Pendant cette période où tout est à l'arrêt, La Grosse Radio a pris des nouvelles du duo post metal Dragunov qui sortait il y a quelques mois son second album Arkhipov, véritable plongée dans un univers post-apocalyptique, sibérien et oppressant réminiscent des heures sombres de la Guerre Froide. Sébastien (guitare) et Tristan (batterie) se sont confiés sur leur actualité mais aussi et surtout sur ce que signifie être musicien en ces temps si particuliers...
La Grosse Radio : Commençons avec un « point confinement » : comment ça se passe pour vous en ce moment ? Comment allez-vous, et est-ce que vos plans concernant Dragunov ont été changés ?
Seb : Pour ma part, tout va bien. J’ai la chance d’avoir un jardin, et je suis en télétravail à plein temps. Mais ça me laisse du temps pour bosser la gratte et écouter pas mal de nouvelles sorties, groupes et albums que je n’ai jamais eu le temps d’écouter ! Concernant les plans de Dragunov, nous avons eu deux dates annulées pour l’instant.
Tristan : Oui, une date à Tours avec nos potes de Disruptors, pour la sortie de leur album, et une autre pour un événement privé qui aurait été très drôle comme date, je pense, je t'en parlerai tout à l'heure ! Et on a deux dates qui risquent de sauter en juillet, où on devait jouer avec le groupe américain Pound. Donc ca commence à faire un peu chier ! Après, comme le disait Seb, ça nous laisse quand même beaucoup de temps pour faire de la promo pour Dragunov via internet, pour peaufiner notre technique et préparer des vidéos : la vidéo de la tournée, le clip de "65-76". Et du temps pour préparer la suite, niveau concerts, promo, etc. Même si c'est compliqué, on y reviendra ! Personnellement, je suis content de ne plus aller taffer.
Quel regard portez-vous sur les bouleversements actuels, et de la façon dont le monde de la musique est touché ?
Seb : On remarque bien que notre société tourne à l’envers, le monde doit changer, mais il faut espérer que ce soit dans le bon sens. Il faut sortir de ce monde du profit, de la performance, de la consommation, revenir aux choses simples. En tout cas cela permet aux gens de réfléchir sur leur existence, sur ce qu’ils veulent vraiment et de remettre les choses à plat. Car clairement il ne faut pas revenir « comme avant ». L’après-crise va être compliqué, mais j’ai espoir.
Concernant le monde de la musique (et culturel en général), c’est tout de même chaud ! Beaucoup ne peuvent pas tenir car ils n’ont plus du tout de revenus… Les festivals prennent de gros coups durs, le Hellfest réussit à tenir grâce à ses préventes et à une bonne trésorerie, malgré le sale coup de leur assurance. Ça va être un sacré bordel le jour où les concerts vont repartir, car tout sera en même temps !
Tristan : Comme je disais, personnellement, je suis content de ne pas aller taffer, mais ca me fait chier pour tout les intermittents, tout les employés du monde culturel, les photographes, les zikos pro, les organisateurs de concert, les festochs.... Comme d'habitude, on se rend compte que c'est les plus fragiles qui prennent le plus cher. Et ça, il faudrait peut être que ca change! Par contre, notre vision des gens qui sont importants au sein de notre société change et ca c'est hyper positif ! Les gens se rendent compte que sans les infirmier(e)s, caissier(e)s, les mecs qui ramassent les poubelles, sans la Poste, on serait bien dans la merde - alors qu'ils sont souvent en bas de l'échelle sociale.
En tout cas on a bien hâte que ca soit fini. Mais comme je le disais ca va être compliqué pour les groupes, les bookers et les salles car c'est déjà le bordel actuellement pour booker les dates de "l’après" car premièrement, personne ne sait QUAND sera cet "après" où on aura le droit de rejouer, et puis aussi parce que dès que ca va être déconfiné, tout le monde va vouloir jouer, et les concerts qui ont été annulés seront reprogrammés donc tout le monde sera débordé ! D'un autre côté peut-être qu'au bout de trois mois de confinement les gens se rendront compte que les concerts c'est cool quand même parce qu'ils pèteront des câbles à être enfermés avec leurs gosses ! Du coup, plein de concerts, plein de gens aux spectacles... ca sera sûrement le bordel mais on a hâte !
