22 février 2020, le festival Cernunnos a débuté depuis quelques heures lorsque La Grosse Radio rencontre Johnny Hedlung, chanteur et bassiste du groupe Unleashed, un des précurseurs du death metal suédois. La raison de la présence du groupe dans un tel festival : les thèmes vikings abordés dans les paroles des chansons de manière constante.
Johnny arrive à l'espace presse en compagnie de son accolyte Tomas Måsgar, le guitariste rythmique du groupe, qui repart en lui disant : "Je te laisse en de bonnes mains".
Salut Johnny et merci d'accorder du temps à La Grosse Radio. Tout d'abord bienvenue en France, comment se passe votre séjour au Cernunnos jusque là ?
Johnny : Bien, bien ! En fait nous ne sommes arrivés qu'il y a deux heures. Parfois c'est bien d'avoir l'occasion de dormir un peu, tu vois ? Pour les derniers concerts qu'on a faits en Europe, nous avions des vols pour lesquels nous devions nous lever à 3h du matin et c'est plutôt chiant en fait ! Donc cette fois je suis un peu plus réveillé je n'ai pas eu besoin d'aller à l'hôtel pour dormir.
Vous avez fêté votre trentième anniversaire avec un concert spécial le 8 février dernier à Stockholm.
Johnny : Oui c'était l'année dernière en fait, en novembre, on n'a pas pu le faire avant.
Comment l'avez-vous vécu ?
Johnny : Oh c'était bien, c'était génial. Quand on joue à Stockholm, qu'on est un groupe suédois et que certains d'entre nous vivent à Stockholm, la moitié de l'audience ce sont nos amis tu sais ! (rires) Donc tu connais les noms de beaucoup de monde.
Vous avez une communauté de fan ou quelque chose comme ça ?
Johnny : Oui oui ! Ouais c'était bien, il y avait du monde qui venait d'ailleurs aussi évidemment., d'autres pays. C'était vraiment une bonne soirée, on a joué 1h30, ce qui est plutôt beaucoup pour du death metal je dirais.
Vous êtes un des groupes les plus connus de death metal suédois, et pourtant vous ne tournez pas trop, vous faites principalement des festivals. Pourrais-tu l'expliquer ?
Johnny : Tout revient au sujet du temps et de la famille. Quand on était jeunes on jouait beaucoup dans des tournées, mais j'imagine que depuis qu'on est devenus plus vieux, qu'on a eu des enfants, il fallait garder un certain équilibre. Parfois on aimerait faire une tournée un peu plus longue, mais après quand on prend du recul, si on doit être loin de la famille pendant un mois, il y a tellement de choses lors du retour à la maison qui ne fonctionnent plus, donc oui c'est un équilibre. A partir du moment où on a commencé à faire juste des festivals, on part pour quelque chose comme une fois ou deux fois par mois, et on apprécie la chose un peu plus je dirais.
Vous êtes plus en forme ?
Johnny : Oui on a plus d'énergie et j'aime bien ça. En tant que groupe de metal, tu es en quelque sorte dévoué aux tournées, et c'est comme ça qu'on a commencé. Mais d'un autre côté c'est bien d'avoir vraiment l'envie quand tu vas jouer parce que si tu fais 30 concerts en 35 jours tu ne ressens pas la même chose.
Et tu penses que vos fans ont envie de vous voir plus souvent ?
Johnny : Je sais que beaucoup de gens aimeraient qu'on aille jouer dans beaucoup de lieux différents évidemment, mais encore ne fois il faut que ça fonctionne pour la famille et les enfants. Quand j'avais 25 ans, tout ça n'avait pas d'importance, je m'en fichais. J'avais même pas besoin de gagner de l'argent parce que j'avais 25 ans et j'avais un petit appartement. Je pouvais aller jouer et revenir et j'avais presque pas de factures à payer, pas de bouches à nourrir à part la mienne, je pouvais vivre avec une putain de bière et tout ce qui pouvait arriver sur la route. C'est une énorme différence.
Vous n'êtes pas souvent venus en France, que pensez-vous du public français ?
