Cinq ans, c'est le temps qu'il a fallu à Intronaut pour prendre du recul, trouver un nouveau souffle et travailler à la création de son sixième album. La formation prog américaine revient aujourd'hui, plus forte que jamais, avec Fluid Existential Inversions, à paraître le 28 février via Metal Blade Records, et prouve ici qu'elle a sa place dans les plus hautes sphères du metal moderne.
"Intronaut" : le mot en lui-même évoque un voyage introspectif, une épopée dont l'essence se trouve dans les réflexions existentielles. La formation originaire de Los Angeles a pris du temps, depuis The Direction Of Last Things (2015), pour faire sa propre introspection, pendant une période de pause nécessaire pour les membres du groupe, proches du burn-out. L'album ambitieux proposé aujourd'hui est issu de ces longs mois de cheminement dans des moments difficiles (comme la séparation avec le batteur Danny Walker), ce qui semble avoir libéré complètement la créativité et l'imagination d'Intronaut.
Avec ce nouvel opus, Intronaut offre à l'auditeur un nouveau voyage, musical cette fois-ci, mais loin des sentiers battus et des routes trop confortables. Les pérégrinations sur Fluid Existential Inversions ressemblent d'avantage à un parcours semé d'embûches, entre diversité et surpuissance, entre explosion de lourdeur et douceur mélodique, entre heavy metal et jazz fusion... et pourtant, tout y est clair et lisible. La profusion de contrastes ne crée pas de fouillis incohérent, bien au contraire. Partir dans les complexités des compositions d'Intronaut, c'est y découvrir une force, une cohérence et une vérité.
L'album s'ouvre sur "Procurement of the Victuals", titre court et explosif aux guitares ultra saturées, concentré de riffs dissonnants portés par une énorme rythmique. L'aspect dissonnant se retrouve sur le morceau "The Cull", où les guitares de Dave Timnick et Sacha Dunable nous emmènent du très sombre au contemplatif avec d'habiles transitions. Distorsion et légèreté alternent pour les instruments, avec des riffs énormes, et il en va de même vocalement : les débuts agressifs (screamés) se muent en envolées plus douces très mélodiques. À la première écoute, il n'est pas évident de suivre cette structure prog très travaillée, rappelant Opeth sur certains enchaînements, mais l'ensemble prend tout son sens aux écoutes suivantes, grâce notamment à la touche magique du titre, l'hallucinante ligne de basse de Joe Lester, portant en filigrane toute la cohérence du morceau.
Intronaut ne tombe cependant pas dans les travers du prog alambiqué, et on est loin de l'intellectualisation à outrance. Ce qui fait la force de Fluid Existential Inversions, c'est avant tout la puissance et l'intensité. Avec beaucoup de talent, Intronaut souffle le chaud et le froid et trouve des synthèses que l'on pensait impossibles entre le son très lourd d'un heavy metal de haut vol et la délicatesse de mélodies progressives. Le single "Cubensis" en est un bon exemple : du riffing énorme des premières secondes, accompagné par le chant rugueux, on passe ensuite à des passages plus soft où le chant clair se lie parfaitement à l'ambiance atmosphérique d'ensemble.
Comme sur chaque morceau de l'album, la section rythmique fait des merveilles, que ce soit sur les lignes de basse fretless portant tout le titre, ou du côté de l'impitoyable cadence imposée par Alex Rudinger (Whitechapel), qui a rejoint Intronaut avant l'enregistrement de ce nouvel opus et impose ici sa puissance, comme avec facilité. Le clip de "Cubensis" se révèle aussi dément que ses créateurs: on perçoit une grosse influence psychotrope dans cette video sérieusement barrée où le dauphin vengeur (sorte de mascotte du groupe) assassine les pollueurs – kidnappeurs à coup de laser vert de série B.
Les talentueux musiciens se surpassent ici, et s'aventurent bien loin dans les territoires techniques par des compositions explosives, tests sensoriels époustouflants. Ainsi, le redoutable "Contrapasso", rythmiquement exceptionnel, réconcilie le heavy classique et le côté progressif, avec même du post metal. Quel groove dans le riff, avec le côté mélodique du chant clair et le voyage prog de l'outro. Du death au sludge en passant par le jazz, on assiste à un déferlement progressif, à une vraie démonstration sans toutefois perdre l'authenticité du propos. L'esprit de Neurosis n'est pas loin, que ce soit dans les parties percutantes de "Tripolar", bien rugueux au début, où vient s'intercaler un passage fou de jazz / fusion dont Intronaut a le secret, ou dans le chant écorché de Sacha Dunable, rappelant celui de Scott Kelly, parfaitement accompagné par la rythmique très math de "Check Your Misfortune" et son groove irrésistible.
Les morceaux s'enchaînent et le constat est sans appel : Intronaut a mis la barre très haut en apportant un soin à chaque minute, chaque atmosphère, chaque pont. Les morceaux sont différents, uniques, mais aucun n'est en-dessous. La production soignée de Josh Newell et le mixage de Kurt Ballou (Converge, High On Fire) mettent en valeur cette richesse incroyable dans le son, les rythmes et les compositions percutantes. "Pangloss" est construit sur un riffing lourd qui n'est pas sans rappeler "Monstrocity" de Meshuggah, avec ça et là des contretemps, ruptures ou chutes de tonalité éminemment progressives, jusqu'à ce qu'arrive un passage atmosphérique où le superbe jeu de basse de Joe Lester, encore lui, nous emmène dans des contrées en évoquant - ou invoquant - Mastodon, d'autres illustres mentors. Intronaut les a en effet déjà accompagnés en concert dans le passé, avec d'autres grandes figures comme Between the Buried and Me ou Cult of Luna.
Intronaut sait aussi innover, avec l'utilisation sur cet album de synthés apportant une texture supplémentaire. L'intro futuriste de "Speaking of Orbs" emmène l'auditeur dans des paysages inquiétants où lourdeur et chant presque doux à la Tool laissent à nouveau place à de belles accélérations et aux monstres de riffs à la Mastodon. Il y a du moelleux, un groove imparable avec la basse ominprésente, quant au chant on est aussi dans une diversité impressionnante, les moments mélodiques laissant parfois place à du growl ! Sans s'éparpiller, ce morceau mémorable et épique trouve sa cohérence dans les passages rapides comme dans les moments plus contemplatifs, mélodiques et harmonieux. Une claque que ce morceau où l'omniprésence, la surpuissance et la précision d'Alex Rudinger derrière les fûts efface complètement les inquiétudes sur la succession de Danny Walker.
Une chose est sûre, Intronaut s'est surpassé avec ce magistral Fluid Existential Inversions, percutant de variété, à la fois sombre et lumineux, sage et fou, lourd et onirique. Le groupe lance toutefois un défi à ses fans, mais ceux-ci sont probablement rompus à l'exercice, à l'instar de tout amateur de prog : il faudra certainement plusieurs écoutes pour que toute la richesse, toutes les textures de cet album se révèlent ... progressivement. Le comble du progressif !
Fluid Existential Inversions : tracklist
1. Procurement Of The Victuals (0:55)
2. Cubensis (06:54)
3. The Cull (06:59)
4. Contrapasso (06:48)
5. Speaking Of Orbs (05:07)
6. Tripolar (06:28)
7. Check Your Misfortune (05:48)
8. Pangloss (06:35)
9. Sour Everythings (07:33)
Fluid Existential Inversions, nouvel album d'Intronaut, sort le 28 février 2020 chez Metal Blade.