Ce week-end du 07 mars après la date de Lordi vendredi, la Machine du Moulin Rouge accueillait coup sur coup deux concerts organisés par Garmonbozia, dans des styles radicalement différents. Ce premier soir, c'est le fleuron du blackgaze français Alcest qui vient se produire pour la dernière date de sa tournée en compagnie de Birds In Row et Kaelan Mikla, pour un évènement complet depuis belle lurette. En attendant l'arrivée du premier groupe, Gojira tourne en boucle dans les enceintes, ça commence déjà bien.
Kaelan Mikla
19h, les trois Islandaises en longues robes noires s'avancent sur la scène devant la batterie de Birds In Row, et alors que les lumières s'éteignent des nappes de synthétiseur emplissent l'espace sonore dans la salle accompagnées d'une forte odeur d'encens. Elle provient du baton que Laufey Soffía vient d'allumer et dont elle distille les senteurs au gré de ses déplacements sur la scène. Mystique ? On peut dire que c'est le terme, et le set très ambiant du trio va en laisser pantois plus d'un dans la salle ce soir.
Soudain au milieu des nappes ambiantes que Sólveig Matthildur alimente de ses synthés, Laufey part dans une complainte, d'abord en voix claire, puis régulièrement hurlée à distance du micro. Il y a un côté écorchée vive dans son ressenti, mixé à un petit aspect Björk dans les intonations, la façon d'attaquer certaines notes. Margrét Rósa assure de son côté la cohésion avec sa basse bien englobante. Côté musical, le groupe est présenté comme jouant du synth-punk / dark wave, et ces définitifs collent plutôt bien au style pas si éloigné de ce que The Cure peuvent faire, excepté au niveau vocal. Au rayon des petits éléments de scène intéressants, cette baguette lumineuse que tient Laufey avec laquelle elle lance les boîtes à rythme.
À défaut de les comprendre, on décèle une grande richesse dans les textes et une dose de poésie dans les paroles, parfois parlées d'ailleurs. On comprend du coup assez mal le choix des ingénieurs lumières de nous abreuver de flashs comme si on était dans un gros concert de techno. L'ambiance pesante et mystique aurait peut-être mérité des lumières plus tamisées (et moins de fumée au passage). Au terme d'un court set qui aura vu chacune des musicienne prendre part à un moment donné au chant - un des passages les plus intéressants restant probablement "Kaelan Mikla" avec ce duo des deux voix complémentaires Sólveig et Laufey sur le final du morceau -, les Islandaises quittent la scène et on se prépare pour la suite, dans un style radicalement différent.
Birds In Row
Par rapport à Kaelan Mikla, Birds In Row fait l'effet d'un baton de dynamite dans la foule. Exit la dark-wave froide et pesante du premier groupe, là c'est parti pour du punk hardcore bien énervé et particulièrement énergique. Autre différence de taille, on a cette fois une vraie batterie, c'en est fini de la boite à rythme, Birds In Row c'est un power trio tout ce qu'il y a de plus classique, avec le chant assez largement partagé entre Bart Hirigoyen et Quentin Sauvé. Le guitariste (B) avec son tymbre plus screamo assure la majeure part des parties hurlées, alors que le bassiste (Q) apporte une petite touche "growlée", plus profonde.
Dès le premier titre la formule du groupe est très énergique et on découvre avec plaisir quelques changements de rythme cachés dans les compositions. De quoi varier un peu avant de revenir à la bonne grosse décharge d'énergie. Surtout que ça joue bien fort, on passe un cap depuis le début de la soirée avec la première captation au delà des 100 dB. Naturellement, la foule se réveille enfin et on commence déjà à observer des débuts de mosh. Ces flashs épileptiques violents sont encore de la partie, mais vu l'énergie dégagée par le combo, ça passe déjà beaucoup mieux.
Les Mayennais font dans le punk, et ils vont nous le rappeler à maintes reprises ce soir en prenant la parole entre les titres pour dénoncer plein d'abus ou de paradoxes de la société dans laquelle nous vivons. De la vanité de nos existences virtuelles au message d'amour universel en passant par une gueulante sur le 49.3, tous les thèmes qu'on retrouve habituellement dans le style sont abordés, et à la manière des ténors du genre, les morceaux sont construits en empilement de grosse baffes jusqu'aux ponts très mélodiques et lancinants. Sur scène, B et Q ont de l'énergie à revendre et se donnent à fond quand ils ne sont pas pris à chanter. Mais on se dit que la formule serait encore plus percutante avec un vrai frontman tout le temps dispo et dynamique, même et surtout quand les titres s'énervent et que les lignes de chant fusent.