Racontez-nous l'épopée d'Arkhipov, de sa création à sa sortie, en passant par l'enregistrement, la production, et la campagne de financement participative que vous avez menée.
Tristan : On a commencé très vite à bosser sur les nouvelles compos, pas longtemps après la sortie de Korolev, notre premier album, en fait... Par exemple, "65-76", le morceau du clip qui sort aujourd'hui, est le morceau qu'on a su jouer en live le plus rapidement. On le joue depuis bien avant la sortie d'Arkhipov ! En gros, on a composé, composé, composé entre les concerts de 2018/2019 et puis on a décidé d'une deadline pour l'album, qui était la tournée européenne de février 2020. C'est pour ca que l'album est sorti le 31 janvier 2020.
Entre temps, on a été en studio avec Raphael Bovey pour enregistrer la batterie en avril 2019. C'etait vraiment le coup d'envoi de longs mois de travail. Il y a eu après ca l’enregistrement des grattes à la maison, puis le taff de Raph, chez lui, pendant que nous on préparait la campagne Ulule. Elle a été couronnée de succès, mais c’était un boulot de titan, de tenir au courant les gens, de préparer les news, les photos, les newsletters, et de gérer l'impression et l'envoi des contreparties... mais ça nous a surtout "forcés" à faire pas mal de comm'.
Le post metal froid et oppressant semble coller parfaitement à l'imagerie sibérienne propre à votre groupe. Mais que raconte Arkhipov exactement ?
Tristan : Comme avec Korolev, on s'est bien amusé avec les noms des chansons. On savait depuis un moment qu'on avait envie de triper sur la mer et l'exploration marine avec Arphipov. Alors j'ai cherché les samples correspondants. On savait qu'en utilisant ce milieu-là, on aurait une grosse base de travail avec les samples.
Dans cet album on joue donc sur les tensions pendant la Guerre Froide (la crise des missiles de Cuba, les sous-marins américains qui coulent des sous-marins russes, et vice versa), on joue sur des événements liés a la mer qui ont un peu tendu la mère patrie (la torpille du Kursk qui explose...). La froideur des compos est intimement liée à la mer, l'océan.
Pourquoi cette identité soviétique omniprésente, dans les thématiques, l'esthétique et la scénographie en live - avec les masques ? Qu'est-ce qui vous a attiré ou fasciné dans ces heures sombres de la Guerre Froide ?
Seb : Pour revenir à la base du groupe, on voulait tout d’abord faire un groupe en duo entre potes pour se faire plaisir. On s’était dit que si on lançait un groupe il s’appellerait Dragunov, suite à un délire tout les deux avec un sniper airsoft ! Du coup, nous avons pu mettre en place tout un univers autour de ce nom. Car nous n’avions pas de chant, il fallait bien développer un univers particulier pour accrocher le public....
On pense que c’est très important dans le monde de la musique actuellement, d'avoir une identité visuelle forte ! L’univers post soviétique nous a tout de suite séduits, assez sombre, froid, dur, martial… Parfait pour notre post metal !
Tristan : D'ailleurs la preuve que ca marche c'est qu'une des dates annulées en mai prochain était pour une soirée de clôture d'un jeu de rôle grandeur nature sur un thème post-apocalyptique ! Ca aurait été top avec notre ambiance scénique !
Après, tu parles de fascination pour les heures sombres de l'URSS... j'ai toujours eu un penchant pour l'histoire, les événements ou les endroits chelou où il s'est passé des trucs chelou, et quand même en Russie il s'en est passé des trucs pas très très clairs, et il s'en passe toujours...
Le fait d'être un duo, ça rend les choses plus difficiles ou plus simples selon vous ? Pour la composition ou pour en concert par exemple.
Seb : Je dirais assez simple ! Premièrement, pour répéter c’est vraiment top, car on n'a que deux emplois du temps à gérer. Deuxièmement, nous ne sommes que deux pour les discussions d’arrangements et directions dans la compositions, donc moins d’intervenants, donc moins d'avis divergents.
