Tout comme son ancien comparse Steve Vai, avec qui il enregistra le désormais mythique Sex & Religion il y a maintenant presque vingt ans, Devin Townsend nous présente ces jours-ci son nouvel album ! Toute nouvelle fournée du génie Canadien est attendue comme le Messie elle aussi, et c’est ainsi que cette lourde épée de Damoclès pèse également sur la tête de notre ami aujourd’hui. A mesure que les jours raccourcissent et que l’âtre recommence à brûler dans nos petites chaumières, l’ami Devin choisi d’opérer quant à lui une virée interstellaire pour sceller son comeback.
Epicloud est ainsi le quinzième album solo de Townsend (et le cinquième de la série des Devin Townsend Project) et il faut avouer qu’il s’avère assez déroutant aux premières écoutes. En effet, il est dans un premier temps très dur de placer une étiquette sur le style délivré ici (car force est d’admettre que nous aimerions tous pouvoir qualifier chaque musique) : croisée des chemins entre metal progressif, rock progressif, metal atmosphérique, new age, musique expérimentale, ou bien tout simplement nerdcore comme il se plaît lui-même à qualifier sa production, l’ami Devin promet encore d’expérimenter des sentiers peu battus. Un chœur gospel des plus incongrus nous accueille tout en faisant l’éloge de la « qualité effervescente ». Mais qu’est-ce ? C’est que notre Canadien déjanté aime également inventer son langage ! "True North" donne ensuite le ton avec sa mélodie assez typée jeux vidéos japonais, avec pour hôte de charme la merveilleuse Anneke Van Giersbergen que l’on ne présente plus (The Gathering, Ayreon, Agua de Annique entre autres) qui scande « I love you, I need you, I’ll always be around you» en guise d’introduction intergalactique. Il faut croire que la collaboration des deux s’est avérée plus que fructueuse puisqu’ils décident de remettre le couvert ici, après l’album Addicted (2009) sur lequel elle était la vocaliste principale.
Comme à son habitude, la voix d’Anneke nous voyage et sert de fil conducteur au fil des treize titres qui composent l’album. Mais l’ami Devin n’est cependant certainement pas en reste, et il prouve une fois de plus l’étendue de son talent de chanteur. Car non seulement son registre est vaste, allant des grognements de style metal extrême (comme sur "More !" ou "Grace" par exemple) aux envolées atmosphériques ("Where We Belong", "Divine") voire au chant opératique le plus grandiose ("Lucky Animals", "Kingdom"). Tel un caméléon, il endosse tour à tour les différentes facettes de son style o’ combien versatile et brasse le tout avec intelligence, tant et si bien qu’il produit une nouvelle fois un album complexe, étrange et qui ne ressemble à rien d’autre qu’à… lui-même. Pour ne pas changer, on retrouvera bien-sûr ici son si caractéristique son des guitares : un véritable mur du son, avec pas mal d’effets et de reverb planante. Et surprise : sur le titre "More !" l’auditeur aura même le plaisir de découvrir un petit solo de guitare très bien pensé, fait plutôt rare chez Townsend, ce dernier arguant qu’il ne voit guère l’intérêt du shred et qu’il ne se fend d’un solo uniquement si le contexte l’appelle. Côté musiciens, on retrouvera à nouveau ici Ryan Van Poederooyen à la batterie, Brian Waddell à la basse et Dave Young à la guitare et aux synthés (en complément de Devin) qui font une fois de plus totalement corps avec la musique du génie Canadien.
Véritable coup de maître, Epicloud surprendra cependant, comme je vous le disais, aux premières écoutes, déroutera même. Car s’il semble d’emblée plus pop que ses prédécesseurs, tant dans la composition que quelque peu dans la production également, l’intensité caractéristique de toute œuvre de son géniteur est cependant bien présente, et il ne faut ainsi pas se fier aux apparences : les thèmes, même s’ils sont scandés par un chœur gospel omniprésent, laissent apparaître une part belle faite à l’introspection sur ce disque. Et c’est ce même chœur gospel qui clôt l’album, sur le titre "Angel", de la plus douce manière qui soit. Et là on ne peut s’empêcher de penser à ces vers de Shakespeare résumant le mieux toute œuvre théâtrale ou, en l’occurrence ici, théâtralisée, mis dans la bouche du magicien Prospero : « Maintenant voilà nos divertissements finis ; nos acteurs, comme je vous l’ai dit, étaient tous des esprits ; ils se sont fondus dans l’air, en air subtil (…) ; Et comme s’est évanoui cet appareil mensonger, ils se dissoudront, sans même laisser derrière eux la trace que laisse le nuage emporté par le vent. Nous sommes faits de la veine substance dont se forment les songes, et notre chétive vie est environnée d’un sommeil. » (La Tempête, acte IV, scène 1). Bonne nuit les petits !
Mention spéciale pour un artiste hors-norme, tellement rafraîchissant dans un paysage musical si morne et prévisible. On ne peut que prendre exemple sur une création si métissée, à la liberté artistique indéniable (n’oublions pas que Townsend avait tout de même dit ‘non’ à la proposition de rejoindre le groupe Judas Priest à l’époque du départ de Rob Halford, pourtant une de ses idoles, disant qu’il préférait de loin conserver sa liberté de création musicale plutôt que de succomber au chant des sirènes d’un succès de masse). Que l’on aime ou que l’on aime pas, telle n’est pas la question car Devin Townsend fait partie de ces artistes torturés qui ne vivent que par la musique et pour la musique. Dans une époque où beaucoup feignent la folie artistique sans en être crédibles pour autant, on ne peut que saluer la dernière production de notre Canadien comme il se doit en ne lui attribuant que ce qui lui est dû : un 10/10 !
A noter : il existe également une édition de luxe (mais limitée à 5000 copies) astucieusement intitulée Epiclouder et contenant un deuxième CD remplis de démos. Avis aux amateurs !