Donner une suite à une oeuvre majeure est sûrement l’un des exercices les plus difficiles auquel puisse être confronté un artiste ou un groupe. Dans cette situation, deux choix semblent offrir une issue convenable : contenter les attentes du public en poursuivant dans une même direction au risque de produire un ersatz, ou faire table rase du passé et proposer une oeuvre radicalement différente de la précédente. Si Architects se retrouve aujourd’hui face à ce choix cornélien, le groupe est également contraint de résoudre une seconde énigme de taille : « que doit-il advenir de l’héritage de Tom Searle ? »
Cette question s’était déjà partiellement posée en 2016, après la disparition tragique du principal compositeur et parolier du groupe. Bien qu’ayant été élaboré sur les bribes de démos qu’avait laissé le guitariste avant sa mort, presque tout restait à faire pour que Holy Hell (2018) deviennent un album accompli. Architects avait alors choisi d’embrasser ce lourd héritage, de le faire perdurer une dernière fois et de le matérialiser dans une oeuvre ultime pour clore un chapitre dans l’histoire du groupe. Le résultat, salué par la majorité, public et critique confondus, s’est aussitôt vu confier le statut d’incontournable.
Aujourd’hui au point culminant de sa carrière, Architects se retrouve donc dans une position extrêmement délicate, forcé de garder le cap ou, de manière plus risquée, de renverser ses propres codes. For Those That Wish To Exist (FTTWTE) met fin au suspens et apporte les réponses tant attendues concernant l’avenir du groupe. Les Britanniques désormais menés par Dan Searle (batterie) se libèrent du fardeau et prennent un nouveau départ.
À l’inverse de Holy Hell, For Those That Wish To Exist sera probablement l’album le moins consensuel du groupe et animera sans doute des débats polarisés, voire passionnés. Difficile d’imaginer un autre scénario vues les réactions qu’avaient suscités "Animals", "Black Lungs" et "Dead Butterflies" à leurs sorties. FTTWTE est une proposition absolument radicale et admirable, dans laquelle certains ne reconnaitront plus Architects et où d’autres verront, à juste titre, un groupe fondamentalement changé. Nous y trouvons une évolution certes drastique, mais pas moins cohérente.
Ce nouvel opus tutoie des horizons musicaux que Holy Hell n’osait pas encore envisager. Les nappes électroniques et motifs orchestraux administrés à des morceaux comme "Dead Butterflies", "Impermanence", "Goliath", "Demi God" ou encore "Dying is Absolutely Safe" s’étaient évidemment déjà faits discrètement entendre sur Holy Hell et All Our Gods Have Abandonned Us (2016), mais pour la première fois, Architects embrasse pleinement ces nouvelles textures dans un geste cinématographique spectaculaire. De nouvelles dynamiques et consistances gouvernent ainsi une bonne parties des morceaux, les rendant plus accessibles, plus variés et, surtout, plus grandioses.
La production gagne en épaisseur et se laisse bercer par un millefeuille d’instruments, sans pour autant en devenir indigeste. Grâce à "An Extraordinary Extinction", "Dead Butterflies", "Flight Without Feathers" ou "Demi God", le groupe revoit en profondeur le combo guitares-basse-batterie, privilégie de nouvelles sonorités empruntées à des genres qui sortent de la sphère des musiques extrêmes et se libère ainsi, avec souplesse, des carcans du metalcore moderne dont il avait lui-même été l’artisan quelques années auparavant.
Architects distille son jeu au profit d’un ensemble plus élégant et opère un transfert de complexité technique vers une complexité structurelle. Avec Josh Middleton remplaçant Tom Searle à la guitare, le groupe trouve une toute nouvelle synergie où il ne s’agit plus seulement d’élaborer des riffs syncopés et mathématiques comme sur "Gone With The Wind" ou "Doomsday", mais de se concentrer sur cette nouvelle production plus épaisse et de profiter d’une certaine forme d’ébullition créative. Architects déploie ici un éventail de styles plus large que jamais et s’essaie à des compositions plus légères et directes. La violence n'en est pas pour autant tributaire, le groupe se permet toujours de dérouler des compositions d'une méchanceté incroyable, justement mises en exergue par les moments plus gracieux. Impermanence incarne à la perfection cette nouvelle direction, le morceau est dénudé de la complexité endémique du reste de la discographie du groupe et offre un concentré de violence absolument jubilatoire, porté conjointement par les cris acérés de Sam Carter et Winston McCall (Parkway Drive).