Ce qui nous aide beaucoup aussi, c’est le fait d’être potes avant d’être musiciens et aussi que nous sommes batteurs tous les deux ! (Je suis batteur dans le groupe Abysse). Cela facilite clairement les échanges, on est quasiment tout le temps d'accord, [rires] !
Sur la partie concert, c’est assez différent, car nous devons nous donner à 200% pour occuper l’espace et capter les gens. Dans un groupe habituel, à quatre ou cinq c’est vraiment plus simple, et surtout, quand on se plante en live c’est plus compliqué. Mais nous en avons fait un atout et ça devient notre marque de fabrique.
Tristan : Ca peut être un peu handicapant par moments, genre quand il faut payer du matos pour le groupe, ou quand il faut faire des colis... en fait on peut moins diviser les tâches relou ! Mais dans la plupart des cas, c'est cool, on profite et ca ne nous empêche pas de nous taper des grosses barres même à deux !
Ce qui est frappant avec votre son, c’est l'interprétation et l'identité propre au jeu de chacun. C'est quelque chose de spontané, ou bien vous avez davantage travaillé cet aspect-là justement à cause du côté instrumental de Dragunov ?
Tristan : pour Seb à la gratte, c'est assez propre à son approche. Vu qu'il est batteur à la base il compose des trucs qui peuvent être pas hyper conventionnels mais qui marchent car ca sort justement de l'ordinaire.
Après, tu as raison, l'aspect instru du groupe nous a fait développer ce coté "massif" de notre jeu et le fait qu'on soit que deux a aussi poussé vers comment ca sonne aujourd'hui.
Sur scène on essaye de rendre le truc un peu "interactif" entre nous deux et avec le public. Ca on a vraiment appris à le faire avec le temps et grâce aux tournées pendant lesquelles on peut tester des trucs. On se dit "hier soir, on a fait ca, il faudrait tester plutôt comme ca ce soir!" et hop, le soir on reteste, et si ca fonctionne on garde ca comme ca, sinon on trouve autre chose. Ou on laisse tomber parce que c’était une idée pourrave, ca arrive aussi !
A la batterie, j'utilise le kit et le son qu'on en sort avec Dragunov pour envoyer la purée. Quand je joue avec mon autre groupe, j'ai une attitude complètement différente car la musique est différente, donc oui, je dirais qu'on a un côté assez travaillé du son et de ce qu'on a envie de transmettre en live. En fait on réfléchit beaucoup à ce qu'on veut que les gens dans le public ou dans leur canap ressentent quand ils nous écoutent.
Sur scène, on a pu vous voir avec des groupes comme Brutus ou Psychonaut. Vous avez un truc avec les Belges? Avec quels autres groupes, vos modèles ou inspirations, rêveriez-vous de tourner ?
Tristan : pour la Belgique, c'est les bières bien sûr ! Non, Brutus c'est juste une opportunité qui s'est présentée à nous, deux fois d'ailleurs. Psychonaut sont devenus des copains maintenant mais je suis fan depuis un moment. J'essaie toujours de nous faire jouer avec des groupes qu'on aime écouter ou avec les groupes des copains. Quand l'un devient l'autre, c'est hyper cool ! Pour les groupes avec lesquels on rêverait de tourner, le trio gagnant serait Tryptikon, Mantar et Russian Circles.
Quelles sont les prochaines étapes pour Dragunov, pour ce qui reste de 2020 et 2021?
Tristan : Déjà, on a hâte de se revoir tous les deux vu qu'on n'est pas confinés ensemble. On va pouvoir se remettre à bosser... peut-être composer un nouvel album sur une pandémie post apocalyptique, je ne sais pas ! Dans tous les cas, on a hâte de se revoir, de refaire des conneries ensemble, de revoir du monde, de reboire des bières en terrasse... et surtout de refaire des concerts ! On a de belles dates qui se préparent pour la fin de l'année et le début 2021.
Seb : Oui, on compte bien défendre notre nouvel album en live, quand on pourra rejouer évidement, et continuer la promotion, faire des clips, chercher des labels, pouvoir jouer dans des salles plus grosses, faire des festivals… Mais clairement, grâce à ce nouvel album, on compte bien monter en grade.
Entretien réalisé par mail en avril 2020.
Crédits photos : ©Guillaume Reynaudo.