Tuomas Holopainen, claviériste et leader de Nightwish

"Ce qui manquait, sur l’album précédent, c’était des parties où on pouvait voir le potentiel vocal de Floor. Elle est hors normes et peut tout faire. Donc on s’est dit, il faut la mettre en lumière et faire un album taillé pour elle."

C’est par un jour neigeux de février que Tuomas a bien voulu se prêter au jeu des interviews, afin de promouvoir le nouvel album de Nigthwish intitulé Human. :||: Nature. , à paraître le 10 avril chez Nuclear Blast. Le claviériste et compositeur principal du groupe nous a répondu à sa façon, avec son aura mystérieuse et ses phrases concises.

Vous avez récemment sorti Decades : Live in Buenos Aires, qui retrace une tournée particulière puisqu'elle revisitait vos 20 ans d’existence. Est-ce que ce concept vous a influencés?

D'une certaine façon oui : quand nous avons arrangé les nouveaux morceaux, on a fait pas mal de nouvelles harmonies avec Troy et Marco, comme par exemple sur "Come Cover Me". Pendant les répétitions, nous avons trouvé ça génial et nous n’avions jamais utilisé ce genre d'arrangement auparavant et cela se retrouve sur le nouvel album.

Quelle a été votre source d’inspiration principale car ce qui frappe quand on écoute cet album pour la première fois, c’est qu’il est très différent de ce que vous avez pu faire sur les autres opus ?

On voulait faire un album jumeau à Endless Forms Most Beautiful, c'est une sorte de suite. Quand on a fini cet album, il y a cinq ans, on s'est dit qu'on pouvait encore dire des choses sur la science et les autres thèmes développés. Sinon, nous avons été inspirés par la nature, l'humanité, et le fait de raconter la vie des gens

Avez-vous utilisé des idées que vous aviez laissées de côté?

Non, on ne fonctionne pas de cette façon. Tout ce qu'on a fait, on l'a mis dans cet album donc il n’y aura pas de chanson bonus ou de b-sides.

Vous avez enregistré cet album dans trois studios différents. Pourquoi avoir choisi ces studios en particulier et en quoi ont-ils influencé le son?

On utilise les mêmes studios depuis plusieurs années parce qu’on connaît les gens qui s’en occupent et les lieux. On connaît aussi l'acoustique et ceux qui font le mix. Donc pourquoi changer une formule qui marche ? La plupart a été enregistré au « campside », c’est là où nous répétons avant d’enregistrer. Nous avons notre propre studio. Puis pour la batterie, nous avons enregistré aux studios Petrax à cause de l’acoustique. Et enfin, l’orchestre a été enregistré à Londres.

C’est le premier album avec Kai vraiment aux commandes, comment est-ce que ça a influencé l'album par rapport aux précédents?

Chaque membre apporte toujours sa patte. Pour l'album précédent, Kai remplaçait simplement Jukka donc il devait sonner comme Jukka. Mais là, il est devenu un  membre permanent, donc il s'est lâché. Jukka avait un jeu plus punchy alors que Kai est plus technique ce qui donne des rythmes et des "fills" bien plus alambiqués.

Alors justement, on peut entendre un travail bien plus important sur les percussions, c’était quelque chose de prévu au départ ?

Cela était prévu pour certains morceaux qui nécessitent des percussions pour ajouter quelque chose à l’histoire comme "Music" et "Tribal". Nous sommes dans l’univers de la préhistoire donc il fallait des percussions. Mais nous ne nous sommes pas dit : tiens on va mettre en mettre plus pour plaire à Kai, il faut que cela serve les chansons en elles-mêmes.

L’autre membre qui brille dans cet album est bien sûr Floor. Les parties chant sont extrêmement exigeantes. C’était quelque chose que vous aviez décidé au départ ou c’est venu en cours de composition ?

