Fanny et Florent, fondateurs d’Abyssal Ascendant

Alors qu'Abyssal Ascendant vient de sortir son deuxième album, Chronicles of the Doomed Worlds Pt2 : Deacons of Abhorrence, nous nous sommes entretenus avec les deux membres fondateurs du combo de death metal. Fanny (basse) et Florent (chant/guitare) ont évoqué avec nous l'univers du groupe, qui s'insère dans celui des mythes de Cthulhu de Lovecraft et ses disciples, mais également le futur d'Abyssal Ascendant sur fond de pandémie de Covid-19. 

Bonjour à tous les deux et merci de nous accorder cet entretien pour La Grosse Radio. Avant de parler de votre nouvel album, Deacons of Abhorrence, quel regard portez vous sur Enlightment From Beyond, sorti il y a cinq ans ?

Fanny : Salut à toi et merci de nous proposer de nous exprimer ! Pour ma part, je porte un regard très bienveillant sur notre premier album, même si rétrospectivement on y trouvera toujours quelque chose qu’on aurait aimé faire ou jouer autrement, on y trouve quand même les mêmes bases que dans Deacons of Abhorrence, notre style (si tant est qu’on puisse dire qu’on a un style particulier !) et surtout notre imagerie et notre thématique. On sent vraiment que c’est le tome I, ça c’est sûr, parce qu’il y a eu une évolution depuis, à la fois dans notre jeu et surtout au niveau du son. Finalement c’est une bonne chose de pouvoir s’en rendre compte, au moins on n’a pas stagné.

Ce qui frappe à l'écoute de ce deuxième album, c'est la qualité des orchestrations sur "Nilgh'ri Vulgt'mah Eh'yedg Uh'eog", ou l'intro de l'album sur "Offering Flesh to the Stars". Cette dernière a été composée par Erwann Chandon. Quelle était l'idée derrière ce travail d'orchestration ? Ajouter délibérément une grandiloquence pour souligner le côté terrifiant des thèmes lovecraftiens abordés ?

Flo : alors l’intro d’ "Offering" pour être exact c’est moi qui l’ai composée. Erwann a rendu ça complètement crédible car il a réassigné les sons et les nuances à partir de ce que j’avais fait. Il l’a même carrément recréée. Il est un futur grand compositeur de musique de film et surtout un ami de jeunesse et était le batteur le plus prodigieux de son temps, selon moi. J’ai donc immédiatement pensé à lui…Donc l’idée derrière l’orchestration était de faire démarrer ce morceau en tant que premier de l’album. La vocation était donc de faire monter le ton petit à petit jusqu’à arriver brutalement aux choses sérieuses. L’album abordant le thème des cultes, nous trouvons dans cette introduction le petit côté solennel avec les trompettes, les cors et les tambours de guerre, quelques cordes pour donner cet air un peu lancinant au départ, et bien entendu les chœurs, pour rappeler l’unisson qui caractérise les lamentations et les incantations des cultistes. Pour la grandiloquence, c'est complètement ça. Je suis fan de Nile et de Bal-Sagoth. Pour certains thèmes, nous décidons de mettre en place cette grandiloquence, en fonction de la gravité et de l’intensité dramatique des situations que nous contons. Ça peut annoncer la couleur, ça peut rendre complètement glauque un truc qui ne l’est pas assez à la base, ça peut foutre un gros coup de pied au cul à un passage, et surtout, l’aspect commun de toutes ces parties orchestrales : accompagner la plupart du temps des paroles, des prières, ou des incantations en R’lyean.

Comme pour le précédent album, on retrouve un univers lovecraftien, qui ici, et au contraire de nombreuses formations qui puisent dans ces thématiques, s'inspire de l'univers étendu (Mordiggian qui donne son nom à l'un des morceaux est un Grand Ancien créé par Clark Ashton Smith). Pourquoi ce choix ?

Fanny : Le but était vraiment de pouvoir ancrer nos thématiques dans un background déjà établi sans pour autant se sentir limités. On aborde notre rapport à l’univers des Grands Anciens comme une sorte de livre de règles, de par nos affinités personnelles avec le jeu de rôle en général, ce qui nous permet d’apporter nos histoires en utilisant des créatures ou des cultes qui existent déjà, sans pour autant reprendre des choses déjà écrites. Du coup, on a voulu avoir le champ le plus libre possible et c’est pour ça qu’on s’est intéressés à tous ces auteurs qui gravitent autour du Mythe. Ça nous a apporté beaucoup de matière !

Le titre des deux albums suggère un album concept et sa suite directe. Pourriez vous en dévoiler un peu plus ?

