinaires, ça a été quand même un bouleversement trop important, trop rapidement. Et quand je me suis retrouvé assis dans ce studio terminé, avec ma superbe femme, avec cette nouvelle vie qui est géniale, tout le stress accumulé est sorti pour se retrouver dans les chansons.
Voilà l'histoire, et c'est aussi pour ça que je pense qu'il sera très difficile pour moi de faire un meilleur album que celui-là. Cela ne m'inquiète pas tant que ça, finalement. Ça doit faire quinze ans que je répète en interviews que le jour où je perdrai l'inspiration, où je sentirai que ça ne fonctionne plus très bien, je n'hésiterai pas une seconde avant de m'arrêter. J'ai aussi dit que dès que j'aurai fait un album que je ressens comme étant vraiment remarquable, il serait temps pour moi d'arrêter ! [Rires]
Oui, tu as souvent dit en interview que tu serais prêt à arrêter dès que l'inspiration viendrait à te manquer... et pourtant aujourd'hui te voilà super enthousiaste et sutout très inspiré. Tu serais prêt à sauter le pas et en finir avec Annihilator ?
L'important, ce n'est pas que l'album se vende bien, ni que la maison de disques en fasse la promotion ou pas. D'ailleurs, tout cela est déjà derrière nous : l'album est déjà sorti, il y a une semaine, c'était le 24 [janvier 2020]. D'après ce que j'entends de tous les côtés, l'album est bon, je le sais.
Alors, c'est vrai, je n'ai que 53 ans, je suis en forme, j'ai de l'énergie et des idées à revendre, mais bon … pour un groupe, en arriver à dix-sept albums studio, c'est énorme ! Moi, j'ai mon studio, et je pense à ça pour l'avenir. Je ne veux pas forcément travailler dans ce studio, mais plutôt y accueillir des ingénieurs du son, producteurs, pour venir y faire du mixage. Je ne veux pas passer ma vie enfermé dans un studio, mais plutôt collaborer avec plein de gens, faire du travail d'équipe. J'ai plein d'autres pistes, d'autres plans... Il y a quelques copains avec qui on a le projet, depuis quelques années, de bosser ensemble. Je ne peux pas te dire de qui il s'agit, mais ce que je peux dire c'est que ce sont des musiciens connus, très connus même. On envisage de monter un groupe ensemble, mais attention, pas comme ces supergroupes qui font un seul album et puis basta, non. On parle sérieusement de former un vrai groupe, eux et moi. Ce sont des musiciens issus de groupes renommés.
C'est intrigant et très intéressant ce que tu nous dis là !
Et je peux même te dire que parmi tous ces mecs, c'est moi qui suis le moins célèbre ! Ce sont vraiment des artistes de classe internationale. Si tout ça se fait, ça promet d'être vraiment sympa.
On a hâte d'en savoir plus, alors !
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Revenons sur ton parcours ces six dernières années, depuis que tu as repris le chant au sein d'Annihilator après le départ de Dave Padden en 2014-2015. Comment vois-tu cette double casquette de chanteur / guitariste, et comment te l'es-tu appropriée ?
Quand j'ai repris le doublé chant / guitare en 2015, ce n'était pas vraiment ce que je voulais faire, mais ça m'est apparu comme le seul choix possible. J'avais déjà chanté sur trois précédents albums, dans les années 1990, dont l'album King of the Kill [1994], qui a pas mal marché, c'était un bon album, mais à l'époque j'en étais presque à me dire que ma carrière était fichue, tellement je savais que mon chant sur ce disque n'était vraiment pas très bon. J'ai dû apprendre à chanter et jouer de la guitare en même temps, ce qui est vraiment très difficile. Des mecs comme Mustaine ou Hetfield sont de vrais génies dans cet exercice, mais ils ont bossé des années voire des décennies pour y arriver. Moi, je n'ai pas pu y passer autant de temps. J'avais juste chantonné un peu, des années auparavant, alors quand il a fallu m'y mettre en 2015, je me suis dit que je maîtrisais la partie guitare qui était plutôt facile pour moi, et qu'il fallait donc me concentrer sur le chant. J'étais conscient que ça ne pourrait pas être bon au bout de quelques mois de travail. Je savais que ça prendrait deux ou trois albums, et un grand nombre de concerts, pour pouvoir m'améliorer. J'ai travaillé dur, et ce n'est que depuis l'an dernier, avec la tournée For the Demented, que je pense être arrivé à un niveau satisfaisant. Aujourd'hui, je peux dire que je me débrouille bien au chant tout en jouant de la guitare. Je ne suis pas excellent, mais ça fonctionne plutôt bien.
