C’est non pas un album, mais un double album que nous offre Heaven Shall Burn. Reprenant le même schéma que ses prédécesseurs, tels que Iconoclast (2008) ou Wanderer (2016), Of Truth And Sacrifice est un dyptique qui comporte deux volets : la vérité, et le sacrifice. Après une pause sans concert et sans album depuis quelques années, cet opus sera-t-il doublement à la hauteur des attentes des fans ?
A l'écoute des premiers morceaux, rien de nouveau sous le soleil : double pédale omniprésente, chant death un poil trop monocorde, petit fond mélodique...Fidèle à sa réputation, tout en conservant un côté mélodique, il n'y a rien à redire sur le groupe en termes de brutalité. Tant au niveau du chant que de la musique, tout y est : la double pédale, les riffs caractéristiques de Maik Weichert et Alexander Dietz, sans oublier la voix spécifique de Marcus Bischoff.
Les fans du genre apprécieront, mais pour l'auditeur qui souhaiterait un son frais, il faudra repasser...On est clairement dans la même veine que le double album Iconoclast. Et pour cause même la punchline « we are the final resistance » que l'on entend dans "Thoughts And Prayers" renvoie direcement à la première partie de ce double album de 2008. Et c'est un enchainement monotone et régulier qui commence avec une succession de chansons axées sur des riffs death bien lourds à la sauce froide nordique, ponctués de growls qui se recoupent avec des hurlements stridents...
Alors qu'on commence à piquer du nez, on se réveille avec "Expatriate": intro calme et mélodique au piano, enfin un peu de douceur! Exit le volet brutal, on passe dans un registre très mélancolique et lyrique avec un piano accompagné de violons. Choix déjà observé dans les albums précédents du groupe, mais petite particularité : le chant se fait en allemand. On aurait pu croire qu'il s'agissait un morceau instrumental, que nenni. La voix raisonne en fond, elle nous parait lointaine… Le chant scandé sur le rythme du violon nous fait très vite parvenir son message engagé, comme une complainte rap dénonciatrice. Plus le rythme est rapide et le timbre déchiré, plus les violons se font intenses. Ce petit passage d’accalmie sera de courte durée et on repart de plus belle avec le chant growlé.
Après la lourdeur du bloc des premiers titres où on est à fond tout le temps, on n'est pas mécontent de ce petit temps temps pour respirer. Mais cela ne durera pas, avec "What War Means" et "Terminate The Unconcern" on repart de plus belle dans le deathcore bien brutal : ça blaste ça blaste, la voix gutturale envahit nos oreilles. On est de nouveau dans les codes du deathcore, prévisibles à souhait, sans surprise. Toutefois, cela reste très bien ficelé et efficace. Puis on termine ce premier volet avec une note positive grâce à l'outro "The Ashes Of My Enemies". Les violons très appréciés se font entendre et ce titre instrumental nous amène vers du symphonique, ce qui n'est pas pour déplaire.
Après la première partie Of Truth plutôt fade, la deuxième Of Sacrifice pourra peut-être nous surprendre ?
L'espoir est permis puisqu'avec "Children Of A Lesser God", on est davantage dans le metalcore : guitares plus épiques à l'unisson, davantage de caisse claire, moins de double pédale. On est content de ce changement, cependant en soi on reste, encore une fois, dans les bases du style. Du metalcore classique déjà entendu et ré-entendu... Un petit passage instrumental ralenti et mélodique viendra nuancer ce titre.
Et soudain, après avoir attendu une claque après plus de quarante minutes d'écoute, on est enfin frappé en pleine poire. La deuxième piste "La Résistance" est plus que déroutante ! Dès l'introduction, on comprend qu'on a changé de crémerie. On bascule dans l'indus-dark-électro : orchestrations électroniques, un clavier type synthé, mais quel changement radical ! Les riffs accrocheurs, et la voix féminine en fonds venant chanter en français nous assènent le coup ultime dans un esprit rebel et engagé avec des paroles sans équivoque: « tant que nos yeux pourront voir ils chercheront de l’espoir. Tu ne me briseras jamais tant que je respirerai je serrerai les poings ». Voilà un titre qui va en dérouter plus d'un, et qui ramène de l'espoir face à la prévisibilité de cet album.
