Cro-Mags – In The Beginning

Vingt ans, des procès autour de l’appropriation du nom, des faits divers et des reformations à courte durée, voilà ce qu’il a fallu attendre avant que ne paraisse le sixième album des Cro-Mags. Un groupe dont il ne reste comme membre originel que le virulent bassiste-chanteur Harley Flanagan. On aurait pu craindre le pire avec cette nouvelle incarnation, mais In The Beginning est un vrai coup de maitre et une grande leçon en matière de New York Hardcore.

« I can't breathe » et le racisme toujours aussi virulent, les différents mouvements de révolte sociale, la violente répression policière, la pandémie de Covid-19 et les théories conspirationnistes liées à celle-ci, la pollution et la destruction de notre planète… Finalement tout était réuni pour que les Cro-Mags sortent un nouvel album.

Un chemin de longue croix car entre les poursuites judiciaires avec le frère ennemi Jon Joseph autour de l’appropriation du nom, les galères de line up, les bastons qui aboutissent à des fâcheuses conséquences pénitentiaires et d’ordre privé et la volonté de vouloir se reconstruire, celui que l’on désigne comme ayant été le premier skinhead américain Harley Flanagan en a encore vu de toutes les couleurs ces dix dernières années.

Mais voilà, on ne met pas si facilement un guerrier au tapis, deuxième dan de jiu-jitsu brésilien qui plus est. Surtout lorsque l’on a des éloges de la part de Mike Patton et Flea, entre autres. Donc en janvier 2019, ce bon vieux Harley à la gueule cassée et aux tatouages ressemblant à des cicatrices indélébiles a annoncé que les Cro-Mags c’était lui, et personne d’autre, avant de se lancer dans une tournée célébrant les trente ans du deuxième album du groupe Best Wishes.

Crédit photo : Maurice Nunez

Harley Flanagan est les Cro-Mags, Harley Flanagan est New York et surtout : Harley Flanagan est le New York Hardcore. Ce nouvel album est là pour le prouver : le boss est de retour et il a des choses à dire. Pas de thrash metal de série B comme sur Near Death Experience, l’album sorti en 1992, ici, juste du hardcore metal (ou crossover comme on disait dans les années quatre-vingt) joué avec une rage urbaine.

Il y a déjà ce titre qui exprime un retour aux sources : In The Beginning, on reprend à zéro et sur de bonnes bases. Sentiment aussi partagé avec la pochette représentant l’immeuble, délabré, du Lower East Side dans lequel vivait Flanagan aux débuts du groupe, le verso étant une photo récente du leader des Cro-Mags devant ce même bâtiment.

Pour s’entourer dans sa noble cause, le bassiste-chanteur a fait table rase du line up légendaire des Mags et n’a donc pas choisi le premier guitariste du groupe Parris Mayhew pour commencer. En effet, Harley Flanagan a fait, de nouveau, appel au guitar hero de la scène crossover, l’ex-Suicidal Tendencies Rocky George qui apparaissait déjà sur Revenge, le précédent disque des Mags paru en 2000. Nous ne perdons pas au change tellement le six-cordistes laisse brillamment sa trace tout au long des treize titres composant In The Beginning.

A un point que parfois, en entendant les soli, nous avons l’impression d’être agréablement replongé dans l’époque d’or du groupe de Mike Muir (flagrant notamment sur l’intro de « Don’t Talk About It ») tout en prenant conscience que cela reste du Cro-Mags avant tout. Là est la qualité.

Crédit photo : Laura Lee Flanagan

Certains morceaux présents sur ce sixième album sont déjà parus sur deux EPS publiés en 2019 : From The Grave et Don’t Give In. Des titres qui promettaient du bon pour le long format à venir, ce qui est le cas et nous pouvons affirmer que In The Beginning est une vraie leçon de la part d’un « ancien » sur comment doit sonner un bon album de NY/HC en 2020.