Alcest
Pendant le dernier entracte, le sphinx de Spiritual Instinct est rapidement hissé derrière la scène. Le dernier quart d'heure passe avant le set que tout le monde attend avec impatience ce soir et bientôt ce sont des chants religieux qui résonnent dans l'enceinte de la Machine, uniquement entrecoupés (couverts, plutôt) par le soundcheck des instruments. Le groupe sait comment faire monter la pression, et pas de doute, quelque chose de grand et d'intense se prépare.
Quand les lumières s'éteignent enfin, la batterie de Winterhalter entame la rythmique des "Jardins de Minuit", premier titre issu du dernier album et qui y fait office d'introduction. Le son est nickel, tout s'entend parfaitement, des guitares au chant clair de Neige, sans basses assourdissantes. Rapidement, on apprécie la dualité vocale entre Neige et Zero, celui-ci prenant souvent la relève en voix claire lorsque Neige part dans ses hurlements si intenses. Côté choix de composition, c'est un sans-faute : "Les Jardins de Minuit" se révèle parfaite en tant qu'introduction du set, avec son riff mémorable qui revient à la charge très régulièrement jusqu'au final. En toute logique, c'est avec "Protection" et son intro si rentre-dedans que le groupe continue de défendre Spiritual Instinct. Du plaisir auditif, que le groupe est ravi de partager avec nous ce soir pour ce qui est la toute dernière date de la tournée. Si Neige regrette la fin de la tournée, il est ravi qu'elle se termine à Paris, devant un public de passionés, fidèle au groupe depuis très longtemps.
L'envolée de guitare annonce "Oiseaux De Proie" : il sera le premier titre issu de Kodama ce soir, avec sa rythmique si riche, débordant d'intensité et de retenue à la fois. Le public se laisse transporter alors que le groupe donne tout ce qu'il lui reste dans les ponts torturés et dans le crescendo aboutissant à ce final épique. C'est beau, c'est grandiose, et Alcest est en symbiose avec son public ce soir. Et ce n'est pas près de s'arrêter, car pour se remettre de cette énergie, le groupe lance "Autre Temps" avec sa poésie et ses mélodies si mélancoliques, et puis surtout le massif "Ecailles de Lune (Part II)", riche en voix écorchée et doté d'un sublime pont aérien. Dire que le succès est au rendez-vous au sein du public est un euphémisme, et on n'en attendait pas moins avec pareille superbe excursion dans le passé du groupe.
Le temps passe sans qu'on s'en aperçoive vraiment et alors que la fin du set approche, il est temps pour Neige d'annoncer "Sapphire" sous les acclamations du public. Spiritual Instinct est visiblement à juste titre très apprécié dans la salle. Ce titre à la mélodie centrale - qui en fait vraisemblablement un des plus accessibles et un des plus beaux de toute la discographie d'Alcest - annonce une fin de set plus soft, qui enchaîne avec le magnifique "Le Miroir" (dommage, pas de "L'île Aux Morts" en revanche), en rajoutant encore une bonne grosse couche de mélancolie. On nage en pleines émotions contradictoires entre l'acharnement implacable sur ses toms de WinterHalter et ces lignes mélodiques si positives et aériennes des guitares. Enfin, l'incontournable "Kodama", que Neige dédie aux deux groupes de soutien vient clôre le set avec ses "oh-oh-ooooh-oh", que continue d'entonner le groupe après le départ des membres en attente du rappel.
Comment bien terminer un concert ? En attaquant le rappel avec un morceau de choix mémorable. C'est ce qu'Alcest a fait en choisissant "La Où Naissent Les Couleurs Nouvelles", second et dernier représentant du troisième album, Les Voyages De L'Âme, pour un dernier va-et-vient entre l'intensité et la beauté. En particulier dans toute cette seconde moitié du titre si mélancolique. Magnifique, une fois de plus, ponctué par un tonnerre d'applaudissements dans la foule. Ému, Neige lance enfin un "Délivrance" tout en douceur pour un ultime voyage en notre compagnie. À mesure que l'heure fatidique approche, et alors que le titre touche à sa fin, progressivement la scène se vide à mesure que les instruments se meurent et abandonnent le mix. D'abord Winterhalter, puis Zero et Indria Saray. Neige reste jusqu'au bout et adresse un dernier au revoir au public.
Quelques jours avant que la réalité de la pandémie ne nous rattrape tous en grévant durablement nos envies de concerts, Alcest nous a servi un concert remarquable pour une soirée qui restera un moment dans nos mémoires.
Setlist Alcest:
Les Jardins de Minuit
Protection
Oiseaux de Proie
Autre Temps
Écailles De Lune Part 2
Sapphire
Le Miroir
Kodama
Rappel:
Là Où Naissent Les Couleurs Nouvelles
Délivrance
Crédit photo : Arnaud Dionisio, toute reproduction sans autorisation du photographe est interdite.