Martin Van Drunen, leader d’Asphyx

"Certains disent qu'il n'y a pas d'émotion dans le death metal...Oh, come on !"

Trente ans après The Rack, son premier album, Asphyx est toujours là pour tenir la barre d'un death metal brut et de haute-volée. Avec Necroceros, son nouveau disque, le quatuor hollandais ne semble pas lever le pied et propose un nouvel opus de qualité. Nous avons profité de l'occasion pour nous entretenir avec le sémillant chanteur du groupe, Martin Van Drunen, dont la bonne humeur contagieuse nous fait du bien en cette période de pandémie.

Bonjour Martin et merci de nous accorder cet entretien pour parler de Necroceros, le nouvel album d'Asphyx. Il s'agit du second opus avec ce line-up depuis le départ de Bob Bagchus (batteur et membre fondateur du groupe) en 2014. Cela fait donc six ans que vous jouez ensemble. Penses-tu que cela a influencé la façon dont l'album sonne ?

Certainement, oui. Nous sommes maintenant une machine bien huilée après ces six années avec ce line-up. Ce qui est amusant, c'est que nous avons réalisé cela une fois que l'album était enregistré. On ressent cet aspect là dans nos jams de préparation, puisqu'Husky [diminutif de Stephan Hüskens, batteur depuis 2014 NDLR] sait exactement ce que Paul [Paul Baayens, guitare NDLR] va jouer, ce qui n'était pas toujours le cas avant. C'est une alchimie qui s'affine au fil des années. Et cela peut s'entendre sur tout l'album, c'est un groupe où chacun se sent en confiance.

Cet album sonne également de manière très familière aux oreilles des fans du groupe. On retrouve la patte Asphyx et les titres sont accessibles comme ce que vous aviez fait sur Deathhammer (2012). Je pense notamment à "Botox Implosion" ou "The Sole Cure is Death". Peux-tu nous en dire un peu plus sur le processus de composition ?

Nous avons opéré de la même manière que pour chaque album. Paul est toujours à l'origine des riffs. S'il a une bonne idée, il l'envoie à chacun d'entre nous en mp3. La chose la plus importante, c'est que nous devons tous aimer chaque riff qu'il nous envoie. Si c'est le cas, on fait en sorte que cette idée soit exploitée sur l'album. Parfois, il construit un titre autour de deux ou trois riffs qui s'agencent bien. Et ça nous fait déjà la moitié d'un morceau ! [rires]. Mais il y a encore le reste à construire. Certains titres s'écrivent très rapidement. Pour d'autres, nous nous retrouvons en studio tous les quatre pour un weekend et on commence à jammer. S'il y a des choses intéressantes qui en ressortent, on enregistre. Mais il n'y a pas de recette miracle. Nous ne créons pas systématiquement une chanson par mail. Nous devons surtout nous retrouver ensemble pour la finir, c'est important.

Un peu comme aux débuts d'un groupe où tu te retrouves à répéter dans un garage...

Oui, exactement. C'est comme cela que ressort le meilleur de nous-mêmes et qu'on peut finaliser un titre. Parfois Paul propose un enchaînement de riffs qui ne colle pas lorsque nous jouons tous ensemble et quelqu'un lui suggère de modifier l'enchaînement. Les arrangements des titres ne peuvent se faire que si l'on est tous ensemble. Et cela nous permet de boire des bières et de souder le groupe en passant de bons moments.

Le titre "Three Years of Famine" est un peu particulier à mon sens. On y retrouve un esprit progressif avec un très beau pont acoustique qui me fait penser à "To Live is To Die" de Metallica...

Oh ! C'est un très beau compliment, merci ! C'est Paul qui a écrit ce passage. Quand il a terminé la ligne mélodique, j'ai su que c'était un très beau pont. Je ne voulais pas chanter dessus ! [rires]. Je voulais garder l'esprit de ce passage. Par chance, j'avais déjà en tête l'envie d'écrire un texte tragique, qui collait très bien. Les paroles sont donc très sombres pour la chanson, qui parle de la Grande Famine en Chine qui a eu lieu entre 1959 et 1961 sous Mao et au cours de laquelle on estime le nombre de victime entre 40 et 45 millions ! C'est inimaginable ! C'est le meilleur sujet qu'on pouvait utiliser pour cette chanson : la mélancolie, la tragédie, l'horreur, le désespoir et la colère... Tout y est ! Je suis vraiment fier de ce titre.

