Chaque mois, notre rédaction met à l’honneur quelques formations émergentes qui lui ont tapé dans l’œil (ou plutôt dans les oreilles). Nous espérons que cette mise en lumière permettra à des groupes passionnés et de qualité d’obtenir l’exposition qu’ils méritent, car ils sont la preuve de la richesse et la diversité de notre scène musciale. Bonnes découvertes !
Ascian – Elysion (doom – post black)
Le doom metal est parfaitement de saison, peut-être est-ce la raison pour laquelle les Allemands d’Ascian ont décidé de sortir leur premier effort, Elysion, début octobre. Celui-ci s’annonce en effet comme la bande-son parfaite d’un automne oscillant entre le morne et le désolant. Ascian propose des ambiances doom parfaitement pesantes auxquelles il adjoint une certaine violence du black metal, et si le mélange des deux genres a souvent donné un résultat intéressant, c’est particulièrement saisissant ici. Le groupe, créé en 2018 et très mystérieux sur ses origines – les quatre membres sont nommés simplement par une lettre – affiche une maîtrise qui laisse supposer que les musiciens sont loin d’être des débutants.
Le chanteur alterne le chant crié propre au black, le growl profond et un chant beaucoup plus mélodieux, rond, très solennel, avec dans les deux cas une tonalité très sépulcrale – c’est particulièrement notoire sur le premier morceau "Misery Seeds" ou sur "Elysion". Son chant se fait parfois plus léger, proche du post-metal (le début de "Dead Will Carry the Dead"), mais il est alors empreint d’une mélancolie sourde qui n’allège aucunement l’ambiance.
Les guitares elles aussi varient de déluges de riffs sursaturés à un jeu d’arpèges clair qui transpire la mélancolie, promenant les auditeurs dans des atmosphères assez diversifiées mais jamais réjouissantes. En quatre longues pistes et un interlude, Elysion plonge dans un océan de mal-être au final cathartique, dont on a du mal à s’extirper.
Critique d'Aude / Aude_d
Orkhys – Awakening (metal mélodique / sympholk)
Tout premier EP pour ce jeune quatuor français, qui propose un metal direct et accrocheur, ce qui ne l’empêche nullement d’entrelacer différentes influences avec beaucoup de fluidité. Awakening se range sans conteste dans la catégorie du metal mélodique moderne, auquel il apporte une forte empreinte symphonique, folk, heavy, et quelques touches thrash et black.
Décrit comme cela, les morceaux pourraient sembler indigestes, mais il n’en est rien. Les lignes musicales très mélodieuses, d’influence médiévale sur deux morceaux, sont portées par le timbre agréable de la chanteuse Laurène Telennaria. Elles sont rehaussées, d’un côté par des claviers qui donnent une atmosphère un peu symphonique et folk, aidés par une harpe celtique (Laurène Telennaria), de l’autre par un jeu de guitare (Brice Druhet) plus tranchant qui s’inspire plutôt du heavy et à petite dose du thrash et du black, tout comme la basse (Julien Lancelot) et la batterie (Jean-Yves Chateaux).
Si l’on veut être sévère, on peut mentionner que l’ensemble reste perfectible : la voix pourrait gagner en puissance et gommer certaines faiblesses, notamment dans les passages qui se rapprochent le plus d’un chant lyrique ; les riffs les plus incisifs pourraient être plus développés et mieux mis en valeur (ils semblent un peu trop lissés par la production). Mais ces réserves n’ont rien de rédhibitoire, car Orkhys propose un univers très intéressant.
Trois morceaux, c’est très peu pour juger un groupe, et Awakening donne plus l’impression d’être un teaser qu’un album à part entière – l’intégralité de l’opus a d’ailleurs été dévoilé en clip. S’il faudra voir si Orkhys tiendra sur la longueur sa formule, ces trois premiers morceaux donnent très envie d’entendre la suite.
Critique d'Aude / Aude_d
Coexistence - Collateral Dimension (death technique)
Quand on parle de death technique, les noms de Gorod, Obscura, Beyond Creation, Spawn of Possession, Augury ou encore Necrophagist viennent immédiatement en tête. Désormais, il faudra également compter sur Coexistence. Fondé il y a cinq ans, le quatuor sort son premier album, Collateral Dimension, destiné à marquer les esprits. Riffing en montagnes russes alternant tapping / sweeping et basse fretless héritée des meilleures heures de Steve DiGiorgio (Death, Sadus), Jeroen Paul Thesseling (ex-Pestilence, Obscura) ou Dominic Lapointe (Augury) sont l'essence même de cet album.
Pourtant, Coexistence distille beaucoup de mélodies dans son death technique et progressif, élément essentiel et pourtant trop souvent oublié dans le style (les superbes ponts de "Detach From The Abyss" ou d' "Eclipse" évoquant le sens de la mélodie d'Exivious). Et pour contrebalancer la violence de certains passages ("Metaphysical Essence", "Collateral Dimension"), Coexistence se lance dans parties éthérées du plus bel effet (l'introduction de "Floating In the Celestial Wave", le final de "Revert").