Les Britanniques se dirigent ainsi vers la pureté à l’état brut, non-seulement dans un souci de renouvellement, mais aussi de bien-être personnel des membres. Dan Searle et Sam Carter l’ont répété maintes fois aux cours des différentes interviews données dans le cadre de la promotion de FTTWTE, il était temps pour eux de se concentrer sur ce dont ils avaient besoin en tant qu’humains comme en tant que musiciens et de ne plus nager dans « une baignoire remplie de souvenirs horribles » (Sam Carter au micro de Craig Reynolds de Stray From The Path dans le podcast The Downbeat).
Tout n’est évidemment pas une réussite éclatante. Certains morceaux sont plutôt faiblards ou tendent à se répéter et la pertinence d’un nombre aussi élevé de pistes au compteur peut aisément être remise en question. L’album, bien que divisé en deux parties comportant chacunes leurs propres caractéristiques, se fait plutôt long et aurait mérité de se débarrasser de quelques titres ou de les reléguer au rang de « bonus tracks ». "Flight Without Feathers" forcera facilement de presser le bouton « suivant » alors qu’il est censé marquer la transition entre les deux tableaux du diptyque et offrir le premier moment de sérénité de l’album.
Aussi, "Giving Blood" et "Meteor" assurent exactement le même rôle en plus de proposer sensiblement la même chose : un morceau efficace et accrocheur. Si l’un des deux est évidemment le bienvenu dans un dispositif de cet envergure, la répétition provoquera une certaine forme de lassitude et l’autre se verra attribuer le rôle de morceau à peine passable. Malgré tout, force est de constater que cette prise de risque nécessaire à la survie du groupe est au minimum rafraichissante, si ce n’est excitante.
Dans un premier temps, FTTWTE éveillera certainement une forme de frustration auprès du public averti et plusieurs écoutes successives seront requises pour faire plier les avis fraichement établis. Le temps fera son effet, puis se dévoilera un album aussi intéressant que plaisant. D’ailleurs, le groupe n’a pas totalement renié ses origines, "Discourse Is Dead" et "Libertine" font largement écho à la trilogie Lost Forever // Lost Together - All Our Gods Have Abandonned Us - Holy Hell tandis que le thème de l’album, chancelant entre défaitisme et critique de l'inactivité de l'humanité face au dérèglement climatique, rappelle voltontiers celui tapissant les textes de LF // LT.
Avec For Those That Wish To Exist, Architects brille une nouvelle fois par son courage. Si la transition n’est pas aussi brutale que celle effectuée par Bring Me The Horizon il y a quelques mois de cela, force est de saluer ce qui s’apparente à un saut dans le vide. L’intention est louable, la réussite l’est davantage. Le groupe a su affirmer avec brio ses ambitions, s’illustre remarquablement dans leurs exécutions et indique sans aucun doute la direction vers laquelle vont pointer de nombreux groupes de metalcore dans les années à venir. À Dan Searle et sa bande, nous disons chapeau bas.
For Those That Wish To Exist est sorti le 26 février 2021 via Epitath Records.
Tracklist:
1. Do You Dream of Armageddon?
2. Black Lungs
3. Giving Blood
4. Discourse Is Dead
5. Dead Butterflies
6. An Ordinary Extinction
7. Impermanence ft. Winston McCall (Parkway Drive)
8. Flight Without Feathers
9. Little Wonder ft. Mike Kerr (Royal Blood)
10. Animals
11. Libertine
12. Goliath ft. Simon Neil (Biffy Clyro)
13. Demi God
14. Meteor
15. Dying Is Absolutely Safe