Fanny : C’est venu un peu tout seul, on aime bien les choses « complètes », dans le sens où je ne pense pas qu’on pourrait sortir des morceaux sans lien entre eux ou sans concept fédérateur. Du coup, comme on voulait un titre à rallonge pour le premier album (à la Bal-Sagoth), l’idée nous est venue de faire des tomes de chroniques : c’est pratique, il n’y a pas de nombre fixé d’albums, et ça permet de poser un fil conducteur dans tout ce qu’on fait. Le concept du premier album était plutôt orienté vers les créatures du Mythe elles-mêmes, avec la plupart des morceaux qui se focalisaient sur une créature à la fois. Pour le second, on voulait s’intéresser à l’autre côté du miroir, en quelque sorte : les cultes que certains vouent aux créatures par intérêt personnel ou alors des rencontres non intentionnelles avec les créatures…

D'un point de vue musical, les noms de Kronos et Nile viennent immédiatement en tête, et certaines ambiances rappelle également le Morbid Angel de l'ère Tucker, voire celles de vos copains de label Nephren-Ka. Cette direction artistique était-elle claire pour vous dès le début de la formation ?

Flo : Pour Morbid Angel et Nile, oui ça c’est assumé. Même si j’estime qu’on n’a rien à voir avec Nile ou ce que ça rend réellement (et qui est à un autre niveau), je ne peux pas nier que c’est un groupe qui m’a énormément influencé. Je suis très honoré que tu cites également les noms de Kronos et Nephren-Ka, qui partagent effectivement certaines influences.

L'album semble mettre un point d'honneur à être varié dans les tempi joués, et cela donne un côté très "poisseux" à votre death metal. Comment avez-vous appréhendé le travail de composition ? Est-ce que certains titres datent des sessions de votre premier album ?

Flo : Lucien et moi composons. Un coup il a un morceau complet, un coup c’est moi, un coup on a chacun des riffs qui vont ensemble…Je ne peux pas tout te dire ni te révéler sur le modus operandi mais quel que soit l’élan artistique de l’un ou de l’autre, il est soumis au groupe - bon, dans ce cas, à Fanny en plus et personne d’autre (rires) - et systématiquement retravaillé, remis en question, remodelé (ou pas du tout), par Lucien et moi, à la maison tranquillement et librement.

Je dirais que ces influences et ces sonorités sont également liée au son de basse de Fanny, qui rappelle vraiment le jeu de Steve Tucker. Comment travaillez-vous votre son et quelles consignes avez-vous donné à Steph Tanker et à Mobo qui ont respectivement mixé et masterisé l'album ?

Fanny : Hé bien je te remercie ! On dirait que c’est une influence un peu inconsciente qui nous poursuit partout en fait. Cela dit, j’ai commencé à jouer de la basse avec Flo donc clairement il a dû déteindre sur moi ! Pour l’album on voulait un son de basse qui soit à la fois rond et puissant mais aussi assez incisif, car à la différence de Steve Tucker, je joue au doigt, et forcément on ne voulait pas se retrouver avec juste un brouhaha (déjà qu’on est accordés en A pour les guitares et la basse, à un moment on ne capterait plus rien avec en plus le chant qui prend beaucoup de fréquences graves). Pour le studio, on voulait donc à la fois assez de claquant et assez de rondeur, ce petit côté qui ronfle et qui rebondit, bien scoopé,mais avec des pics d’agressivité. Il a donc fallu tenter des trucs au mix. Heureusement Steph Tanker est ouvert d’esprit et quand on lui a demandé de bourrer un bout de l’équalisation, on a trouvé une piste et il a pu partir de notre suggestion pour finaliser ce qu’on voulait. Moralité : oser et explorer, ça peut faire découvrir des choses.

La batterie est tenue par Krzysztof Klingbein, qualifié de batteur de session dans les crédits de l'album. Les choses sont-elles amenées à évoluer de ce côté là ?

Fanny : Krzysztof Klingbein a effectivement joué les parties de batterie à distance (il était en Pologne) en tant que batteur de session sur notre album. Il a fait un boulot vraiment incroyable et on est extrêmement contents du résultat ! Ceci étant dit, ce sera probablement notre seule collaboration car nous aimerions retrouver un batteur membre du groupe à part entière par la suite. Raùl, qui jouait avec nous auparavant, n’était pas disponible pour participer à l’album car il était occupé à passer son diplôme au MAI (Music Academy International, prestigieuse école de musique basée à Nancy NDLR), diplôme obtenu haut la main ! Les choses sont clairement appelées à évoluer, nous avons reparlé depuis la sortie de l’album, et sans vouloir trop nous avancer il est fort possible que vous le revoyiez avec nous sur scène, enfin ça c’est dans le cas où les scènes reprennent un jour…

Outre la qualité des titres et de la prod qui pour moi distingue vraiment ce nouvel album de son grand frère, l'artwork réalisé par Daniele Lupidi est très réussi. Pouvez vous revenir sur le processus créatif de ce dernier ? Etait-ce son premier jet ?

