Quand un groupe connu de tous subit une suite d’événements qui bousculent à jamais son histoire, alors il y a moult raisons pour que la curiosité s'éveille quant à un avenir, ou non, concernant cette formation. C'est cette histoire qui est désormais celle des américains de Kamelot, groupe pour lequel les péripéties récentes n'ont pas été les plus faciles : premièrement, la sortie d'un album contesté, voir même, finalement, peu apprécié par les fans, à savoir Poetry for the Poisoned (chroniqué en nos pages par Goeth). Et, enfin, le départ du désormais célèbre et respecté dans le milieu Roy Khan. Autant dire que de nouveaux défis attendaient la formation, qui avait fort à faire pour réussir à les surmonter. Tâche particulièrement difficile, car se relever d'un disque considéré presque unanimement comme un échec musical n'est pas la chose la plus aisée, mais, en plus, trouver un digne successeur à une voix considérée désormais comme emblématique, c'est presque mission impossible (pas tant sur un plan qualitatif qu'au niveau de l'affection des fans pour le nouvel arrivant). Bref, le combo tombait de Charybde en Scylla, mais tout comme la détermination d'Ulysse sortit le héros d'une telle épreuve, celle du quatuor, qui devait retrouver l'allure d'un quintet, n'a pas été entamée.
C'est donc une lourde tâche de faire face à tout cela. Mais l'arrivée d'un nouveau frontman, Tommy Karevik (également chanteur chez les progueux suédois de Seventh Wonder – avec Kamelot, on reste en Scandinavie pour les voix !), et l'annonce d'un brûlot, Silverthorn, pour succéder au mal-aimé, font encore monter l'inquiétude. Continuité d'un potentiel suicide artistique pour le groupe ? Nouveau départ, différent, quelque chose de rarement entendu chez un combo pareil ? Et surtout, ce chanteur, tant interrogations se posent soudainement. L'objectif, c'est d'arriver à se faire accepter, et à trouver sa place. Et dès les premières notes du premier morceau, le voile du suspens est levé sur ces mystères.
Dès que le premier vrai titre commence (car « Manus Dei » n'est qu'une introduction, pas la plus intéressante d'ailleurs), c'est un certain soulagement qui se profile à l'horizon. Car la piste, gardant tout de même un petit aspect sombre propre à Kamelot, est différente d'un « Rule the World » ou d'un « The Great Pandemonium ». Pour autant, ce n'est pas réellement une mue qu'a effectué le groupe, car ce titre n'est pas sans évoquer ce qui a pu être fait sur The Black Halo, à savoir les grands instants de gloire du quintet. Et la structure n'est pas non plus étrangère à nos oreilles, cependant, elle ne tombe pas dans le réchauffé, plus complexe qu'il n'y paraît, mais ça, c'est une constante chez eux. Récapitulons-donc : notre formation serait-elle revenue à une approche qui diffère de celle de Ghost Opera / Poetry for the Poisoned ? La réponse est clairement positive. Un changement d'orientation a été effectué. Tentative frauduleuse (et laborieuse) de racolage des déçus ? Pas vraiment, non.
En fait, on voit que le combo aime se retourner à ses premiers amours. Pas étonnant que de temps en temps, on peut penser à leurs anciennes productions, un croisement quelque part entre The Fourth Legacy et The Black Halo, avec une nette préférence pour les ambiances sombres de ce-dernier, tout en se laissant aller à des passages instrumentaux qui, eux, évoqueront sans doute les majestueux Karma et Epica. Pour autant, c'est bien à la nouvelle offrande des américains que l'on a à faire, pas encore à de la redite. Ainsi, donc, « Sacrimony (Angel of Afterlife) » se fait un malin plaisir d'user de toutes ces combinaisons pour régaler les oreilles. De facture classique, le refrain sera le principal détenteur du plaisir auditif, la ligne de chant de Karevik étant loin de la grande facilité, mais son timbre proche de Roy et son aisance rassurante nous permettant de retrouver un quintet en grande forme. Peut-être, même, que cette nouvelle voix est salutaire, tant le norvégien pouvait sembler vide d'émotions sur la précédente œuvre. Voilà qui fait rêver, non ? Deux guests, eux, viendront se joindre à cette assemblée. Elize Ryd (Amaranthe), de sa voix claire et lumineuse, change de la sempiternelle Simone Simons (Epica), et cette nouveauté fait un peu de bien, une bouffée d'air frais. Et se subsistant à Shagrath (Dimmu Borgir), Alissa White-Gluz (The Agonist) délivre un peu de chant extrême. Et il s'agira du seul point noir, car son intervention tombant un peu comme un cheveu dans la soupe. Pas que la demoiselle et la qualité de son chant soient à remettre en question, mais son placement dans le morceau, lui, l'est davantage. Dommage, mais ce n'est qu'une petite ombre au tableau. Et bien qu'elle ne sera pas isolée, ce début prometteur donne envie de découvrir la suite.
La preuve que chez Kamelot, on sait rire : les spaghettis sur la tête, c'est tendance !