Une leçon démontrée dès le premier titre « Don’t Give In » au thème qui semble aborder l’idée de ne jamais abandonner, avec ce gros riff bien lourd qui nous rappelle que les Cro-Mags ont influencé (et non le contraire) Biohazard. Il y a aussi ce chant rageur et ce tempo hardcore thrash, sans oublier les chœurs virils typiques du genre qui renvoient au cultissime premier album du groupe The Age Of Quarrel, simple mais terriblement efficace donc.

Le propos se veut plutôt direct et sans concessions mais ce qui fait la force de In The Beginning est qu’il n’y a aucune baisse de régime et que l’album finalement ne comporte pas de titres faibles. Qui veut du hardcore en direct des rues malfamées du Lower East Side ? Ecoutez-donc « Don’t Talk About It », « There Was A Time », la courte déflagration « Drag You Under » et son riff coup de poing et son chant chargé de colère ou « No One’s Coming » et sa ligne de basse fiévreuse, instrument que l’on entend aussi claquer lors du break diabolique, et véritable appel au mosh diving, de « One Bad Decision ».

On retrouve de même le groove typique du genre, popularisé notamment par Madball, sur les déjà cités « One Bad Decision », « No One’s Coming » et « No One’s Victim ». Ce nouvel album des Cro-Mags malgré un certain classicisme dans son songwriting, comporte cependant quelques surprises. A commencer par la présence de l’ancien guitariste (et actuel The Bastard Sons) de Motörhead : Phil Campbell qui vient mêler sa slide guitar au chant rugueux de Flanagan  sur « From The Grave » et pond au passage un solo dévastateur. Il y a aussi « Two Hours », tentative réussie de fusion/hardcore au groove rappelant le meilleur de Body Count, sur lequel on croirait presque entendre au chant le grand pote de Harley : Ice « Motherfuckin’ » T.

L’ombre des Bad Brains, grosse influence du gang new-yorkais, plane sur « The Final Test » où la voix de Harley est proche de celle de H.R., légendaire vocaliste des rastas énervés de Washington. Une des qualités de In The Beginning se trouve justement dans le chant de Harley Flanagan, bien plus expressif et varié que celui de n’importe quel brailleur core. Ainsi, on l’entend angoissé sur « Ptsd » (pour Post Traumatic Stress, ce dont souffre Flanagan à cause de sa jeunesse tumultueuse comme il l’explique dans son livre Hard-Core Life Of My Own publié en 2016) ou mélodique, un poil sensible même sur « No Turning Back » qui renvoie à l’ère Best Wishes. Le genre de titre qui nous montre d’ailleurs où le Life Of Agony des débuts a peut-être puisé son influence.

Enfin, il faut aussi évoquer l’instrumental qui fait office d’agréable interlude : «Between Wars » sur lequel nous entendons du violoncelle. Un titre composé pour la bande originale du film portant le même nom que la piste, un métrage dans lequel joue Harley Flanagan et qui devrait être visible à l’automne 2020.  Pour l’anecdote, la personne qui joue de l’instrument à cordes sur ce titre n’est autre qu’un ancien membre de gang nommé Carlos « Lamont » Cooper rencontré dans le métro, alors qu’il jouait de la musique avec ses enfants, par Flanagan. Et à propos de progéniture, signalons que le propre fiston de Harley, Jonah Odin Flanagan, a participé à certains chœurs de ce sixième album de la légende new yorkaise du hardcore. De même, nous entendons aussi des voix d’enfants, issus d’un club de jiu-jitsu brésilien nommé RGA Kids, sur « No Turning Back ».

In The Beginning est donc un brillant album de retour qui prouve que l’on peut-être des hommes de Cro-Magnon du hardcore sans pour autant sonner comme des ancêtres séniles coincés dans leur caverne.

Liste des titres :
1. « Don't Give In »
2. « Drag You Under »
3. « No One's Victim »
4. « From The Grave »
5. « No One's Coming »
6. « Ptsd »
7. « The Final Test »
8. « One Bad Decision » 
9. « Two Hours »
10. « Don't Talk About It »
11. « Between Wars (instrumental) »
12. « No Turning Back »
13. « There Was a Time »

Note : 8,5/10

Sorti le 19 juin 2020 sur Arising Empire

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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