Quelque chose de grand se trame sous nos yeux depuis quelques années. Une nouvelle vague de musiques extrêmes plus sanglantes que jamais, dont il est difficile d’identifier clairement l’étendue ou la substance, déferle en Occident et se répand un peu plus chaque jour. Une myriade de groupes qui ne s’inscrivent ni dans le hardcore, ni dans le metal et, paradoxalement, dans les deux en même temps, travaillent en effet de concert dans le but de redéfinir presque quotidiennement les limites de ce qu’implique la violence musicale dans l’imaginaire collectif.
Pointures et formations émergentes oeuvrent ainsi de manière plus ou moins consciente dans un effort de redonner du souffle à des genres qui se sont trop souvent complus dans la redondance. Avec Mirrors, son premier album paru via Prosthetic Records (Vile Creature, Venom Prison, Leeched…), Pupil Slicer vient ajouter sa pierre à l’édifice et entend exploiter en profondeur le désir intrinsèque d’agressivité et de catharsis qui gît en chacun de nous.
Pupil Slicer nous offre un album à mi-chemin entre le mathcore et le grindcore, dont les riffs anguleux et tranchants ne sont pas sans rappeler ceux de Converge ou même de The Dillinger Escape Plan et, tout comme ses pairs, qui se place sous le signe d’une urgence déroutante. À peine a-t-on eu le temps de s’accommoder aux motifs musicaux les plus directs et simples qu’ils se désintègrent aussitôt en un bouquet d’arythmies et de dissonances ne laissant aucun répit. Bien qu’il soit parfois dommage de voir certaines de ces idées annihilées au bout de quelques secondes et l’album s’engouffrer dans la précipitation, la créativité qui en émane n’en reste pas moins impressionnante.
De Mirrors émerge une sorte de chaos ambiant, baignant dans une production crasseuse où préside un sentiment claustrophobe. Car s’il se fait étonnamment intelligible et groovy, cet album de Pupil Slicer ne laisse aucune chance à la quiétude. À l’exception de quelques moments de battement comme sur "Husk" ou "Wounds Upon My Skin", qui offrent un bel aperçu du sens accru des dynamiques et de la versatilité inhibés par le groupe, toute la base musicale est conçue pour infliger une sensation d’inconfort et ainsi véhiculer de manière on ne peut plus pertinente les textes tirés « de nombreuses expériences douloureuses et profondément personnelles » vécues par Katie Davies (chant/guitare).
S’il s’agit pour elle d’un exercice d’exorcisme et de digestion des violences qu’elle a pu subir, Mirrors se fait également, par sa plume, le vecteur d’une critique tout à fait intense d’injustices et oppressions répandues à une échelle bien plus large. Plus particulièrement, le texte de "Panic Defense" est un véritable pamphlet dénonçant la pratique dite de la « gay panic defense », renvoyant à une stratégie légale dans laquelle la défense explique la violence d'un accusé par une folie temporaire liée à des avances sexuelles d'une personne du même sexe ou d’une personne transgenre, stratégie homophobe et transphobe qui sévit encore aujourd’hui dans un certain nombre d’états américains.
Aussi délicats qu’ils soient, ces sujets sont abordés avec une sensibilité ainsi qu’une empathie exceptionnelles et se voient parfaitement imbriqués dans un tableau musical dantesque. Celui-ci tutoie les degrés d’agressivités les plus extrêmes, peints dans une palette sonique des plus obscures, afin de rendre chaque mot bien plus percutant.
Ce mathcore virulent, dont la plastique est moulée dans la misère, l’anxiété, la douleur et l’agressivité, Pupil Slicer le maitrise avec une précision chirurgicale qu’on ne peut que saluer, surtout quand il s’agit d’un premier opus. Ni accessible, ni ludique, Mirrors n’est pas à mettre entre toute les mains, mais il ravira les désireux d’étancher leur soif d’ultraviolence et offre des perspectives prometteuses pour l’avenir de la scène.
Tracklist:
1. Martyrs
2. Stabbing Spiders
3. L'Appel Du Vide
4. Panic Defence
5. Husk
6. Vilified
7. Worthless
8. Wounds Upon My Skin
9. Interlocutor
10. Mirrors Are More Fun Than Television
11. Save The Dream, Kill Your Friends
12. Collective Unconscious
Sorti le 12 mars 2021 via Prosthetic Records