Comme souvent dans le genre, la basse joue un rôle essentiel dans la construction mélodique et rythmique (écoutez le très bel interlude "Perception" pour vous en convaincre) et le niveau technique vise le haut du panier ("The Nadir Element"). Musicalement, cet album se rapproche du premier album de Beyond Creation, The Aura (auquel les Italiens empruntent le nom du titre "Coexistence" pour leur propre patronyme).
La filiation avec les Canadiens est ainsi une évidence (jusqu'au chant de Mirko Battaglia Pitinello qui se rapproche de Simon Girard), mais Coexistence propose neuf titres suffisamment solides pour qu'on leur pardonne cette inspiration parfois un peu trop marquée. Agrémenté d'un superbe artwork, Coexistence signe un excellent premier album, mature et très bien écrit. De quoi satisfaire immédiatement les amateurs du genre et rendre jaloux les musiciens en herbe !
Critique d'Adrien / Watchmaker
Skyless Aeons - Drain the Sun (death mélo progressif)
Les groupes de death metal ne sont pas représentés en grand nombre chez nos amis canadiens… Skyless Aeons en fait partie et nous vient tout droit de London, dans l’Ontario. Après avoir sorti un premier EP en 2016, les musiciens reviennent avec un long format, Drain the Sun.
Drain the Sun est un album d’une agressivité parfaitement couplée aux différentes mélodies, plus ou moins progressives. Les instruments qui rythment les morceaux se marient très bien avec la voix death assez brutale de Nathan Ferreira. La batterie est particulièrement entraînante avec ses blasts agressifs (“A Consciousness Decays”) ou ses passages plus techniques (“Path of Desolation”). La basse quant à elle occupe une place plutôt importante avec des lignes bien audibles et construites (“Dimensional Entrapment” et “Drain the Sun”).
Les mélodies qui s’intègrent au milieu de cette brutalité font contraste aux riffs acérés et permettent des variations de rythme bienvenues au sein des morceaux (“The Age of Regression” avec notamment une partie plutôt doomesque en milieu de morceau précédant une belle section instrumentale). Certains soli sont très techniques, voire progressifs (“Go Forth and Multiply”).
Skyless Aeons a réussi à sortir un album death bien agressif tout en n’oubliant pas certaines mélodies techniques et progressives qui redonnent un souffle à des morceaux qui pourraient sembler longuets. Une recette qui fonctionne et qui plaira aux amateurs du genre.
Critique d'Alexis / Alexis_b
Sunnudagr - Le Silence (black metal)
Sunnudagr est un projet qui a débuté en 2013 sous la forme d’un one-man band autoproduit suite au décès d’une amie de Cyril Maelstrom. Le projet devient un groupe de black metal en 2018 qui propose aujourd’hui son premier effort, Le Silence. L’album aborde des thématiques telles que la dépression, le repli sur soi, l'anxiété, le deuil et l'acceptation de la perte d'un être cher. Pas très rose pour un groupe venant de Toulouse mais heureusement parce que du black metal traitant de licornes, ce serait étrange non ?
Accompagné de Clément Roig à la batterie et Antoine R à la guitare, le chanteur et bassiste Cyril crée une galette plutôt bien produite comportant des riffs énervés de pur black metal, s’inspirant de groupes appartenant à la deuxième vague tels que Emperor, Dark Funeral ou Enslaved. Les blasts opérés par Clément sont techniquement précis et se marient bien avec le ton atrabilaire et maléfique de Cyril.
Mais Sunnudagr n’est pas un simple groupe de black de plus. Le trio y a intégré çà et là des éléments plus mélodiques et atmosphériques, que l’auditeur a plaisir à entendre dès le début de l'enregistrement avec son introduction. Les changements de tempi sont agréables, notamment grâce à la maîtrise avec laquelle ils sont orchestrés. Des morceaux comme “Les Braises” ou “Une Charogne” apportent un souffle original à la composition générale de l’album, avec un solo pour le deuxième, très rare pour ce sous-genre. Certains riffs thrashy (“Venin Noir”) ou même heavy (les triolets rappelant du Maiden de “...Et tes larmes”) renforcent la qualité d’écriture des Toulousains. Qualité d’écriture que nous retrouvons dans les paroles toutes plus sombres les unes que les autres, avec entre autres un clin d'œil à Baudelaire et son poème “Une Charogne”.
Sunnudagr nous prouve que le black metal ne se cantonne pas à l’enchaînement de riffs tranchants et de lignes de basse au tempo rapide accompagnant les blasts-beats d’un batteur énervé et les hurlements d’un chanteur endiablé. Non le black metal peut aussi comporter des éléments plus mélodiques et atmosphériques et ainsi emmener son auditeur dans un monde empli d’émotions que lui seul peut décrire.
Critique d'Alexis / Alexis_b