Tu dis que jouer de la guitare te semblait facile. Tu es pourtant un guitariste très technique, alors est-ce que tu passes beaucoup de temps à travailler et à t'entraîner, ou est-ce que cela vient tout seul ?
[Rires] Les gens qui me connaissent rigoleraient bien en m'imaginant bosser ! Je ne me moque pas de ta question, bien sûr, mais il y a un truc à savoir sur moi, c'est que mon dernier entraînement sérieux et intensif à la guitare remonte à 1989 ! [Rires] Depuis Alice In Hell et Never, Neverland, je me contente de prendre la guitare pour m'échauffer et me préparer à composer, ou juste avant d'entrer en studio, et c'est à peu près tout.
J'ai fait tellement de guitare quand j'étais gamin, pendant des années à vrai dire. J'ai commencé la guitare à l'âge de sept ans, et j'ai étudié la guitare dans une école de musique entre douze et vingt-trois ans. Ça a donc fait onze ans de ma vie avec des cours de guitare classique et des entraînements quotidiens, disons que ça prenait la moitié de mon temps, que je partageais entre les études et la guitare. Au moment de la création d'Annihilator, dès le premier disque, j'ai un peu bossé pour répéter, et je me suis dit : « Ça suffit ». Je n'allais pas passer ma vie entière dans ma chambre ou dans un studio à bosser mon jeu de guitare. Il fallait voir autre chose, m'ouvrir un peu au monde. Et il a fallu aussi s'occuper du business, apprendre des choses sur la gestion d'un groupe, comment engendrer assez d'argent pour pouvoir continuer d'exister en tant que groupe et enregistrer des albums, comment booker des tournées, etc.
Tout ça a fait que j'ai été pas mal occupé dans les débuts d'Annihilator. Alors, c'est vrai, mon jeu aurait pu être bien meilleur, j'aurais pu devenir plus célèbre et faire des disques remarquables, attirer encore plus de monde en concert, j'aurais pu vendre encore plus de t-shirts, mais cela ne s'est pas passé ainsi. Il aurait fallu avoir un chanteur fixe sur les débuts du groupe, avoir une maison de disques qui aurait fait bien mieux pour la promo du groupe sur les débuts, on aurait dû plus bosser notre jeu ou notre image, mais à vrai dire on s'en fiche un peu de tout ça ! Ça n'est pas moi. [Rires] Ce qui a toujours compté pour nous, c'est de faire la musique qui nous plaisait, et de la jouer pour les fans qui aimaient notre musique. Point. Je me suis contenté d'en faire juste assez niveau business pour permettre au groupe de continuer d'exister, mais rien de plus.
Je suis très content que le groupe monte en puissance et ait de plus en plus de succès ces dernières années. Ça a commencé vers 2007, et là depuis 2014-2015 ça a vraiment décollé. Là où on était appelés pour jouer très tôt dans l'après-midi, on est maintenant plus tard dans la soirée, plus proche des têtes d'affiche. Annihilator fonctionne de mieux en mieux, on fait des salles plus grandes, les albums se vendent bien, et tout cela c'est vraiment grâce aux fans.
C'est donc au public que tu penses avant tout quand tu fais un album ?
Oui, vraiment. Les vrais fans d'Annihilator aiment peut-être une certaine période du groupe, un certain album, un certain line-up, et s'ils n'aiment pas l'album suivant, ils n'y pensent plus et reviennent quelques années plus tard en écoutant un album qui leur rappelle leur époque préférée. Même aujourd'hui, je vois et je parle à des fans qui me disent qu'ils avaient décroché depuis au moins quatre disques ! Depuis le temps qu'on est là, je peux te dire que ces fans-là, qui n'aiment peut-être que deux ou trois albums d'Annihilator sur les dix-sept, eh bien ce sont aussi eux, nos fans ! C'est important de penser avant tout au public quand on fait un album.