Johnny : On a toujours passé du bon temps en France, de bons spectacles aussi. On a d'ailleurs joué à Paris pas mal de fois, dans le passé du moins. Mais comme j'ai dit avant, si tu ne fais pas de tournées, genre des longues tournées, pour retourner dans une ville dans laquelle tu as déjà joué cela peut prendre deux ou trois ans. Si tu fais une tournée, genre quatre ou cinq mois par an, alors tu peux être certain que tu joueras probablement toujours dans la même ville. Donc c'est comme ça malheureusement.
Que penses-tu de l'idée d'un festival comme le Cernunnos ?
Johnny : Je trouve ça charmant, j'aime bien. Tu as toutes sortes de choses ici et je trouve ça sympa, ce sont de bonnes installations.
Il y a des groupes que tu aimerais voir ?
Johnny : Heidevolk bien entendu ! Ouais ça va être sympa. Comme on n'a pas joué ici avant, c'est également une nouvelle expérience. J'aime bien ça si tu vas dans des festivals, qui, étrangement, sont des festivals dans lesquels nous n'avons jamais joué et c'est un peu étrange, parce que je fais ça depuis 30 ans (rires). Ouais c'est plutôt étrange. Mais c'est marrant !
Maintenant, par rapport à vos quatre derniers albums, de Yggdrasil Trembles à The Hunt for White Christ, ce sont des albums concepts, tirés d'un livre que tu as écrit pour toi et que tu n'as pas fini. Est-ce quelque chose que tu veux continuer ? Quelque chose que tu apprécies et dont tu as eu de bons retours ?
Johnny : Ouais on vient d'en parler justement et je pense qu'on va continuer pour le prochain album. On en a beaucoup parlé récemment. Et je pense que oui ! C'est comme une sorte de film dans ma tête qui se joue, et quand j'écris je peux extraire des éléments de ce film. Il y a tellement de choses que je n'ai pas encore pensées donc c'est une bonne continuation. Mais on verra, pendant combien de temps, je ne sais pas, tu sais c'est une surprise pour moi aussi (rires) mais si les autres du groupe aiment ça alors on va probablement continuer comme ça.
Est-ce que tu peux expliquer ce concept en quelques mots ?
Johnny : Oh tu parles du concept général ? Le concept entier a été construit à partir d'un livre appelé The World Of Odalheim et Odalheim est un monde dans le futur. C'est d'ailleurs notre monde mais dans le futur. Le concept c'est que ce monde futur ne ressemble pas du tout à celui dans lequel on vit aujourd'hui parce que c'est après une catastrophe. Dans ce monde, il y a quelques survivants et les guerriers de Midgard en font partie. Ce sont les metalheads qu'on connaît tous. C'est une famille de metalleux de partout dans le monde qui sont tous liés, parce qu'ils n'ont pas le choix, ils ont un ennemi commun qui est le Christ Blanc. Et il y a d'autres ennemis à venir, mais c'est le principal. Donc le monde ne ressemble pas vraiment à aujourd'hui et il n'y a plus beaucoup de monde mais il y a certaines choses qui sont plus ou moins les mêmes : quelques valeurs de la tradition viking que j'ai ramenées dans le futur. Voilà les bases du concept.
Il y a un lien avec la mythologie nordique, es-tu toi même un croyant, un pratiquant ? Tu es odiniste, non ?
Johnny : C'est une question à un million de dollars parce que ça dépend de ce que tu veux dire par là. J'irais pas jusqu'à dire que je crois en ces choses, cela signifierait que je doive comprendre une histoire qui a quelque chose comme neuf heures de récit dont je devrais être capable de parler. Mais oui j'accorde vraiment de l'importance dans la tradition viking et les valeurs qui viennent avec. J'écris des histoires et des chansons là-dessus depuis trente ans donc oui je pense qu'on pourrait dire que c'est ce en quoi je crois. J'irais même plus loin et je dirais que c'est ma façon d'agir, de me comporter. Parce que si tu dis que tu crois en quelque chose, ça signifie que tu doives t'aligner avec quelque chose qui a des valeurs que tu devras intégralement faire comprendre à n'importe qui et je ne peux pas faire ça en quelques minutes. Mais pour ce que j'ai écrit dans les trente dernières années, c'est ma façon de me comporter, donc je dirais que j'agis conformément aux valeurs des vieilles traditions viking. Le but de se comporter comme tel c'est aussi le but d'essayer de le vivre et j'essaie de faire ça selon mes connaissances.
J'ai lu que tu avais dit que l'héritage de ces traditions viking avait complètement disparu dans les écoles en Suède, est-ce vraiment le cas ?
