Des démons, des guerriers aztèques, des prêtres maléfiques et des armées héroïques, tous ces personnages se croisent, s’affrontent et s’allient dans l’univers développé par Red Cain. Le groupe narre une grande saga épique qui s’étend sur non pas un mais deux albums à grand renfort de power metal extrêmement théâtral.
Après un premier EP en 2016, la formation canadienne a lancé dès son premier album complet en 2020, Kindred Act I, la première moitié de la saga de Zalcoatl, guerrier aztèque enfermé dans une pyramide extraterrestre pour sauver son peuple et y combattre une créature décrite comme lovecraftienne, qui cherche à s’échapper de sa prison ancestrale par l’intermédiaire d’un prêtre maléfique. Vous êtes déjà perdu ? Vous n’avez pourtant encore rien vu.
Le second album, nommé en toute simplicité, Kindred Act II, raconte la fin de cette histoire, les enjeux augmentant d’intensité, puisque la créature maléfique risque maintenant de prendre le contrôle du monde entier. Le seul à pouvoir la stopper est évidemment Zalcoatl, qui tente toujours de s’échapper de sa pyramide tout en voyageant dans le temps sous différentes identités. A côté, les Avengers sont pas loin d’être des petits joueurs.
Avec une histoire pareille, c’est forcément dans le power metal que Red Cain officie. Musicalement, le second album est dans la continuité du premier, mais les deux opus formant une histoire unique, il est difficile de leur reprocher leurs similarités. Le groupe fait tout de même l’effort de développer plus avant certains éléments et d’introduire quelques nouveaux détails, gagnant ainsi en intensité et quelque part en agressivité.
La formation clame vouloir « revenir à un mysticisme propre à la musique du Diable qui manque souvent dans le metal moderne ». Le mysticisme et l’aspect diabolique s’entendent assez peu dans la musique, pas vraiment occulte, au mieux aux accents gothiques par moments, mais se retrouvent complètement dans l’histoire racontée, et Red Cain s’inscrit ici totalement dans la tradition d’une musique épique utilisée pour développer un récit tout aussi épique peuplé de personnages mythologiques. Théâtrale au possible, elle emmène l’auditeur dans un voyage héroïque, mais, loin de se limiter à du power traditionnel, elle incorpore de nombreuses sonorités electro ; des côtés plus agressifs, d’inspiration black (« Baltic Fleet », par exemple), que ce soit des grands passages en blast beats, des murs de guitares sur-saturées ou une voix qui passe régulièrement en chant saturé ; des velléités progressives sur plusieurs titres ; des ambiances gothiques ; et des passages presque symphoniques.
Le résultat est assez étonnant, et plutôt enthousiasmant, pour peu que l’on ne soit pas allergique aux mélanges incongrus. Pris individuellement, les instruments sont tous bons et chacun a droit à des moments d’exposition de façon équilibrée. La guitare de Tyler Corbett est plutôt technique, alternant entre des passages de matraquage black et d’autres plus subtils, explorant toutes les possibilités entre un jeu clair et complètement saturé, et agrémentant le tout de quelques soli. La batterie de Taylor Gibson se fait surtout remarquer sur les passages les plus agressifs. Les claviers sont eux omniprésents, parfois adjoints d’un piano, assurant tour à tour des parties electro et plus symphoniques, et s’ils offrent parfois de très belles ambiances, ils ont aussi à d'autres moments un arrière-goût d’electro cheap très pompier des plus mauvaises heures de l’euro-dance.
Mais c’est la voix d’Evgeniy Zayarny qui retient le plus l’attention. Extrêmement agile, elle semble vouloir explorer tous les registres. En grande partie en chant clair, elle possède un timbre extrêmement théâtral, grandiloquent, avec des réminiscences slaves (un élément que le groupe présente comme incorporé à sa musique mais qui se ressent peu par ailleurs, à l’exception des paroles). Elle s’approche parfois d’un chant lyrique, sans en avoir toutefois la maîtrise, passe des graves aux aigus continuellement, se lance brutalement dans des chuchotements caverneux en latin du plus bel effet gothique, s’aventure dans le saturé avec parfois de longs passages de scream et de growl. « Sons of Veles » et « Sunshine (Blood Sun Empire) » sont à ce titre les chansons les plus impressionnantes.
Il manque toutefois quelque chose pour que le résultat soit parfaitement abouti. Dans les paroles comme dans la musique, le groupe semble amalgamer des éléments de façon parfois hasardeuse. Dans la musique, ce sont donc les différents genres qui se côtoient ; dans l’histoire, c’est ce guerrier aztèque qui combat une créature extraterrestre lovecraftienne, cotoye des démons, les héros celtes Cùcchulain et la Morrigan, les guerriers varègues qui se sont implantés en Russie...
S’il y a un réel travail pour ensuite lier l’ensemble et qu’il fonctionne la plupart du temps, certains éléments laissent plus circonspects et semblent indiquer que le groupe peut progresser en matière de fluidité. Ainsi, l’histoire se tient à condition d’accepter son côté parfaitement invraisemblable – même si on se demande pourquoi la Morrigan, qui est une déesse dans la mythologie celte, se retrouve rétrogradée au rang de démon – mais il est impossible de la comprendre entièrement avec les seules paroles.
Musicalement, cela fonctionne malgré donc parfois ce manque de fluidité, mais tout n’est pas du même niveau, notamment dans le chant – le growl pourrait être amélioré, le falsetto pourrait être plus harmonieux, et à ce titre l’introduction de « Precipice of Man » aurait peut-être mérité un travail différent. Surtout, le ressenti dépendra vraiment de l’attrait de l’auditeur pour les mélanges contradictoires, voire biscornus, et sa tolérance à des éléments hors metal très pompiers, dans les parties electro notamment. « Demons » risque par exemple de donner des sueurs froides à certains et d'en mettre d'autres dans l'embarras, tant ce titre est construit comme un plaisir coupable à mépriser et chanter à tue-tête en même temps.
Mais l’ensemble mérite largement l’écoute, il offre un gros travail de composition, avec un équilibre, parfois au sein même des morceaux, entre des mélodies ulra accrocheuses entre autres sur les refrains et des parties plus aventureuses, de nombreux changements de rythme, une réelle volonté d’essayer des choses. Et Kindred Act II se clôt sur deux titres très réussis, « Sons of Veles » et « Sunshine (Blood of Empire) » qui compilent les meilleurs éléments de l’album. Si Red Cain a encore des ajustements à faire, il pourrait devenir d’ici quelques années un groupe vraiment à part et marquants.
Tracklist
1. Kindred (5:06)
2. Demons (4:40)
3. Precipice of Man (5:18)
4. Baltic Fleet (4:53)
5. Varyag and The Shrike (5:54)
6. Sons of Veles (5:01)
7. Sunshine (Blood Sun Empire) (5:49)
Album Length: 36:45
Sortie le 29 janvier en numérique en autoproduction (sortie physique chez Sliptrick Records ultérieurement)