Que de chemin parcouru ! Il y a vingt ans, déjà, les Landais de Gojira sortaient leur premier opus, Terra Incognita, et commençaient à marquer le paysage français du metal extrême. Même pas dix ans après, le combo était sur le toit du monde et ouvrait pour Metallica. Sans se reposer sur ses lauriers, le groupe a quand-même pris le temps nécessaire, cinq ans, pour accoucher du successeur à Magma.
Depuis les débuts, chaque sortie du groupe apporte un élément nouveau, une inspiration ou une direction générale inédite. Impossible de mentionner The Link sans évoquer ce côté tribal, roots poussé à l’extrême, ou The Way Of All Flesh et sa production cliniquement froide qui, couplée à certaines des compositions les plus techniques et alambiquées de la formation, participe à cet album impressionnant mais que beaucoup considèrent comme manquant d’âme et de feeling. La dernière en date, Magma, a beaucoup fait parler d’elle exactement pour les raisons inverses : pas mal de gens reprochaient au groupe de s’être trop assagi et d'avoir perdu cette technicité qui était partie intégrante de sa marque de fabrique. Fortitude ne déroge pas à cette règle et présente une nouvelle facette de Gojira, une nouvelle incarnation. Allons direct au point que certains attendent : non, le groupe n’est pas de retour avec un monstre de technique façon From Mars To Sirius. Mario l’a déjà dit dans plusieurs interviews, le groupe s’est fatalement calmé par rapport à cette période et aspire aujourd’hui à plus d’emphase sur les mélodies. Mais Fortitude n'est pas pour autant un Magma 2.0 : il troque une part de ce que le précédent avait en intensité et en lourdeur pour un aspect plus positif, plus politique, plus rock. Plus dynamique aussi.
Hymne immédiat salué dès la publication de son clip en tant que second single, c’est le super addictif “Born For One Thing” qui se charge d’ouvrir l’album. Sans surprise, il est parfait dans ce rôle avec une bonne dose de technique et d’énergie, sans oublier la mélodie, en particulier dans ce refrain bien entêtant. Ça change de “The Shooting Star”, et effectivement on y retrouve un peu des albums de la formation pré-Magma. En plus d’être énergique, la piste est également remarquable en ce qu'elle constitue la plus courte introduction d’album depuis les débuts du groupe : ça joue vite et Gojira nous en met plein les oreilles dès le début ! Ça s’annonce bien, et pourtant, les choses sérieuses ne commencent vraiment qu’avec “Amazonia”. Cela faisait un moment que le groupe n’avait plus vraiment intégré d’éléments tribaux ailleurs que dans des interludes, alors lorsque retentit le début de ce titre ponctué de guimbarde, c’est l’extase. The Link n’est pas loin, et le groupe ne s’arrête pas là : on retrouve dans ce titre très engagé (on reviendra sur les textes ensuite) une superbe flûte et des techniques de chant de gorge traditionnelles des tribus d'Amazonie. Même si l'ensemble du titre reste sur du mid-tempo, le feeling et cet état d’esprit tribal assumé (vous savez que les gars de Gojira apprécient Sepultura ?) font d’”Amazonia” une des pépites de cet album, et un des meilleurs singles récents de la formation des Landes.
En terme de rythmiques, au sein d’un album largement dominé par des titres mid-tempo assez convenus, quelques belles surprises que l’on n’attendait pas (plus ?) forcément de Gojira en 2021 viennent varier le spectre et apporter une certaine dose de technicité bienvenue. On pense en particulier au très très groove “New Found”, dont les breaks presque propres comme du metalcore s'annoncent imparables sur scène. On imagine sans mal le titre asséné sur la Mainstage 1 du Hellfest, intercalé pourquoi pas entre "Silvera" et "Backbone", tant pareille rythmique donne envie d’un pogo. Mais plus encore, on pense directement à “Into The Storm” qui, derrière son introduction dans un crescendo endiablé, impose une polyrythmie à base de doubles croches à la grosse caisse, pour un ressenti qui rappelle un peu le “Esoteric Surgery” de The Way Of All Flesh. On pourrait aussi mentionner “Grind”, le titre de clôture dont l’introduction vaut également le détour : il y a épisodiquement de quoi se faire plaisir sur le plan des rythmiques, même si clairement, la majorité des compositions restent plus sur le modèle des mid-tempo de Magma, avec un appui net des mélodies et des ambiances.
Et le meilleur exemple n'est autre que le cœur même de ce Fortitude : le titre éponyme suivi de “The Chant”. Sur le premier, Gojira retrouve la route des interludes pleins d’instruments tribaux, à la différence près que chacun des membres y entame en un beau chœur le chant, qui continue sur le second titre et se répète, ponctuant chacun des couplets de Joe. Le résultat est à la hauteur du message véhiculé et transporte l’auditeur dans une belle complainte, exercice plutôt original pour le groupe. Beaucoup d'autres titres ("Hold On" ou encore "Another World") sont sur un schéma similaire, avec des mélodies fortes et bien mises en avant par la production impeccable d’Andy Wallace, qui donne une vraie place importante à la basse de Jean-Michel, garante du groove et partie prenante du ressenti de Fortitude.
Interrogé sur l’identité de ce nouvel album, Joe insiste sur la différence fondamentale d’état d’esprit par rapport à Magma. Là où ce dernier était plutôt sombre, assez triste et intimiste, puisque écrit en partie dans des périodes de deuil, Fortitude est au contraire beaucoup plus positif et encourageant. Au travers de thématiques qui restent clairement lourdes et tragiques (les errements de nos sociétés consuméristes et le désastre écologique, illustré par la déforestation en Amazonie et ses conséquences directes et indirectes sur les populations indigènes, mais aussi la fin de l’humanité qui approcherait selon des experts), le groupe nous incite à tenir (“Hold On”), montrer le meilleur de nous-mêmes et en appelle à notre sens de la désobéissance civile (“Into The Storm“). Un message de courage ("fortitude" en anglais) qui trouve clairement son écho en la période actuelle de pandémie, et que le groupe s'applique déjà (la collecte de fonds pour l’Amazonie est d’ailleurs toujours en cours, jusqu'à la sortie de Fortitude). Un message qui se retrouve également dans les successions d'accords et la progression des compositions, plus empreinte d'espoir que de résignation, à l'instar du final de “Grind”, ponctuant cet album par une belle touche d’optimisme.
Pour son septième album, Gojira assure, une nouvelle fois. Artistiquement situé entre l’émotion de Magma et certains des albums plus techniques du passé, Fortitude a de très sérieux arguments pour prendre une place de choix dans les discothèques des nombreux passionnés du groupe, en particulier le retour en grâce des inspirations tribales. Le groupe nous gratifie ainsi d'un album plus solide encore que ne l'était Magma, même si ça ne suffira probablement pas pour contenter ceux qui ne jurent que par les premiers albums, et qui voient et vont continuer de voir en Gojira un groupe qui s'est trop calmé pour eux. Ceux-là attendent sûrement la reprise des concerts, car là le groupe évolue sur son terrain favori et met tout le monde d'accord. Vivement !
Tracklist: |
“Born For One Thing”
“Amazonia”
“Another World”
“Hold On”
“New Found”
“Fortitude”
“The Chant”
“Sphinx”
“Into The Storm”
“The Trails”
“Grind”
Sortie le 30 avril chez Warner / Roadrunner