Cela fait trois ans qu'un vent de renouveau souffle pour Subterranean Masquerade. Auparavant plutôt groupe de studio, la formation prog originaire d'Israël a vu son line-up remanié et s'est révélée sur scène lors de multiples tournées, délivrant des prestations live incroyables. Le collectif n'est pas resté inactif à l'arrivée de la crise sanitaire, maintenant le lien avec son public et préparant "l'après" avec soin : le quatrième album, Mountain Fever, objet proggy, accrocheur et cosmopolite, regorge de variété et se pose comme un nouveau pas de géant dans le parcours sans faute de Subterranean Masquerade.
Avec cet album qui succède à The Great Bazaar (2015) et Vagabond (2017), Subterranean Masquerade confirme sa quête d’une expression plurielle, pleine de dualité et d’ouverture, prenant l’adjectif ‘progressif’ au pied de la lettre. Mountain Fever développe en effet en dix morceaux un prog moderne et chatoyant, mêlant des éléments de musiques traditionnelles et du heavy metal à des touches de blues, de jazz, ou de folk, mais rien dans les compositions ne sonne comme trop complexe ou alambiqué pour autant ; bien au contraire, l’opus se caractérise par une abondance de refrains rock eighties à la puissance fédératrice.
La fusion s’opère entre rétro et moderne, heavy et mélodique dans les arrangements, de la piste d’ouverture accrocheuse "Snake Charmer" au single très groovy "Ascend", hymne heavy rock 80s à la rythmique implacable, intégrant des touches d’instruments et de chant traditionnels. Entre Orient et Occident, utilisant cet héritage metal noble, et un certain goût pour la pop autant que pour les musiques traditionnelles, Tomer Pink, guitariste et compositeur du groupe, a créé des univers riches, marqués par la puissance et les mélodies universelles.
Ce savant mélange est porté par une prestation vocale exceptionnelle de Davidavi Dolev, dit Vidi, fantasque personnage aussi brillant au chant clair, suave, que dans un registre puissant et guttural, aux growls sinistres – capable d’invoquer Jon Bon Jovi, Leonard Cohen, ou Mikael Åkerfelt selon les besoins du morceau. Le vocaliste et parolier, pourtant l’une des dernières recrues du groupe, a su occuper avec un rare talent le rôle tenu précédemment par deux chanteurs, et délivre une interprétation puissante, honnête et marquante à cet album, mettant sa polyvalence au service de la variété des compositions.
Le disque comprend plusieurs invités notables, notamment Matan Shmuely d'Orphaned Land à la batterie, ainsi que la voix d'Ashmedi (Melechesh) et Jackie Hole (The Super Things) sur “Somewhere I Sadly Belong”, piste surréaliste où un solo de basse, des riffs ravageurs et une conclusion au piano accompagnent une joute vocale inédite, partagée entre growls, screams thrashisants masculins, et la soul féminine et puissante du refrain.
Le dépaysement est total dans des morceaux davantage orientaux, comme dans le titre chanté en hébreu "Ya Shema Evyonecha" (dans lequel quelques pointes de growl, gros riffs, ligne de basse ronflante et synthé rétro côtoient des instruments traditionnels). Les sept musiciens qui composent la troupe réussissent le tour de force de maîtriser l’art de l’équilibre entre les compositions heavy accrocheuses et l’identité world music de l'album : nombreux sont les titres mettant en valeur des instruments traditionnels, que ce soit des percussions africaines ou des violons orientaux ("Diaspora, My Love"), ou des sections de cuivres venus d’Afrique ou des Balkans (sur l'impressionnant "Mountain Fever").
Mountain Fever pourrait être qualifié d’opus du paradoxe, alliant chaos et simplicité, douceur et feu d’artifices, en gardant une singularité et une touche vraiment reconnaissable. Emporté par la fièvre de la montagne, l’auditeur entame un tour du monde d’influences mais la découverte relève autant de l’universel que de l’intime. Surprenant, contradictoire voire bipolaire ? Certes – mais l’album parle de l’amour, d’un exil spirituel et des pérégrinations intérieures, thématiques collant parfaitement à une sensibilité aux multiples facettes. Le chant angélique de Vidi, chuchoté et grave, tutoie de discrets growls et des choeurs dans "Inwards". Au menu de ce morceau au summum de la dualité, une structure de classic rock agrémenté de cordes orientales, de la puissance et une mélodie délicate, et un final où double pédale et solo de saxophone trouvent une osmose inespérée !
Il faut attendre la neuvième piste pour trouver l’épopée prog par excellence, "For the Leader, With String Music", de loin le titre le plus lourd de l’album mais aussi le plus long. La puissance des riffs, les lignes de basse de Golan Farhi et la rythmique punitive de l’excellent Jonathan Amar évoquent un death metal d’école, puis le numéro d’équilibriste prend tout son sens sur des passages plus aériens. L’osmose entre les musiciens, la réalisation technique et les transitions multiples, tout est mis en valeur par une belle production. Mountain Fever, enregistré par David Castillo à Golan Heights en Israël, a été mixé en Suède aux Studios Fascination Street (Leprous, Katatonia, Opeth) par Jens Bogren et Tony Lindgren.
La troupe sait aussi se montrer sentimentale, en témoignent deux ballades construites en crescendo, que ce soit dans l’élégance piano / cordes avec un chant doux évoluant vers le growl ("The Stillnox Oratory") ou pour une interprétation remplie d’émotions : le single “Mångata” (sur lequel Idan Amsalem d’Orphaned Land est invité à la guitare et au bouzouki), avec son chant inspiré et son ambiance teintée de nostalgie, est parfait pour clore l’album et, accessoirement, faire verser une petite larme à l’auditeur, immanquablement tenté par une nouvelle écoute.
Encore un petit miracle de 2020 : on aurait pu penser que l’énergique bande capable de performances live fougueuses aurait vu sa flamme vaciller pendant ces longs mois loin de son public, or il n’en est rien : de la dualité et la contradiction, la troupe a fait naître des compositions étonnamment efficaces et puissantes capables d’amener l’auditeur à des réflexions sur l’amour ou la quête d’identité tout en lui procurant des émotions, un sentiment de facilité, de joie, et, bien sûr, une envie irrépressible de communier avec le collectif dans l’obscurité d’une salle de concert !
Maniant la multiplicité des influences et des arrangements avec une facilité déconcertante, Subterranean Masquerade livre ici son meilleur ouvrage, véritable pépite prog moderne, puissante et accrocheuse, fruit d’un incroyable élan créatif à quatre mains, magnifié par une production impeccable. Créature polymorphe à la fois flamboyante et subtile, Moutain Fever possède tous les atouts pour séduire le plus grand nombre, faisant voler en éclats les barrières entre les genres et les courants musicaux.
Tracklist Mountain Fever :
1. Snake Charmer
2. Diaspora My Love
3. Mountain Fever
4. Inward
5. Somewhere I Sadly Belong
6. The Stillnox Oratory
7. Ascend
8. Ya Shema Evyonecha
9. For The Leader, With Strings Music
10. Mångata
Line-up Subterranean Masquerade :
Davidavi (Vidi) Dolev - chants
Tomer Pink - guitare
Or Shalev - guitare
Omer Fishbein - guitare
Shai Yallin - claviers
Golan Farhi - basse
Jonathan Amar – batterie
Mountain Fever, quatrième album de Subterranean Masquerade, sort le 14 mai 2021 via Sensory Records
Crédits photos :
- Subterranean Masquerade, droits réservés
- Sophie Capron 2019 (Reproduction interdite sans l'accord de la photographe)