Il y a également les parties doom rappelant Autopsy, que l'on retrouve régulièrement dans votre musique, comme dans "Necroceros" ou "In Blazing Oceans". Selon toi, que doit faire un artiste pour transformer ses influences en quelque chose de personnel ?

Ouh ! [il hésite] Je pense que c'est ce qu'on fait lorsque l'on suit notre instinct. C'est ce que Paul a essayé de faire sur... ah, je ne me rappelle plus sur quel titre, j'ai bu trop de whisky aujourd'hui... Mais c'était un titre rapide...

Donc le secret pour composer un bon titre c'est le whisky ?

[rires] Pas sur l'album complet, non ! Non, le secret c'est pas le whisky [rires]. Mais pour revenir à ta question, le plus important pour nous, c'est de savoir comment un titre va démarrer et jusqu'où on va le mener. Cela dépend également beaucoup de ce que tu écoutes au moment où tu composes. L'an dernier, nous avons beaucoup écouté le nouvel album de Possessed. Et on retrouve parfois cet esprit Possessed qui était présent dans nos têtes. C'est aussi ce qui peut expliquer que l'on retrouve nos influences initiales telles que Black Sabbath. C'est une question d'ambiance et d'état d'esprit dans lequel tu te trouves, c'est comme ça que les choses finissent par sortir. C'est de l'instinct. Il faut juste suivre son coeur et ses émotion en musique. Certains disent qu'il n'y a pas d'émotion dans le death metal...Oh come on ! Comment dire cela alors qu'on fait les choses avec passion ?

Asphyx, Necroceros, interview, century media,

Tu as évoqué les paroles de "Three Years of Famine". Est-ce que la situation actuelle liée au Covid-19 t'a également inspiré pour l'écriture des textes ?

Oui et non. Cela ne m'a pas directement influencé. Mais le point "positif" de cette situation, si je puis dire, c'est qu'au moment de me plonger dans l'écriture, c'était en plein confinement. Tout était totalement fermé, et soudainement j'étais enfermé chez moi, sans un bruit, sans entendre une voiture circuler dehors. Pour écrire des paroles, c'était parfait ! Personne ne pouvait me déranger et j'ai pu pleinement me concentrer sur cette tâche sans distraction. Les paroles sont donc venues bien plus rapidement qu'à l'accoutumée. Quelque chose de positif est donc sorti d'une mauvaise situation ! Mais l'actualité ne m'a pas influencé pour l'ambiance, mes textes ne concernent pas la pandémie. On a tout de même fait une chanson bonus à ce sujet, qui n'a finalement pas été ajoutée à l'album. En effet, quand la pandémie a débuté, je me suis dis "ouah, c'est un vrai scénario de death metal". Paul a proposé un morceau rapide, et je me suis senti obligé de faire un titre dessus. Les paroles évoquent le début de la pandémie, les difficultés du personnel soignant à bout de souffle mais qui donne le maximum pour aider les malades, des choses dingues que nous avons vues comme l'égoïsme des gens avec l'épisode du papier toilette... Et finalement, les paroles évoquent la façon dont les choses nous ont affectés en tant que groupe. Mais nous avons finalement choisi de ne pas intégrer cette chanson à la tracklist car l'album était un peu trop long... Hélas [en français NDLR].

L'artwork a été une fois de plus réalisé par Axel Hermann, avec qui vous collaborez depuis le premier album. Il semble que son travail est désormais indissociable de votre univers...

