Note de la Rédaction : Devant la complexité du nouvel album d'Ayreon, La Grosse Radio a choisi d'inaugurer un nouveau format, celui de la double chronique. Deux avis, deux points de vue sur ce nouveau concept-album, particulièrement long et riche.
L'avis de Watchmaker
Après nous avoir gâté à deux reprises par ses performances live depuis la sortie de The Source (2017), Arjen Anthony Lucassen revient à son projet phare, Ayreon. Pourtant, ce nouvel opus, encore plus proche des opera rock que ses précédentes réalisations ne devait initialement pas sortir sous ce patronyme. Mais devant la pression de sa maison de disque, le géant hollandais a cédé : Transitus est le dixième opus à sortir sous le nom d'Ayreon.
Musicalement d'ailleurs, tous les éléments d'un Ayreon semblent à première vue présents : de nombreux invités au chant campant chacun un personnage, des interventions de musiciens de renom (Marty Friedman et Joe Satriani notamment), des thèmes musicaux qui se retrouvent d'un titre à l'autre et une dimension opératique encore plus poussée que sur les autres albums du Hollandais. Mais à y regarder de plus près, cet opus diffère des autres albums d'Ayreon.
Le thème et l'histoire ne s'intègrent pas dans la saga et l'univers développés par Arjen depuis ses débuts (à l'exception de "This Human Equation", titre au goût de fan service). L'histoire se concentre sur la rencontre et l'histoire d'amour impossible entre un jeune bourgeois, Daniel (Tommy Karevik) et sa servante Noire, Abby (Cammie Gilbert) au XIXème siècle. Et malheureusement, le volet narratif se met en place au détriment de l'aspect musical. Tom Baker, acteur britannique connu pour avoir campé le Docteur dans la série Doctor Who, intervient très (trop) souvent. Mais à la différence de Into The Electric Castle, sur lequel la voix de Peter Daltrey jouait un rôle narratif similaire, les interventions de Tom Baker (malgré un délicieux accent anglais) cassent complêtement le rythme de Transitus. Cela se ressent d'ailleurs dès le trop long titre d'introduction "Fatum Horrificum" qui présente l'ensemble des thèmes musicaux abordés, mais qui n'a pas la saveur d'un "The Day That the World Breaks Down" (The Source, 2017).
Concernant les thèmes sus-mentionnés, on notera par ailleurs une très grande proximité entre celui de "Talk of the Town" (joué à plusieurs reprises) avec celui de "Digital Rain" (sur Victims of the Modern Age de Star One). Alors auto-plagiat ou citation volontaire ? Chacun se fera son avis. Toujours au rang des reproches, on regrette le timbre de voix trop maniéré de Cammie Gilbert à de nombreuses reprises (à l'exception du titre "Abby in Transitus" ou "Hopelessly Slipping Away", superbe duo entre Gilbert et Karevik). Si les interventions vocales au sein d'Ayreon ont toujours été surjouées pour renforcer le côté dramatique et théâtral des oeuvres de Lucassen, Transitus s'apparente toutefois plus à un Musical de Broadway qu'à un album concept de metal progressif ("Daniel's Funeral", "She's Innocent", ou encore le trop sucré "Seven Days, Seven Nights"). On songe d'ailleurs au travail similaire réalisé par Clive Nolan (Arena, Pendragon) sur son opera rock Alchemy.
Malgré ces reproches, l'album est loin d'être mauvais. Mais Arjen Lucassen nous a tellement habitué à des opus parfaitement bien construits (Into The Electric Castle, The Human Equation ou encore The Theory of Everything) que Transitus apparaît comme le ventre mou d'une féconde et jusqu'alors parfaite discographique.
Pourtant, on apprécie de retrouver certaines ambiances médiévales rappelant les débuts du projet ("Dumb Piece of Rock") ou les choeurs très bien intégrés sur "Inferno". De même, certains vocalistes réalisent des prestations à la hauteur de leur talent (Tommy Karevik est une fois de plus impérial sur l'ensemble de l'opus, et en particulier sur "Two Worlds Now One", sublimé par un très beau solo de guitare floydien). Johanne James (initialement batteur de Threshold) réalise également une très grande prestation (trop courte) derrière le micro. Paul Manzi (ex-Arena), parfois très théâtral, s'en sort également avec les honneurs et reste sans nul doute un chanteur au talent encore trop méconnu.
