Le flux de sorties musicales est dense, ce n’est sûrement pas cette chronique qui vous l’apprendra. Et cette densité, bien qu’on puisse tenter de s’armer contre elle, implique très souvent de passer à côté de certains albums qui, sans qu’on ne le sache, nous auraient marqués à leur sortie et auraient mérité d’être mis en avant. Puis vient le temps de la découverte de cet album, quelques mois, voire quelques années après sa sortie initiale. Cette découverte, certes emplie de bonheur, nous ramène inéluctablement à cette fameuse question teintée de regret : « Comment ai-je pu passer à côté de cette merveille aussi longtemps ? ». Si nous vous parlons de Dénouement aujourd’hui, c’est exactement pour cette raison.
Sorti le premier mai 2018, Dénouement est le second album de Respire, un pur produit de la scène DIY (do it yourself) canadienne qui s’était déjà illustré en 2016 lors de la sortie de Gravity and Grace, son premier album. Respire fait indéniablement partie de cette caste de groupes et artistes qui oeuvrent plus ou moins consciemment pour l’abattement des frontières entre les genres. Et si cette démarche peut parfois paraitre forcée et résulter en un album peu cohérent, le sens du naturel qui déborde de Dénouement la rend tout à fait légitime et intéressante.
L’impossibilité de catégoriser clairement la musique de Respire permet non-seulement de prendre conscience de la versatilité et du brassage d’influences exercés par les musiciens qui la composent, mais surtout de se laisser complètement absorber par celle-ci et, pour une fois, de laisser parler l’affect plus que l’intellect.
Dénouement est un album que l’on aurait tendance à rapprocher assez naturellement de Sunbather (2013) tant la synthèse de style qu’il exécute est élégante. À l’époque, l’album controversé de Deafheaven avait fait couler beaucoup d’encre pour sa propension à dérouler ses mélodies dans un registre presque pop, tandis que son esthétique sonore rappelait volontiers le black metal. Respire emprunte ici un chemin similaire. Le ton global est tout aussi dramatique, quoique bien plus froid que celui de Sunbather, mais la musique convoque davantage le post rock, le post hardcore ou le screamo, et se libère de facto plus aisément des références au black metal et de la redondance qu’elles peuvent induire.
La fluidité avec laquelle le groupe jongle entre les styles révèle son impressionnant talent de composition et lui permet d’accoucher de morceaux aussi surprenants qu’osés. Qui pouvait prévoir que "Catacombs" se conclurait sur l’enchainement d’un motif inspiré des grands airs de post rock, et voilé d’un magnifique solo de violon, avec un breakdown de hardcore moderne ? C’est bel et bien un ensemble d’idées ambitieuses telles que celle-ci qui font de cet album une oeuvre remarquable.
Au-delà de son aspect purement technique, au-delà de la simple intellectualisation des compositions et des procédés d’écriture, l’intimité qui vient à ruisseler de Dénouement en fait un objet tout à fait unique. Chaque musicien semble ici laisser déborder sa sensibilité pour permettre à l’auditeur d’intégrer pleinement son intimité. Les émotions sont d’une rare tangibilité.
Tout est pur, tout est brut, concentré pour être posé directement dans les mains de l’auditeur qui veut bien le recevoir et émeut aussi bien dans les moments d’élégance et de calme, comme sur le titre éponyme, que dans les moments les plus violents. Chancelant entre l’exaltation, la tristesse profonde et la mélancolie, le post metal de Respire se veut être le parfait compagnon nocturne, une expérience qui requiert un certain investissement, mais qui vous bercera dans un lit d’émotions presque cathartiques.
Tout est cependant loin d’être parfait et l’album ne saurait convenir à tout le monde. Sa structure est en effet parfois redondante, ce qui peut porter atteinte à l’exaltation que des morceaux comme "Shiver" ou "Bloom" tentent de mettre en place. Aussi, la production DIY en fait un matériau brut de décoffrage, et donc parfois mixé de manière assez douteuse.
Dénouement aurait également pu pâtir de la gourmandise du groupe et de l’ajout de quelques morceaux supplémentaires. Respire a toutefois su concentrer ses propositions en seulement 36 minutes pour créer l’une des oeuvres les plus intenses du genre, qui vaut une écoute attentive pour toute personne acceptant de s’ouvrir à ce type d’expériences. Un incontournable pour les fans de State Faults, Heaven In Her Arms ou encore Suis La Lune.
Tracklist:
1. Bound
2. Haunt
3. Shiver
4. Bloom
5. Catacombs
6. Virtue
7. A Heart Still Pines
8. Dénouement
Album sorti le 1er mai 2018 via Middle Man Records, Zegema Beach Records, Narshardaa Records et Dingleberry Records.