Oui, c'est une belle façon de l'exprimer. Non seulement son travail correspond exactement à ce que nous voulions pour l'album, mais en outre, il collabore depuis si longtemps avec nous qu'il sait à l'avance ce qui va coller. Nous ne lui avons pas donné réellement d'instruction sur ce que nous voulions. Mais on lui a communiqué le titre de l'album et les paroles de "Necroceros", qui évoquent une entité monstrueuse issue d'un autre univers, qui détruit des planètes ! Axel est comme moi, nous aimons les vieux comics de science-fiction et de fantasy. Il s'inspire de tout cela, tout en se servant de son imagination débordante pour créer ses visuels. Le gros changement par rapport à ce qu'il produit d'habitude pour nous, c'est la couleur. Il a utilisé des teintes auxquelles nous ne nous attendions pas et cela a su nous séduire.

Depuis les débuts du groupe, vous arborez le même logo. Avez-vous déjà songé à le changer ?

On n'a jamais demandé à Coca-Cola de changer son logo, tu sais ! [éclats de rires]. Non, on n'y a jamais songé. Ce que j'aime avec ce logo, c'est qu'il est très simple et catchy. Et surtout, on peut lire ce qui est écrit ! [rires] Regarde le nombre de logos de groupes illisibles qui existent ! [rires]. Quand j'étais gamin, j'aimais l'idée d'un logo simple que je pouvais dessiner au marqueur sur mon sac et mes livres d'école ! Parce qu'à l'époque, je n'avais pas de patchs, ils n'étaient pas évidents à se procurer. Mais non, je pense qu'on ne le changera jamais, c'est hors de question ! [rires] C'était une question cool, merci ! [rires]

La crise du covid a bien évidemment impacté l'industrie musicale cette année. En tant qu'artiste, comment as-tu vécu cette période, sans concerts ?

C'est terrible... Je ne peux que comparer ça à un junkie qui ne peut pas avoir sa dose ! Pour nous, c'est une drogue. La raison principale pour laquelle nous sortons des albums, c'est de pouvoir proposer des nouveaux titres à jouer en live. Nous sommes un groupe live avant tout. Donc oui, pour nous, c'est particulièrement difficile.

Avez-vous pensé à faire des live streamings ?

Oui, nous en discutons en ce moment même au sein du groupe. Parce que nous ne pourrons pas faire notre traditionnelle release party pour la sortie de l'album. La situation ne sera pas rétablie dans deux mois [interview réalisée fin novembre NDLR]. Mais nous sommes sceptiques à l'idée de donner un concert d'Asphyx sans public... Nous avons besoin d'un public pour nous nourrir de son énergie et lui redonner ensuite. C'est un retour naturel qui se passe lorsque l'on donne un concert. Pour moi, c'est bizarre de m'imaginer seulement devant des caméras et saluer les fans à travers un écran... Mais en même temps, ça peut être une expérience intéressante pour nous...

Et un moyen de gagner un peu d'argent également ?

Ce n'est pas la chose la plus importante pour nous. Le plus important c'est que l'on puisse jouer les nouveaux morceaux et que le public les apprécie. Si nous finissons par céder, il faudra qu'il y ait une belle atmosphère, comme pendant une bonne répétition, durant laquelle on prend du plaisir et on descend deux trois bières. Je n'imagine pas demander de l'argent au public pour cela, seulement lui procurer un bon moment et si les gens apprécient ce qu'ils voient, et bien ils peuvent choisir de donner quelque chose s'ils le souhaitent... Mais c'est encore en discussion.

Dans le même ordre d'idée, imagines-tu donner un concert de death metal devant un public assis ?

On l'a déjà fait il y a quelques mois en Allemagne. On a appelé cela les "Corona shows" [rires]. C'était très positif ! Bien sûr au début, nous avions de sacrés doutes car on n'imaginait pas un concert avec des metalleux assis. Mais dès le début du concert, on a retrouver leur passion et leur envie ! Ils étaient en train de headbanguer et de crier, mais tout en restant assis ! C'était vraiment cool pour nous car on a ressenti beaucoup de gratitude de la part du public, qui n'attendait que de pouvoir assister à nouveau à un concert. Cela nous a motivés à en redonner d'autres sous ce format, mais la situation ayant malheureusement évolué, nous avons dû les annuler. Mais c'était une très belle expérience, très positive que nous avons réellement appréciée. C'était presque comme un show normal [rires].