Depuis le début, on n'a jamais eu à subir des pressions de la part de grosses maisons de disques, on n'a pas eu à s'emmerder avec de grosses sommes d'argent investies dans le groupe pour la promo. Le public peut découvrir notre musique sur les plateformes, sur internet, et si les gens aiment, alors ils peuvent acheter l'album !
C'est aussi pour toi une façon de rester indépendant et de bosser selon tes propres conditions.
Ça a toujours beaucoup joué dans notre parcours. C'est même fondamental pour moi. J'ai sacrifié certaines choses pour le groupe il y a pas mal d'années, quand une grosse maison de disque a proposé de nous signer à condition que l'on change de chanteur, que l'on prenne un de leurs producteurs, et que l'on suive une certaine ligne directrice qu'ils voulaient imposer. C'était au début des années 1990. Et j'ai pris la décision de dire non. J'étais même prêt à tout arrêter, à changer de job et à me mettre à bosser dans un studio pour ne pas avoir à nous "vendre" comme ça. Il y a plein d'autres groupes qui ont fait ce choix, des copains que je connais, ils ont eu énormément de succès, et c'est cool pour eux. Mais personnellement, j'aime trop pouvoir faire ce que je veux.
Si j'ai envie d'écrire une ballade, de changer de chanteur, d'écrire une chanson qui parle d'amour, ou de nourriture, si je décide d'un nouveau line-up pour les concerts, si j'ai envie d'écrire des riffs marrants, comiques, ou jazzy, ou si j'ai envie de faire du thrash énervé ou des morceaux avec un message sérieux sur les troubles mentaux, l'alcoolisme, la dépression, ou même l'environnement, eh bien je peux le faire ! Je peux écrire ce que je veux et je n'ai pas la pression d'une grosse maison de disque qui me dira quoi faire. Je ne l'ai jamais eue, cette pression !
On a eu la chance de pouvoir faire quand même assez d'argent pour faire perdurer le groupe après toutes ces années, mais ce qui m'a toujours importé c'est de rester honnête avec ma musique, avec mes fans, et de ne jamais perdre cet esprit de sincérité.
Nous sommes en 2020, l'année des trente ans de l'album Never, Neverland, considéré comme beaucoup comme légendaire. Quand vous vous êtes produits à Paris en octobre, tu as parlé d'une tournée anniversaire... Qu'en est-il de ce projet, est-ce que les choses vont se faire ?
Tout à fait ! Je suis en contact depuis un moment avec Cobhurn Pharr, qui chantait sur Never, Neverland, avec le projet de faire une sorte de célébration des trente ans de l'album. J'ai contacté les autres membres du line-up de l'époque, mais cela m'a semblé impossible de les faire revenir pour une tournée anniversaire, étant donné que plusieurs d'entre eux ne jouent pas ou quasiment pas depuis plusieurs décennies et n'auraient pas pu assurer, physiquement. Je n'avais pas envie que l'un d'entre eux tombe malade, ne suive pas le rythme intensif d'une tournée, ou mette sa vie en danger ! Je ne veux pas être à l'origine d'une crise cardiaque ! [Rires]
L'été dernier, j'ai fait venir Cobhurn chez moi et on s'est mis d'accord pour qu'il assure le chant, et que moi je joue avec mon groupe actuel, pour interpréter live l'intégralité de l'album Never, Neverland. Au départ on s'est dit qu'on allait faire un seul gros festival mais finalement, ça nous a semblé dommage de laisser plein de gens de côté en faisant une date unique, tu vois. Donc en ce moment, on est en train de voir si on fait une tournée à l'automne, ou si on va rester sur notre idée de départ, à savoir un festival cet été. Cela doit encore être finalisé mais j'espère vraiment que ça va pouvoir se faire. Never, Neverland est mon album préféré d'Annihilator, et c'est bien le seul pour lequel j'étais prêt à faire un concert ou une tournée anniversaire...
C'est un événement qui ravira les fans ! Merci de ta disponibilité, Jeff, et à bientôt.
Je te remercie.