La suite de cette deuxième partie ressemble au schéma de la première : nuée de riffs assassins et massifs, double pédale pachydermique, variations entre chant hurlé, crié, et les growls, pour finir par la dernière piste plus calme. "Weakness Leaving My Heart" constitue l'apogée de Of Truth And Sacrifice, un espoir après un vent de désolation.
Très long, on pense écouter un morceau instrumental, mais vers les deux tiers du titre, on enchaine sur une partie qui tabasse l'oreille. Plutôt que de terminer sur un morceau divisé en deux volets de style opposés, sans transition, il aurait non seulement été intéressant de prévoir une jonction entre les deux, ou encore d'ajouter un titre intermédiaire.
Pour résumer, les connaisseurs pourront constater que le groupe n’a pas vraiment changé son fusil d’épaule. Peu de bouleversements dans le style hybride death-metalcore. Quelques variantes avec des passages comportant plus d'orchestrations, ou certaines pistes dans un registre plus orienté vers le mélodique ou le core. Mais la voix est rarement nuancée : ça crie et ça reste monocore. Heureusement, la force de ce groupe réside dans ses paroles engagées. Les Allemands ont voulu dénoncer l'hypocrisie de la «vérité» à l'ère moderne, qu'elle soit diffusée sur les médias sociaux ou par les dirigeants du monde libre, est insupportable à voir. Pour corriger le tir dénoncé dans Of Truth, un «sacrifice» sera nécessaire pour garantir la victoire sur le déclin de l'humanité.
En réalité, si musicalement il n'y a pas de quoi casser trois pattes à un canard, le message délivré n'en demeure pas moins pertinent. Heaven Shall Burn dénonce ces personnes qui sacrifient la vérité et préfèrent l'ignorance afin que leur quotidien n'en soit pas affecté. Les Allemands pointent non seulement du doigt ceux qui préfèrent croire au mensonge pour continuer une existence aveugle dans la nescience, mais ils s'insurgent également contre ceux qui sont élevés dans cette cécité. Faire le choix de ne pas voir est révoltant, mais le plus écoeurant est peut-être de constater qu'il ne s'agit pas d'un choix, mais bien d'un conséquence de l'éducation donnée dans cette société où la vérité ne cesse d'être grimée.
Aussi, face à l'absence de contraste des chansons de Of Truth and Sacrifice, certains titres sortent du lot parmi lesquelles "La Résistance" qui est une véritable pépite originale. Ou encore, "Thoughts And Prayers" qui est un morceau sans faute, exécuté d'une main de maître. Mais il est dommage que, dans l'ensemble, les pistes ne marquent pas l'esprit de l'auditeur, et se fondent dans une écoute linéaire. Le véritable intérêt de ce double album résulte du message dénonciateur de la dégénérescence du genre humain.
Il n'en demeure pas moins que, face à ce bloc de titres de plus d'une heure et demi, bien trop homogène, on aimerait bien qu'Heaven Shall Burn change un peu le menu qui n'a pas vraiment varié depuis plus de dix ans. Il faut savoir se renouveler pour continuer de susciter l'intérêt de son public qui commence à se lasser.
Heaven Shall Burn "Of Truth And Sacrifice" - sortie le 20 mars 2020 via Century Media Records
Tracklist :
I. Of Truth :
01. March Of Retribution
02. Thoughts And Prayers
03. Eradicate
04. Protector
05. Übermacht
06. My Heart And The Ocean
07. Expatriate
08. What War Means
09. Terminate The Unconcern
10. The Ashes Of My Enemies
II. Of Sacrifice :
01. Children Of A Lesser God
02. La Résistance
03. The Sorrows Of Victory
04. Stateless
05. Tirpitz
06. Truther
07. Critical Mass
08. Eagles Among Vultures
09. Weakness Leaving My Hear