Ce qui manquait, sur l’album précédent, c’était des parties où on pouvait voir le potentiel vocal de Floor. Elle est hors normes et peut tout faire : des parties de "Floorgasme" aux mélodies les plus douces en passant par des choses lyriques ou même du growl. Donc on s’est dit, il faut la mettre en lumière et faire un album taillé pour elle.

Et au niveau des mélodies, vous pensiez à elle, à sa technique ou vous vous êtes laissés porter par les compositions et ensuite vous vous êtes dits : on verra, laissons-là se débrouiller ?

Le moment le plus effrayant, c’est lorsque j’envoie les démos aux membres du groupe et qu’ils entendent l’album pour la première fois. Je leur donne deux jours pour avoir leur retour sur les chansons et ce sont les deux jours les plus stressants. Car ce qu’ils pensent de l’album est le plus important et je veux qu’ils accrochent à mes compositions. En efft, nous serons en quelque sorte tous mariés à ces chansons, que ce soit pour l’enregistrement ou pour la tournée.

Et donc deux jours après, elle ne s’est pas plainte de la difficulté des morceaux ?

Non, pas une seule fois, ça a d’ailleurs été la plus enthousiaste justement parce que le chant était particulièrement de haut niveau et qu’il y avait beaucoup de paroles à apprendre. Mais elle m’a dit directement : "je vais commencer à répéter". Et donc avant même les répétitions générales, elle s’était déjà entraînée pendant un mois et a continué encore pendant un mois supplémentaire avant l’enregistrement.

Par contre Marco est vraiment en arrière plan sur cet album

Oui, il chante principalement sur "Endlessness". Mais au final, Floor, Troy et Marco sont présents sur tous les morceaux pour les chœurs notamment …

…et donc comment décidez-vous du rôle de chaque chanteur ?

Quand je compose un morceau, à un moment, je sens si je dois avoir une voix féminine ou masculine. Ca se fait de façon naturelle. Pour "Endlessness" qui est midtempo et assez sombre, Marco était le choix le plus évident puisqu’il adore ce genre de chanson. "Harvest" par contre avait une ambiance celtique et la voix de Troy fonctionnait mieux. Même chose pour les couplets de "Shoemaker" à cause des paroles.

Nightwish, Auri, Tuomas Holopainen, interview, nuclear blast

Le deuxième disque est une grosse surprise qui va vraiment surprendre les fans de Nightwish. Est-ce que ce type de composition présage un changement ou est-ce que vous avez saisi cette opportunité et cela ne se répètera pas ?

Je ne sais pas du tout mais ce que je peux dire c’est que nous sommes six dans ce groupe et que sur le deuxième disque, presque personne n’intervient donc, cela serait difficile pour nous de ne faire que ça. Par contre, nous nous sommes rendus compte que la discographie du groupe ne comportait pas de composition telle que "All The Works Of Nature Which Adorn The World" et c’était un bon moyen de finir l’album avec une suite symphonique.

Alors allez-vous jouer cette question en live?

Non je ne pense pas, que ce soit le morceau entier ou même juste une partie.

Un bon moyen de la jouer serait de faire une tournée avec orchestre. Lors d’une précédente interview, vous aviez dit que vous vouliez attendre le prochain album. Le voici, alors y avez-vous pensé ?

On y pense oui mais on ne le fera pas sur cette tournée. Si on le fait, il faudra que ce soit quelque chose d’exceptionnel et pas juste un concert dans un festival. Plein de groupes ont déjà joué avec un orchestre, et ils l’ont très bien fait, donc si on décide de le faire, on doit se démarquer. C’est quelque chose de prévu mais pas dans le futur proche. Néanmoins, j’adore cette idée de jouer cette suite symphonique pour un festival de metal : 50 000 personnes en train d'écouter 30 minutes de symphonie. (rires)

En parlant de cette prochaine tournée, va-t-elle reposer essentiellement sur Human. :||: Nature. ou va-t-elle aussi s’inspirer de titres bien plus anciens comme sur Decades.