Fanny : Pour cet album, on a décidé d’aller totalement dans le sens opposé de l’album précédent au niveau de la façon de bosser avec Daniele. Autant pour le premier album, on lui avait donné vraiment des lignes directrices très précises, et sans doute trop précises, autant pour celui-ci on lui a laissé une totale liberté créative. On a décidé de lui transmettre les textes et le pré-mix pour qu’il décide par lui-même de ce que ça lui inspire ! Il a choisi de mettre en dessin un des titres de l’album en particulier, celui qui lui parlait le plus. Ce qui est vraiment cool, c’est que quelque part cet artwork rappelle quand même celui du premier album dans la composition et le fond spatial notamment, mais qu’on voit quand même une belle évolution et je pense qu’on sent qu’il s’est vraiment fait plaisir. C’est quasiment son premier jet ! La seule chose qu’on lui a demandée était d’ajouter un poil plus de sang (rires) !

Florent, tu as récemment participé au nouvel album de Mercyless, en signant un solo de guitare sur le titre éponyme, "The Mother of All Plagues". Comment cette opportunité s'est présentée ?

Flo : nous avons eu la chance de pouvoir jouer avec Mercyless trois fois, et au fil du temps j’ai fait un peu connaissance avec Max [Otero, leader de Mercyless NDLR]. Au cours de la dernière scène que nous avons partagée il m’a proposé de faire un solo sur l’album. J’ai été très honoré de ce geste et de sa confiance et je n’ai pas hésité.

Vous vous inspirez de l'univers de Lovecraft. Quelle est votre nouvelle préférée de l'auteur ?

Fanny : Je n’ai pas vraiment de nouvelle préférée à proprement parler, par contre j’en ai une qui m’a pas mal marquée quand j’ai lu Lovecraft pour la première fois dans un recueil de nouvelles, j’étais assez jeune : La maison de la Sorcière. La géométrie non euclidienne, les voyages interdimensionnels, les rêves étranges, tout ça, ça m’a direct parlé à fond. Ah et il y a un rat avec une tronche humaine dedans aussi, sympa.

2020 aura été marquée par la crise du Covid qui frappe de plein fouet le monde de la culture. Comment avez vous vécu cette période jusqu'ici et comment imaginez vous le futur des concerts metal en France ? En tant qu'artistes, on imagine que les concerts streaming payants ne peuvent fonctionner que pour les artistes déjà bien établis et que ce modèle coûterait cher à des formations telles que la vôtre...

Fanny : Alors déjà, on a été super chanceux car le confinement a été mis en place très peu de temps après qu’on a fini d’enregistrer l’album au Disvlar Studio… Maintenant, c’est le pendant et l’après crise qui posent problème. Le manque flagrant d’aide et de reconnaissance pour le monde de la culture, qui est visiblement le grand oublié de la relance, ça nous fait flipper. Encore, nous on a de la chance dans le sens où la musique n’est pas notre gagne-pain, mais je n’imagine pas ce que ça doit être pour les patrons de café-concert, les artistes à plein temps, pour tous ceux qui bossent dans le domaine de la musique, du spectacle vivant… Franchement je doute fort qu’on fasse des concerts streaming, je trouve ça trop compliqué à mettre en place du point de vue logistique. Pourquoi pas filmer quelques morceaux live sans retransmission en direct, mais je préfèrerais encore qu’on « profite » de la période pour prendre le temps de faire enfin un bon clip… Dans tous les cas, comme tu le dis, ce genre de modèle s’applique à des artistes déjà bien établis. Pour nous, il faudra trouver d’autres moyens.

Merci pour vos réponses. Nous vous laissons le dernier mot. Comment convaincriez-vous nos lecteurs de découvrir Abyssal Ascendant ?

Fanny : Merci beaucoup pour ces questions ! Alors pour reprendre une expression qu’on a vu passer plusieurs fois pour qualifier notre musique, on fait du death metal poisseux. Donc, si vous aimez le death metal poisseux et occulte qui raconte des histoires glauques dans l’univers du Mythe, le tout fait par des gros passionnés, venez jeter une oreille à la musique et un œil aux paroles !

Album disponible depuis le 9 octobre 2020 chez Dolorem Records
Crédits photos : © Thomas (Le Bastion) 



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