L’ex-chanteur d’Iron Man revient avec un troisième album solo encore une fois entièrement acoustique. Dans la lignée des précédents efforts, Godless est un disque au songwriting tout à fait convaincant et sur lequel Dee Calhoun démontre, en plus de talents d’instrumentiste et de parolier, qu’il est aussi un chanteur de grande classe.
Screaming Mad Dee n’est pas du genre à rester inactif, et encore moins depuis la pandémie mondiale qui a fait déjà pas mal de tort au monde musical. Déjà, l’artiste a profité du confinement lié au Covid-19 pour transformer ce qui n’était au départ qu’un single : Dee Calhoun Presents Edgar Allan Poe's A Dream within a Dream, disponible en K7 limitées lors de concerts et en digital, en EP. Cet enregistrement est bien entendu l’adaptation musicale d’un poème du grand maitre de la littérature fantastique. Précisons de même que le vocaliste tient le micro au sein de Spiral Grave, où officie aussi son vieux compère de l’ère Iron Man (et qui accompagne Calhoun en solo) Louis Strachan, un groupe qui se veut la rencontre du doom metal et du Dehumanizer de Black Sabbath. Sans oublier que l’homme exerce une activité d'écrivain.
Et c’est toujours dans ce contexte sanitaire tendu qu’est paru au début de l’été Godless, troisième album solo de l’artiste. Un disque acoustique, comme les précédents, où Dee Calhoun, en plus de mettre en avant sa puissante voix, et ses talents de guitariste et d’harmoniciste, démontre une fois de plus un réel talent de songwriter, se plaçant dans la lignée de Neil Young ou Bob Dylan, l’imagerie metal en plus.
Le titre de l’album laisse entendre une thématique religieuse, celle-ci est présente sur la chanson qui en porte le nom effectivement, « Godless » évoquant l’hypocrisie présente dans toute morale religieuse. Pour ce morceau Calhoun s’est rappelé d’une vielle bigote connue dans sa jeunesse, qu’il a surnommée Church Bitch of 21555, qui lui a souvent reproché ses goûts musicaux. C’est sa voix de crécelle, sous fond d’orgue d’église, que nous entendons en introduction de cette piste qui renvoie par son ambiance sombre au Alice In Chains de Jar Of Flies/Sap. La voix de Dee Calhoun se fait plaintive mais la colère se fait aussi entendre cependant. « Prudes, Puritanicals, Puddles Of Piss », au riff assez heavy, tourne de même autour de la morale religieuse.
Dee est un artiste engagé, comme il l’avait déjà démontré sur ses albums précédents, ce qui l’inspire est le monde qui l’entoure et les travers de la société. « No Justice » par exemple évoque le sentiment d’injustice suite à l’acquittement du meurtrier de Jim Forrester, ami du chanteur et membre du groupe Sixty Watt Schaman, tué d’un coup de revolver en 2017. Une vraie protest song aux arpèges ténébreux sur laquelle Dee Calhoun interroge la justice sur le rôle qu’elle doit tenir d’une voix triste plus que colérique, comme si la cause était perdue d’avance pour le chanteur.
Ce côté protest se retrouve aussi sur la piste introductive « Here Under Protest » dont le texte évoque le fait de se sentir prisonnier dans un mauvais endroit, ou d’une mauvaise situation, et qu’il faut tout faire parfois pour se sauver soi-même. Un titre aux accords folk nerveux et à l’ambiance bluesy où la voix rocailleuse de Calhoun montre tout son coffre. Il est à noter aussi que l’on peut très bien imaginer que le riff principal de cette chanson passerait bien avec de la distorsion tant celui-ci, malgré son dépouillement, sonne heavy. La même remarque peut s’appliquer pour « Hornswoggled », introduit par un sample où l’on entend Georges W. Bush avec des rires enregistrés autour, chanson qui évoque le fait de se faire duper sur laquelle la voix colérique du guitariste-chanteur se montre tellement grave et profonde qu’elle évoque presque… Louis Armstrong. « The Greater Evil », quant à lui, est à la base un titre figurant sur l’album du même nom produit par le duo Dee Brian C./Alex Vanderzeeuw en 2011. La version originale de cette chanson, qui évoque la culpabilité, est proche d’un Judas Priest période Painkiller et il est surprenant ici d’en entendre une relecture plus rock bluesy, mélancolique, voire solennelle.