Ca sera forcément un mélange de nouveaux morceaux et d’anciens. Je trouve ça assez barbant quand un groupe se focalise sur un album en entier ou 90%. Nous jouerons donc quatre ou cinq morceaux et nous piocherons dans le reste de la discographie.

Et avez-vous déjà pensé aux visuels ? Car l’iconographie de cet album est assez puissante.

Et bien justement, j’ai eu la production au téléphone hier pour le tournage des illustrations visuelles et pour la pyrotechnie.

Comment choisissez-vous l’ordre dans lequel les chansons apparaissent sur un album ?

Nous savions dès le départ que "Music" et "Noise" seraient les morceaux parfaits pour démarrer l’album. Après, il faut faire en sorte que la tension ne retombe pas. Et au final tout le monde était d’accord.

Et cela se fait assez naturellement ou vous essayez différentes combinaisons ?

En general, ça vient assez rapidement. On a juste essayé d’inverser "Shoemaker" avec "Tribal" mais ça fonctionnait moins bien alors on a gardé l’ordre originel.

Cet album a été présenté comme un album concept, même si ce n’en est pas vraiment un…

Oui c’est une question de sémantique : pour moi un album concept contient un thème, une histoire qui lie toutes les chansons. Ce serait plus un album thématique où tous les morceaux tournent autour d’un thème.

Aimeriez-vous faire un vrai album concept ? Imaginaerum s’en approchait mais ce n’était pas une vraie histoire, contrairement à ce que vous avez développé dans le film.

Il faudrait qu’on trouve une histoire qui serait vraiment intéressante. Ce n’est pas impossible mais il faut trouver le bon scénario.

Puisqu’on parle de littérature, vous avez récemment sorti "Noise" qui fait référence aux œuvres dystopiques puisque les paroles mentionnent "Le Meilleur des Mondes", "Black Mirror" et "Le Labyrinthe"…sans parler du clip. C’est quelque chose qui vous touche ?

Je ne vois pas ce morceau comme dystopique mais plus comme quelque chose d’actuel. Par contre, il est clair que j’ai été inspiré par "Black Mirror". Charlie Brooker, le showrunner, est un génie et c’est pour moi la meilleure série du monde. Et puis nous l’avons choisie pour notre premier single car il y avait moyen de faire un clip très sympa.

Et justement vous avez d’autres vidéos de ce genre en stock ?

Non, la prochaine vidéo sera une lyric video pour "Harvest". Nous n’avions pas le budget nécessaire pour refaire un clip aussi couteux.

En parlant de Black Mirror, quelles sont vos relations avec les nouvelles technologies ?

J’adore cela et je suis très fier de ce que l’être humain a pu réaliser en ce qui concerne la science et la médecine par exemple. Mais je suis assez frustré de voir comment certains utilisent ces outils. Les smartphones sont des objets merveilleux pour diffuser des informations, pour rester en contact. Et même les réseaux sociaux sont intéressants car chacun peut exprimer son opinion en tweetant par exemple. Mais cette vidéo porte plus sur l’addiction que nous avons et présente un scénario catastrophe.

Et justement vous n’êtes pas actif sur les réseaux sociaux…

…non je ne l’ai jamais été.

Et donc, comment est-ce que vous gérez tout ça, est-ce que vous lisez quand même les commentaires sur les albums etc…

Non, pas tellement je lis parfois les discussions et les commentaires sur Youtube pour un peu sonder l’opinion mais à chaque fois que je le fais, je me jure de ne plus jamais le faire.

Pourtant vous l’avez quand même fait pour le dernier single (rires) …

Oui mais c’est comme quand une dent vous fait mal, vous ne pouvez vous empêcher d’essayer de la toucher et de la gratter (rires).