Johnny : Oui tu ne peux rien lire là-dessus dans les écoles suédoise, ça n'arrivera plus. Ah si en fait tu peux un petit peu quand tu es jeune mais c'est comme lire des bandes dessinées, vous avez probablement des bandes dessinées en France comme par exemple Donald Duck, c'est comme ça qu'ils font à l'école. Donc c'est fait pour être divertissant, c'est pas du tout pris au sérieux et les enfants ne se l'imaginent pas comme je suppose la plupart des gens ici (NDLR : au Cernunnos) imaginent à quoi ça devrait ressembler ou comment ça devrait se présenter. Donc c'est juste quelque chose de divertissant, et c'était la même chose quand j'étais jeune, quand j'étais à l'école. Et c'est pour ça que j'ai commencé à faire ce que je fais, parce que je pensais que c'était plus que de simple histoires drôles et même si certaines d'entre elles sont sympa. Je pense que le système scolaire de l'Etat ne veut plus rien avoir à faire avec ça. C'est facile pour eux de juste couper les ponts définitivement. Des histoires et du divertissement, c'est pour les enfants, rien de plus. Ce n'est pas une manière de vivre (NDLR : la tradition viking), ils ne l'aiment pas. C'est pourquoi j'ai commencé il y a trente ans à lire, écouter ce que mon père me disait sur ce que c'était vraiment. J'essaie d'écrire de petites histoires moi-même dans toutes nos chansons depuis toutes ces années.
Tu dis que les gens ici ne voient pas les viking de la même façon que les gens "normaux", penses-tu que dans la culture contemporaine où on voit des vikings partout, notamment avec la série Vikings par exemple, il y ait des choses mal interprétées ou de fausses idées ?
Johnny : Je ne suis pas sûr à propos de la série télé, je pense que c'est un bon divertissement, je ne sais pas quoi en penser.
Par exemple tu portes Mjöllnir, le marteau de Thor, en collier, et beaucoup de gens portent ce signe, penses-tu qu'ils soient conscients de la vraie origine, la vraie signification ?
Johnny : Je pense qu'il y a de la profondeur dans tout ça. Il n'y a pas de livre sur la tradition viking, il n'y a pas de Coran, pas de Bible...
L'Edda ?
Johnny : Oui, c'est vrai, et ça raconte des histoires différentes mais ce n'est pas tout, ce n'est pas tout ce qu'il y a à savoir. On s'imagine tous notre propre image de... (NDLR : il le dit en suédois puis explique) comme une passation de la tradition. Si je te dis quelque chose et après tu le dis à un ami qui le dira à ses enfants qui eux-mêmes le diront à leurs enfants, et c'est comme ça que ça se passe pour la tradition viking. Dans mon monde, les valeurs des traditions vikings sont plus un mode spirituel qu'autre chose. Ca signifie que tu peux habiter au Mexique et te plonger là-dedans, c'est pas grave, tu n'as pas à être originaire de Suède. Tu peux venir de Paris, c'est un état d'esprit, c'est quelque chose que tu adores, que tu apprécies, quelque chose qui te tient à coeur, et que tu te réprésentes. Et c'est comme ça que je vois les valeurs de la tradition viking. ça n'a pas vraiment d'importance d'où tu viens, vraiment. L'histoire de Vikings, d'accord c'est en Scandinavie, mais...
Un de nos photographes présente Johnny à un fan de longue date qui a vu leur premier concert en France en 1991, petite séquence émotions NDLR.
C'est la fin de notre entrevue. Qu'est-ce que ça te fait de voir un fan dévoué comme lui ?
Johnny : C'est fantastique, c'est la raison pour laquelle je continue. Plus tu deviens vieux, plus c'est incroyable. Je ne sais presque pas quoi dire parce que quand tu vas quelque part où tu n'es jamais allé et que tu vois quelqu'un te dire "je vous ai vus il y a trente ans", ça laisse une marque en moi. Je suis là : "Moi ?... Je n'ai rien fait !" Mais c'est fantastique, je vais rentrer à la maison et raconter ça à ma femme.
Merci beaucoup Johnny, c'était un plaisir de te rencontrer.
Johnny : Merci ! C'était sympa de discuter avec toi.
Photos : Arnaud Dioniso
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