Les Gros émergents du mois d’octobre 2020

Chaque mois, notre rédaction met à l’honneur quelques formations émergentes qui lui ont tapé dans l’œil (ou plutôt dans les oreilles). Nous espérons que cette mise en lumière permettra à des groupes passionnés et de qualité d’obtenir l’exposition qu’ils méritent, car ils sont la preuve de la richesse et la diversité de notre scène musciale. Bonnes découvertes !

 Nocturn – Like A Seed Of Dust (black mélo)

Premier album pour la jeune formation française Nocturn qui n’a que quelques années d’existence. Elle propose un son plutôt orienté death/black mélo, avec quelques influences symphoniques et gothiques. L’ensemble est de bonne facture pour un premier album, le sextette a en lui une agressivité réelle, et les musiciens n’ont pas à rougir techniquement, notamment les guitaristes (Vincent Martinez et Léo Rachado).

L’omniprésence des claviers (Sébastien Carpentier), dans des tonalités particulièrement hautes, est un choix qui peut diviser, mais qui donne une certaine empreinte sonore aux groupes, créant un contraste intéressant avec le grave des guitares et de la basse (Mathieu Asproni), et amenant une atmosphère assez gothique.

Nocturn joue aussi avec le contraste entre le chant crié du vocaliste masculin Vincent Martinez et le chant clair de la vocaliste féminine Sophie Burg, une dichotomie très classique dans le metal contemporain mais qui fonctionne ici plutôt bien, même si sur certains passages, les interventions très limitées de la chanteuse donnent l’impression d’arriver comme un cheveu (de metalhead) sur la soupe.

La production est correcte, même si certains passages donnent l’impression d’être un peu brouillon, et le groupe n’a pas peur d’insérer ici et là des éléments qui amènent un peu de diversité – des riffs un peu orientalisants sur  "La Belle", des claviers très indus sur "Wasted Earth"… Au vu de ce Like A Seed Of Dust, le  potentiel de Nocturn est réel, et devrait pleinement se développer sur les albums suivants.

 

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Juodvarnis – Nerimo Dienos (black / progressif)


La scène metal lituanienne fait très peu parler d’elle. S’il semble logique qu’elle soit proportionnelle à la taille réduite du petit Etat balte, à entendre Juodvarnis, on se dit que c’est bien dommage. Le trio, qui en est à son troisième album, mixe avec une rage impressionnante et une technique très solide black metal, metal progressif et quelques éléments de folk.

Nerimo Dienos frappe par sa noirceur, qui semble faire écho parfaitement à la situation actuelle. Mais il s’agit presque d’un désespoir cathartique. Les éléments les plus extrêmes, le chant crié, les blast beats (Augustinas BÄ—kšta), les riffs distordus et agressifs (Paulius SimanaviÄius et Modestas JuškÄ—nas), plongent l’auditeur dans une transe macabre hypnotisante – la rage primaire du morceau d’ouverture, « MechaninÄ— SaulÄ— », est impressionnante dès les premiers instants. Mais au-delà de la noirceur primordiale, Nerimo Dienos est d’une complexité remarquable, multipliant les changements de rythme, de mélodies, sans que cela ne paraisse artificiel.

La voix du chanteur et guitariste, Paulius SimanaviÄius, frappante, garde sa puissance en chant crié comme en chant clair, où elle résonne alors comme une incantation chamanique, indiciblement douloureuse, la langue lituanienne lui donnant des accents encore plus poignants, d’où finit par émerger paradoxalement une certaine luminosité.

L’agressivité frappante n’empêche pas la grande mélodie des compositions. Si la partie folk est réduite au minimum, essentiellement par le biais de samples d’instruments divers sous-mixés, elle donne une consistance particulière à la musique, et toute la seconde partie de l’album est une plongée en apnée irrésistible dans les compositions torturées du groupe. Juodvarnis fait partie de ces groupes dont la découverte marque durablement, et dont la musique happe dès la première écoute pour hanter l’auditeur bien après que la dernière note a résonné.

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Illuminated Minerva - Enigma Adamantine (metal progressif instrumental)

Filons la métaphore avec l'album-concept Enigma Adamantine, par le quartet canadien Illuminated Minerva : véritable objet musical non identifié, ce premier opus autoproduit se distingue par une identité vraiment marquée, et un son particulier qui fait s'entremêler riffs lourds et harmonies atmosphériques, le tout étant mis en valeur non pas par du chant, mais par l'utilisation d'enregistrements d'archives audio en guise de fil conducteur narratif. L'album emmène l'auditeur aux frontières du réel, à travers cinq longs titres évoquant les grandes théories du complot et les énigmes non résolues.

Illuminated Minerva propose des compositions riches et complexes, aux structures variées, s'appuyant sur une section rythmique basse-batterie époustouflante, les guitares exprimant quant à elles toute une palette de nuances, des riffs punitifs à des passages ambiants aériens. Maîtres dans l'art de la montée en puissance, les quatre musiciens impressionnent dans des titres progressifs où des univers lourds et explosifs alternent avec des passages atmosphériques doux et envoûtants (« Heart Beat of Creation », « Wilder ») .

Difficile de ne pas penser à Tool sur le crescendo à la mélodie entêtante du long morceau final "Illuminated Majoris", quant à l'intense riffing omniprésent, il évoque des influences comme Mastodon ou Intronaut. Des notes psychédéliques et de belles touches de slapping de basse terminent de planter un décor cosmique, évocateur, en parfaite adéquation avec les témoignages d'archive des « illuminés » : ceux qui croient que nous ne sommes pas seuls dans l'univers.  La narration d'"Abductions" par exemple se base sur le témoignage de Charles Hickson, victime prétendue d'enlèvement extra-terrestre dans les années 1970 aux Etats-Unis, sur une composition riche et variée, aussi rapide que cosmique.

Grâce à un son puissant, un mix extrêmement soigné, et ce choix assumé d'être à la frontière du genre instrumental, on ressent une audace dans l'expressivité sans limite d'Illuminated Minerva qui semble bien loin des balbutiements caractéristiques des groupes débutants. Enigma Adamantine présente une vraie cohérence musicale, mêlant lourdeur et mélodies efficaces à une narration très claire malgré (ou grâce à?) l'absence de chant. Quant à la question de savoir précisément comment une œuvre instrumentale réussit si puissamment à emmener l'auditeur dans un voyage atmosphérique cohérent et séduisant, contentons-nous de dire que la vérité est ailleurs …
 

Chronique de Julie / Juliel

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