Le metal s’inspire souvent des cultures celtes et nordiques, mais certains groupes méridionaux choisissent de mettre en avant leur propre culture ou celle de leurs voisins. Ainsi, les Italiens de Souls Of Diotima proposent depuis 2004 un « metal méditerranéen » qui fait se rencontrer Europe du Sud et Orient.
Et Souls Of Diotima se veut de la même façon que la Mer Méditerranée au carrefour des civilisations, tout en restant ancré dans ses racines sardes. Le nom du groupe lui-même fait référence à Diotime, prêtresse et poétesse grecque citée dans Le Banquet de Platon, tandis que sa musique recèle des influences orientales, parfois italiennes, et que les textes font essentiellement référence aux légendes et aux traditions de Sardaigne, avec aussi des emprunts aux récits du reste de l’Italie, de Grèce, et de la Méditerranée dans son ensemble.
Ce quatrième album, Janas, est intégralement basé sur les récits sardes, et son titre, tout comme la chanson éponyme, fait directement référence à des fées appartenant à la mythologie insulaire, que chaque chanson aborde sous un angle différent. Le titre d’ouverture, « The Black Mask », évoque ainsi les Mamuthones, figures centrales d’un carnaval traditionnel local qui exécutent lors d’une procession une danse rituelle vêtues de peaux de mouton, de masques menaçants et de cloches dans le dos, et dont l’origine ancestrale se perd dans la nuit des temps. Souls Of Diotima s’inscrit donc dans une démarche assez classique dans certains courants du metal, la narration de mythes et récits anciens, mais en choisissant de s’intéresser à ceux de son île natale, le quartette se démarque de ses contemporains.
A l’oreille, cette originalité ne se ressent malheureusement pas tout de suite. Le groupe affiche en effet un metal mélodique moderne très bien exécuté, mais qui reste assez classique dans la construction. La voix féminine en chant clair (Claudia Barsi) est puissante et affirmée, sans être au niveau des meilleures du genre ; elle semble parfois forcer sur les passages qui demandent le plus de coffre, mais a un côté brut, presque rauque qui correspond très bien à l’univers, et s’en sort beaucoup mieux sur les passages les plus graves que dans les envolées aigues. Elle offre aussi des passages très intéressants lors de parties presque scandées. Elle est accompagnée régulièrement mais avec parcimonie par du growl masculin (Antonio Doro) là aussi efficace (son entrée en jeu, sur « Sleep Demon », est assez marquante) mais classique, bien qu’elle soit capable de modulations – les parties parlées gutturales sur « Janas » retiennent l’attention.
La guitare de Fabio Puddu est tout à fait mise en avant, pas avare de soli – toutes les chansons y ont droit au moins une fois – d’inspiration heavy et power, genre pour lesquels elle a un penchant certain tout au long des chansons ; elle donne aussi à entendre des riffs plus agressifs, plus graves, plus acérés, s’inspirant très lointainement du metal extrême. Les mélodies sont pour la plupart extrêmement accrocheuses, directes, et si elles peuvent parfois paraître faciles, elles n’en demeurent pas moins très entraînantes, et un titre comme « Ichnos Superhero » est l’exemple parfait qu’on se retrouve à chanter à tue-tête sans s’en rendre compte.
Mais le groupe ne se contente pas de faire du power mélo sous testostérone, il y incorpore différents éléments, mais que l’on retrouve là encore souvent dans le metal moderne. Une composante pop est indéniable dans la mélodie de plusieurs titres, cela contribue d’ailleurs à leur aspect accrocheur, par exemple sur « Sleep of Demons ». Le groupe use également beaucoup de claviers, soit pour donner de vagues tonalités electro – cela reste léger, mais on l’entend par exemple sur le début de « The Black Mask » – soit pour donner une atmosphère orientale plus prononcée, là aussi bien exécutée mais pas toujours originale – « The Black Mask », « Sleep Demon » ou encore « Mediterranean Lane », où les claviers se font particulièrement dansants.
De prime abord, l’album semble donc efficace mais convenu, avec comme paroxysme du manque d’originalité la ballade « Princess of Navarra » qui semble avoir été écrite comme une parodie de slow hard rock, avec ses guitares et claviers un peu sirupeux, sa batterie molle, ses accords clairs déjà entendus mille fois, et la voix qui monte dans les aigus pas forcément à bon escient ni de façon assez maîtrisée. C’est d’autant plus dommage que l’opus précédent, The Sorceress Reveals- Atlantis, était beaucoup plus aventureux dans ses sonorités et sa construction, mais le groupe assume un retour à un son plus direct. L’ensemble est très bien exécuté, et sans être absolument exceptionnels les musiciens sont tout de même très bons, ce qui rend l’écoute agréable. Tous les instruments proposent à tour de rôle des éléments intéressants : la guitare déjà citée, mais aussi la batterie (Giorgio Pinna), avec par exemple les roulements sur « Sleep Demon » ou sur « My Roots », et surtout la basse (Antonio Doro), qui s’entend particulièrement bien et apporte beaucoup de groove sur « The Black Mask », « Sleep Demon » ou encore « The Dark Lady ».
Mais le combo propose des éléments qui sortent des sentiers battus, et s’ils sont un peu trop en retrait par rapport au reste, ils offrent une vraie particularité à Souls Of Diotima. Ainsi, les monosyllabes des chœurs masculins sur « The Black Mask » ont une sonorité presque tribale. « Princess of Navarra », pourtant pas mémorable par ailleurs, gagne tout de même en puissance dans le dernier tiers avec un chœur masculin majestueux et empreint de puissance. Restent surtout en tête « Maty » et « Sherden », tous deux aussi soutenus par un chœur masculin marquant. Le premier est un titre lent, solennel, marquant, qui suit le rythme du chœur et happe l’auditeur. Le second, qui clôt l’album, joue habilement du contraste entre la solennité de ce chœur, les parties vocales féminines scandées et une guitare particulièrement agressive. Le point commun entre ces éléments les plus marquants est souvent une mise en avant plus prononcée des racines du groupe, qui a en effet fait appel à un chœur traditionnel sarde sur plusieurs titres : sans verser pour autant dans le folk metal, cela confère une vraie particularité à ces titres.
Janas est donc un album efficace, qui peut séduire de façon superficielle pour ses mélodies accrocheuses, ses rythmiques souvent dansantes et son agressivité calibrée – ou rebuter pour les mêmes raisons. Mais l’album recèle aussi des composantes plus profondes, plus viscérales, trop en retrait mais qui apportent une vraie différenciation à Souls Of Diotima. La formation italienne est solide et maîtrise son jeu. Le jour où elle parviendra à plus se démarquer des conventions actuelles du metal et à mettre autant en avant ses racines dans sa musique qu’elle ne le fait déjà dans ses textes, elle deviendra véritablement éclatante.
Tracklist
1- The Black Mask (4:49)
2- Sleep Demon (3:46)
3- The Princess Of Navarra (4:43)
4- Janas (4:41)
5- The Dark Lady (4:07)
6- Ichnos Superhero (4:45)
7- My Roots (4:03)
8- Maty (4:36)
9- Mediterranean Lane (4:40)
10- Sherden (5:18)
Sortie le 29 janvier 2021 chez Diotima Records Music Management LTD