Nous parlions de petits points noirs apparaissant par-ci, par-là, et, effectivement, il s'agit d'un problème qui entache l'écoute par moment. Ce défaut provient de morceaux carrément moins inspirés que les autres, beaucoup plus bateaux, sans donner un aspect bancal à Silverthorn. Mais un ventre mou, ça, c'est certain. Car des deux morceaux qui sont en-dessous des autres, eux, interviennent au milieu, et se suivent, les vilains. Au banc des accusés : « Veritas », poussive et sans réel intérêt, n'aide pas à faire monter la mayonnaise. Titre trop en retenue, il aurait été préférable d'y voir un peu plus de déchaînement de passion, un grain de folie supplémentaire. Hélas, se contentant d'être trop sage, le morceau s'écoutera dans l'indifférence générale (et ce, même avec la réussie incursion d'une charmante Elize). Autre coupable : « My Confession ». Et c'est carrément ce que l'on peut appeler l'inutile. C'est bien simple : il ne se passe rien, mais absolument rien. C'est vide, c'est plat, c'est tout mou, et l'écoute, sans être un supplice, n'est pas alléchante, loin de là. Son refrain est le comble, restant dans la même veine que le couplet, c'est à dire aussi chiant, court, et se vautrant, ce qui est bête quand le titre en général se vautre lamentablement. Il en fallait bien un, ce sera celui-ci.
Mais il faut bien compenser par un point positif. Kamelot aime varier ses ambiances. Passer de la mid-tempo classique un peu en retenue, celle qu'on retrouvait déjà sur Poetry for the Poisoned (étonnant si ce sont les moins bonnes de Silverthorn ?), et là, on pense bien sûr à « Veritas », « My Confession », et un peu à « Falling Like the Fahrenheit », mais cette dernière est quand même un énorme cran au-dessus des deux premières citées. Il y a aussi les gros tubes puissants, et on pense donc au trio de tête : « Sacrimony (Angel of Afterlife) », « Ashes to Ashes » et « Torn ». Puis, il y a aussi la ballade, LA ballade, la seule, l'unique, celle qui est à fleur de peau, qui va faire pleurer les groupies et les ménagères, celle que même American Idol, elle rêverait de pouvoir faire chanter à ses candidats : « Song For Jolee ». Comme c'est mignon. Puis il y a la longue « Prodigal Son », le titre en trois parties, mais en fait, il n'y en a qu'une seule (mais c'est un peu découpé en trois structures dans le morceau, vous voyez). Et les autres, celles qui manquent, vous dispatchez ça un peu dans le reste. Voilà, en gros, il n'y a pas de quoi s'ennuyer. Enfin si, d'accord, un peu, il y a « Veritas » et « My Confession ». De plus, le groupe passe entre obscurité et lumière assez régulièrement, sans tomber dans le cousu de fil blanc des compositions de l'album de 2010. Ce qui, ainsi, rejette un peu la prévisibilité en arrière.
Il y a un point qui n'a pas encore été évoqué, mais qui éveille pourtant les doutes : Tommy Karevik. Pour ainsi dire, ce mec sait se faire caméléon, comme il sait être lui-même. Ce qui peut, au départ, sembler déroutant. Sur « Sacrimony (Angel of Afterlife) », il est bien plus proche de Roy que dans le reste du brûlot. C'est ce qu'on appelle le mimétisme. Puis sur « Torn », là, on a le droit à un suédois différent, qui chante des lignes où sa personnalité vocale est bien plus exacerbée. Mais dans un cas comme dans l'autre, c'est une grande réussite, et qualitativement parlant, il est tout aussi bon que son prédécesseur. Oui, vous lisez bien une chronique sur La Grosse Radio Metal, qui dit que Tommy, il poutre autant que Roy, et que c'est pas une blague. La proximité vocale, elle, est là pour cajoler les déçus du départ de leur idole. Et les lignes où le chanteur suédois est plus distinct, elles, démontrent une volonté de sa part d'imposer son propre registre, sa façon de chanter bien personnelle, de ne pas se cantonner au rôle du piètre imitateur. Et cette intention est plus que louable.
Et donc, puisqu'il faut citer les bons titres pour que ça passe mieux, autant le faire. Déjà, il y a « Torn », et ce morceau, il est excellent. Oui, il peut sembler classique, banal, bref, celui qui revient à se battre contre des moulins à vent, à donner un coup d'épée dans l'eau, qui tente de recréer du lourd pour aboutir à du pataud. Mais c'est sans compter la voix de Tommy qui est littéralement excellente, collant complètement aux ambiances, père de l'osmose, et ça fonctionne. Il y a ce petit truc, là, qui fait qu'on accroche et qu'on devient accro. Et ça passe par un refrain au top niveau, prenant avec les doublages de la voix et les chœurs, mais aussi sa petite partie de pré-refrain calme à la fin, là, où Tommy il est simplement génial avec sa voix cristalline, plus posée. Et la guitare impose le rythme, qui est loin d'être mou. Donc voilà, c'est vite fait bien fait, mais qu'est-ce que c'est bien fait ! Ensuite, la ballade. « Song For Jolee » est une douce piano-voix, où encore une fois, tout tient grâce à la performance du chanteur. Puis il y a « Solitaire » et « Falling Like the Fahrenheit » avec des refrains prenants et entêtants. Et, enfin, la longue mais réussie « Prodigal Son ». Le petit reproche, c'est que la montée en puissance est peut-être un peu trop tardive. Mais elle est dantesque, et la partie finale accrocheuse comme pas deux. Voilà qui rassure quant au devenir de Kamelot.
Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, et Kamelot n'est pas mort. Sans parler de renouveau, le terme de renaissance peut être prononcé. Silverthorn n'est pas l’œuvre ultime des américains, mais constitue, déjà, une bonne base d'une carrière remise sur les rails après un échec et un semi-échec, et la traversée des difficultés qui ont fait beaucoup de mal au groupe. Un mal pour un bien, en fin de compte. Car il est évident que le quintet nous revient plus fort. Et ce qui ne tue pas rend plus fort. C'est exactement le cas ici. La suite est attendue avec vive impatience, mais ce qui est sûr, c'est que le groupe ne déçoit pas / plus.
Note finale : 7,5/10