Dee Calhoun aborde aussi des thèmes plus sombres sur cet album : ainsi « The Moon Says Goodbye », introduit par des bruits de pelle creusant la terre, par exemple, évoque le deuil, la perte d’êtres chers et le manque causé par le décès. Il s’agit là d’une ballade morbide à l’ambiance nocturne, qui rappelle un peu ce que compose Mark Lanegan, construite sur un accord qui tourne en boucle où la voix de Calhoun se fait lancinante et plaintive et sur laquelle quelques cordes discrètes se font entendre en arrangements. A noter que le texte de cette chanson est adapté d’une nouvelle du compositeur publiée dans son recueil paru en 2019 Down The Rabid Hole. Il en est de même de « Ebenezer », autre adaptation d’une nouvelle issue du même livre, il est ici question d’un vieil homme fatigué qui attend la fin. Cette chanson, où l’on entend de la slide guitar, peut s’apparenter à une incantation bluesy sur laquelle la voix, entre colère et tristesse encore, de l’artiste semble poussée dans ses retranchements. « Ride Away » a aussi une particularité. En effet, sur ce titre Dee Calhoun, évoquant une personne qui se sait aux portes de la mort et qui en a sereinement conscience, a retravaillé des paroles qu’il avait écrites à l’âge de neuf ans à la suite d’une discussion autour de la fin de vie avec sa mère. « Ride Away » avec son riff bluesy et son harmonica, ainsi que ses discrets arrangements de cordes, sonne comme la bande son d’une virée nocturne sur une autoroute déserte.
Autre sujet abordé par le compositeur : les relations toxiques dans « Spite Fuck », un morceau, baigné de parties slide qui rappelle encore ce que peut produire Mark Lanegan dans ses heures les plus sombres et où la voix plaintive de Dee est une fois de plus à la limite de la cassure. L’ombre de l’ancien chanteur des Screaming Trees plane aussi sur le superbe « The Day Salvation Went Away » aux arpèges cristallins où le chant se fait poignant et profondément mélancolique, une flûte se fait aussi entendre sur cette piste.
Si Godless exprime la colère ou la tristesse tout au long de ses douze titres, il y a quand même quelques moments plus lumineux comme « To My Boy », déclaration d’amour de Dee Calhoun envers son fils Robert (qui joue aussi sur l’album) exprimée sous forme d’un duo avec ce dernier. On y entend la voix émue et pleine de feeling du père voyant son fils grandir trop vite. Enfin, signalons aussi cette piste bonus complètement à part : « Here Comes The Bride », courte parodie des chansons de mariage anglo-saxonnes traditionnelles où l’on entend le chanteur s’accompagner à l’ukulélé. Un délire suffisamment court pour ne pas lasser.
Sans être le disque de l’année, cette troisième offrande de Dee Calhoun prouve une fois de plus que l’on peut être un metalhead et savoir exprimer ses sentiments autrement qu’en faisant rugir des guitares saturées. En cela il s’agit d’une bien belle profession de foi.
Liste des titres :
1. « Here Under Protest »
2. « Godless »
3. « The Moon Says Goodbye »
4. « Hornswoggled »
5. « To My Boy »
6. « Spite Fuck »
7. « No Justice »
8. « Ebenezer »
9. « Ride Away »
10. « The Greater Evil »
11. « The Day Salvation Went Away »
12. « Prudes, Puritanicals, Puddles Of Piss »
13. « Here Comes The Bride »
Sorti le 10 juillet 2020 chez Argonauta Records