Pour résumer, cet album est inégal. Pas mauvais, loin de là, mais en dehors de très bons passages, on sent que Transitus s'éloigne trop des formats habituellement composés par Lucassen pour être pleinement satisfaisant. La faute en reviendrait-elle finalement au label et aux pressions exercées sur Arjen pour accoler le nom d'Ayreon sur ce disque, là où il aurait pu faire l'objet d'un projet totalement à part ?
Note de Watchmaker : 6,5/10
L'avis de Thekeyboardwizard
Nous voilà face à un nouvel album d’Ayreon, mais est-ce vraiment un ? On est en droit de se poser la question tant cette œuvre détonne dans la discographie d’Arjen Lucassen. On nous avait déjà mis la puce à l’oreille lors de l’annonce du concept qui s’éloignait des histoires space opera pour aller du coté du gothique. Mais cela ne s’arrête pas là puisqu’il est clairement évident que le Néerlandais a voulu faire une comédie musicale au sens américain du terme. Il faut donc prendre Transitus de cette façon, de peur de rejeter totalement l’œuvre.
L’album est construit autour de quelques thèmes qui sont introduits dans la longue introduction "Fatum Horrificum" qui d’ailleurs apparaît comme un morceau bancal : d’une durée de 10 minutes, on ne sait pas si c’est un mini epic ou une longue, trop longue introduction. Bancal, le mot est finalement bien choisi pour résumer cet album hybride qui va perturber l’auditeur tant la direction artistique n’est pas forcément bien définie. Et cela peut se voir dans les moindres détails comme avec la narration délicieuse de Tom Baker mais qui au final alourdit l’écoute voire même la perturbe en intervenant en plein milieu de morceau comme sur "Abby in Transitus".
Autre élément qui fera peut-être grincer des dents, la volonté d’Arjen de caster des chanteurs capables de rentrer dans la peau de leurs personnages, pour encore une fois renforcer ce côté musical. En résulte des prestations hyper maniérées, surtout au niveau des voix féminines qui peuvent agacer à la longue : Simone Simons qu’on a plaisir à écouter au sein d’Epica, se révèle assez ironique et moqueuse et Cammie Gilbert ne délivre pas une prestation mémorable. Le salut viendra des invités masculins avec un Tommy Karevik au sommet de sa forme (comme toujours) et une prestation bien agréable de Dee Snider sur "Get Out! Now!" un morceau taillé pour lui. C’est d’ailleurs une des rares chansons mémorables car malheureusement, Transitus est répétitif et fonctionne par la force de quelques rares morceaux.
On se rappellera donc de "Two Worlds Now One" avec son ambiance floydienne qui évoque "Breathe" de Dark Side of the Moon, "Talk of the Town" avec son couplet hyper catchy et bien mené par Paul Manzi, "Get Out Now" et "Hopelessly Slipping Away", une ballade typique d’Ayreon. Et c’est tout. Le reste est trop souvent hybride avec des morceaux trop longs pour être une intro et trop courts pour faire une vraie chanson comme "Henry’s Plot" ou "Seven Days Seven Nights" qui auraient largement pu durer quelques minutes de plus. Au niveau de l’histoire, l’ensemble ne tient pas foncièrement la route notamment à cause des voix féminines qui peuvent porter à confusion mais également à cause d’éléments un peu risibles comme la statue qui s’anime, les incursions du monde de Transitus dans le monde réel et la fin de l’histoire pour Lavinia.
Un album donc déstabilisant et qui, au sein de l’Ayreonverse n’a pas du tout sa place. Pour aller plus loin, on pourrait également dire que c’est un essai non transformé pour Arjen qui a voulu tenter autre chose mais qui accouche d’une œuvre pas assez complexe et assez répétitive, notamment sur sa partie finale.
Note de thekeyboardwizard : 7/10
Tracklist :
Fatum Horrificum
Daniel's Descent into Transitus
Listen to my Story
Two Worlds Now One
Talk of the Town
Old Friend
Dumb Piece of Rock
Get Out! Now!
Seven Days Seven Nights
Condemned Without a Trial
Daniel's Funeral
Hopelessly Slipping Away
This Human Equation
Henry's Plot
Message From Beyond
Daniel's Vision
She Is Innocent
Lavinia's Confession
Inferno
Your Story Is Over!
Abby in Transitus
The Great Beyond
Sortie prévue le 25 septembre chez Mascot Label Group
Photo promo : DR Mascot Label Group