Sur l’album figurent donc une oeuvre instrumentale d’une trentaine de minute, des morceaux qui font plus de cinq minutes, des mesures asymétriques … cela tend à rapprocher l’album d’un style plus progressif. C’est quelque chose que vous vouliez faire ou ça s’est fait par hasard ?

Non ce n’était pas quelque chose d’envisagé au départ, ça s’est passé comme ça sans qu’on y réfléchisse. Les chansons s’écrivent d' elles-mêmes. Mais je suis d’accord avec toi, je pense que c’est l’album le plus progressif que nous ayons fait. En y repensant, certains morceaux ont des structures complexes, "Music" doit être composé de quarante parties différentes par exemple.

Et justement, sur des morceaux aux différentes atmosphères, qui s’éloignent de la structure pop couplet/refrain/couplet/refrain, comment composez-vous ces morceaux ? En une seule fois ou vous composez des riffs et des petites parties que vous assemblez ensuite ?

Non j’essaye de me concentrer sur une chanson à la fois. Je n’ai pas de fichiers audio avec des riffs et des mélodies que je choisis ensuite par ci par là.

Une des nouveautés sur cette album c’est le rôle des claviers avec notamment ce côté un peu metal indus avec des arpèges technos …

… oui j’adore ce genre d’arpèges …

C’est quelque chose qui vient de groupes en particulier ?

En fait j’ai toujours adoré les arpèges rapides, depuis mon plus jeune âge et on n’avait jamais utilisé ce genre de choses. Il était temps.

Et donc ça vous a donné envie d’en utiliser plus à l’avenir ?

Ca dépendra du morceau et de comment ça se présente.

J’ai remarqué que vous utilisiez des instruments relativement vieux comme le Korg Karma sorti il y a presque vingt ans et même encore plus vieux avec le Korg N364 sorti en 1996. Et puis vous jouez aussi sur le nouveau synthétiseur de Korg, le Korg Kronos. Pourquoi ce choix de jongler entre des synthétiseurs récents et de vieilles machines.

Je suis toujours un peu old school, j’aime changer mes samples en appuyant sur un bouton et non avec une pédale comme on me le conseille et j’ai même fait la démo d’Endless Forms Most Beautiful sur une disquette. Mais actuellement c’est vrai que j’utilise le Korg Kronos pour la qualité de ses sons. Sinon je ne sais toujours pas comment Pro Tools marche (rires).

Passons maintenant à votre session photo au Natural History Museum, vous êtes le premier groupe à avoir été autorisé…

Le deuxième plutôt, la presse a dit que nous étions le premier mais nous sommes le deuxième…

Comment est-ce que cette idée a germé ?

Avec le thème de l’album, on s’est dit que ça correspondrait très bien. J’ai une amie, Joanne Cooper qui y travaille et elle a obtenu l’autorisation pour nous de faire une session photo de quatre heures dans le musée en dehors des heures d’ouverture.

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Pour cette dernière question, qu’en est-il de votre projet Auri ?

On pense enregistrer au début de l’année prochaine pour une sortie en automne.

Et vous allez réussir à caser tout ça avec la tournée de Nightwish ?

C’est Johanna qui s’occupe de la plupart des morceaux. Elle en a déjà fait 3-4 et moi un morceau, ce qui nous fait quasiment un album. Il faut encore qu’on les bidouille, qu’on les arrange et qu’on les enregistre. Donc automne 2021 me semble une date raisonnable.

Et ce sera dans le même style, je suppose

Je n’ai pas encore entendu les morceaux de Johanna mais je suppose que oui.

Et en ce qui concerne un autre album solo, une suite pour Picsou ?

Non c’était vraiment un album unique et je ne me vois pas refaire un album solo. Si on me proposait une bande originale, pourquoi pas mais pour moi un album solo, ça suffit.

Un grand merci à Tuomas pour sa disponibilité et à Valérie de jmtconsulting pour l'interview.

 

Photos : DR Nuclear Blast



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