Aujourd'hui, nous assistons à un revival important au sein de la scène death metal, avec de nombreux artistes (comme Skeletal Remains parmi d'autres) qui jouent un death dit "old school". En tant que pionnier de la scène, comment vois-tu cette nouvelle génération ?

C'est fantastique ! Et la chose la plus positive, c'est que lorsque je les vois, ils ont la même attitude que celle que nous avions à l'époque. Avec le death metal, c'est la même approche que le rock n' roll. Le but c'est de passer un bon moment, pour toi et pour les fans. Le but étant d'oublier tous nos problèmes. Et ces jeunes ont exactement cette attitude, ce qui me plait totalement.

Sur internet, on lit pourtant régulièrement des commentaires disant que tu ne peux saisir l'esprit du death metal si tu es né dans les années 90...

Mais bien sûr que tu peux jouer du death metal tout en étant né dans les années 90 ! C'est des conneries tout ça ! Tu peux jouer du blues si tu le souhaites, alors que cette musique est bien plus vieille que le death metal. Tu peux jouer ce que tu veux [rires]. L'important c'est d'avoir envie de jouer ça avec tes tripes ! Il faut suivre son envie, qu'il s'agisse de speed, de thrash, de black metal, de doom, de musique classique...Il ne s'agit que de musique ! Mais jouez-la avec passion, c'est tout ce qui compte au final !

Tu es hollandais, et les Pays-bas sont connus pour être une terre de metal, qu'il s'agisse de death avec Asphyx ou Pestilence, mais également de metal symphonique avec Ayreon, Epica ou After Forever. Qu'est-ce que vous mettez dans l'eau pour pousser les gens à faire ce type de musique ?

[Il éclate de rire] Je pense que c'est la bière ou alors le combo hareng saur / patates ! [rires] Ceci dit, j'adore le hareng saur, je trouve ça délicieux ! Je demanderai aux autres groupes hollandais s'ils aiment également, ça te donnera un élément de réponse ! [rires]

Au sein de la scène death metal, tu es connu pour avoir été frontman de plusieurs combos, de Pestilence à Hail of Bullets ou Grand Supreme Blood Court. Quelle est ton approche musicale et vocale au sein de chaque projet ?

Il faut surtout mettre de soi dans chaque projet. Je ne me dis pas "tiens, je vais ajouter cette touche Asphyx dans Hail of Bullets, ou prendre ma voix de Grand Supreme Blood Court". Il faut que chaque projet reste spécifique car chaque musicien a sa propre approche. Bien sûr, on reconnaît mon timbre de voix, quand je chante, les gens se disent "ouais, c'est bien la voix de Martin". Mais il faut une direction bien différente pour distinguer les projets. Et c'est ce qu'il se passe quand je collabore avec les compositeurs de ces projets. C'est la même chose que pour les artworks d'Axel dont on parlait auparavant. Il faut distinguer chaque travail mais garder sa patte.

Cela fait désormais plus de trente ans que tu évolues au sein de la scène metal. Quel est le souvenir le plus marquant de ta carrière ?

Il y en a tellement... Mais il n'y a pas très longtemps, nous avons donné un concert pour les trente ans d'Asphyx. Nous avons pu inviter tous les ex-membres qui avaient été particulièrement impliqués dans le groupe pour fêter ça. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble à répéter pour ce concert, c'était une superbe célébration. Et en coulisse, nous avons ressenti beaucoup de choses très fortes. C'était une expérience que je n'oublierai jamais !

As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?

Je souhaite que l'on se sorte rapidement de cette situation et que l'on puisse rapidement se retrouver avec nos fans. J'espère pouvoir donner par ailleurs plus de concerts en France lorsque l'on pourra tourner à nouveau. Pour une raison qui m'échappe, nous n'avons pas beaucoup joué chez vous. Bien sûr, nous avons donné quelques concerts au Hellfest et au Fall of Summer. Mais pas dans les petits clubs parisiens, à Rouen ou Marseille ! C'est une honte ! [rires] On va rattraper ça et vous retrouver rapidement !

Interview réalisée par Skype le 26 novembre 2020
Asphyx – Necroceros : sortie prévue le 22 janvier 2021 chez Century Media
Crédits photos promotionnelles : Negakinu Photography



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