Chaque mois, notre rédaction met à l’honneur quelques formations émergentes qui lui ont tapé dans l’œil (ou plutôt dans les oreilles). Nous espérons que cette mise en lumière permettra à des groupes passionnés et de qualité d’obtenir l’exposition qu’ils méritent, car ils sont la preuve de la richesse et la diversité de notre scène musciale. Bonnes découvertes !
Divergence – Bounces And Echoes (Chiptune / Prog)
On a découvert Divergence avec le clip de "Bounces And Echoes" en début d'année. La formation de la région de Chambéry propose un metal progressif instrumental, dont la particularité est d'être influencé par l'univers chiptune. Qui dit chiptune, dit utilisation de sons midi voire de samples issus des ordis et des jeux vidéo d'antan. Le tout, incorporé dans un metal instrumental bien technique pas dénué de touches jazzy, qu'on pourrait presque rapprocher de Mörglbl (ce n'est probablement pas un hasard si le groupe a déjà ouvert pour celui de Christophe Godin).
Du haut de ses déjà huit ans d'existence, le combo offre ici son quatrième EP, et Bounces And Echoes se révèle le plus long et le plus riche, mais également celui qui intègre le mieux les influences geek jeu vidéo du groupe. En effet, si cette composante était présente dès les débuts ("I Know Where You Hide", littéralement basée sur les répliques cultes du nanar Hitman Le Cobra ou encore "Try Hard", dont l'intro est le logo tournant du gamecube), le groupe distille maintenant ces influences vidéoludiques (surtout période 16 bits) un peu partout dans les sept titres de cet EP, en commençant dès le titre d'introduction, "Continue", et son final en nappes qui nous mettent directement dans l'esprit Zelda 3. L'ajout des sonorités chiptune se fait différemment en fonction des morceaux : tantôt ("Salt Desert") les notes répétées viennent appuyer les riffs rythmiques, tantôt ("Bounces And Echoes") les sonorités sont à la base de la mélodie.
Mais l'aspect chiptune n'est qu'une des composante du son Divergence, et naturellement de ce dernier EP : les quatre membres sont égalements de bons musiciens, techniques et qui maîtrisent leurs instruments. La basse d'Alix combiné au jeu mesuré d'Amaury derrière les fûts apporte une bonne dose de groove, tandis que les guitares (partagées entre Nicolas et Rémi, les deux membres fondateurs) sont rapides et bien mélodiques, dans un style typique du metal progressif. Les compositions sont bien écrites, bien variées et s'enchaînent naturellement, si bien que la trentaine de minutes que dure "Bounces And Echoes" passe finalement plutôt vite. On en redemande !
Lien vers Bounces and Echoes
Lien vers les anciens EP
Chronique de Félix
Dyrnwyn – Il Culto Del Fuocco (folk metal)
Dyrnwyn, cela sonne assurément gallois comme nom, avec ses enchainements de consonnes et de « y ». Et pour cause : il s’agit d’une épée magique, sur le modèle des Excalibur et autres Durendal, propriété de Rhydderch Hael, héros mentionné dans les Triades galloises. C’est aussi le nom qu’a choisi de porter un groupe pourtant beaucoup plus méridional, puisqu’il est italien. S’il s’inspire de la mythologie celte septentrionale pour son nom, le combo chante pourtant dans sa langue natale, et a comme thématique principale l’histoire de la Rome antique.
Malgré neuf ans d’existence, Il Culto Del Fuocco n'est que le second album des Romains, après une démo et un EP. Dans la lignée du premier LP de2018, folk metal d’obédience plutôt extrême compose le programme. Le chant de Thierry Vacher repose uniquement sur une voix ultra saturée, avec une tendance à partir dans les aigus, qui retranscrit bien les multiples combats et nombreuses vicissitudes de l’Empire puis la République de Rome. Les guitares (Alessandro Mancini et Alberto Marinucci) – basse (Ivan Cenerini) – batterie (Ivan Coppola) font dans le bourrin sans fioriture, histoire de rester dans le ton. Le clavier (Michelangello Iacovella) ultraprésent apporte une tonalité presque viking, qui semblerait parfois lorgner vers le symphonique, en tous cas cela donne une dimension clairement épique. Et ça et là, une flûte vient apporter une note plus folk et organique.
On peut regretter que cette note organique soit trop peu présente – le folk metal a souvent plus de saveur quand il privilégie les instruments acoustiques à la surabondance de claviers – et que les arrangements des instruments metal manquent parfois de subtilité. Mais à ces deux réserves près, Il Culto Del Fuocco est un album tout à fait réussi, qui embarque les auditeurs dans le fracas des batailles à grands coups de violence et d’héroïsme. Mention spéciale à « Leucesie » et « Sentinum », morceaux qui, sans renier l’agressivité de l’ensemble, portent des mélodies plus travaillées et mettent mieux en avant la flûte, et se démarquent ainsi des compositions. Dyrnwyn est en tous cas un groupe à suivre sur la scène folk metal italienne.
Chronique de Aude d
Everlust – Diary Of Existence (metal gothique mélodique)
Certains groupes ont encore un statut d’émergents alors qu’ils ont déjà une histoire mouvementée derrière eux. Everlust présente ainsi son deuxième album studio, Diary Of Existence, alors que la formation lettone a vu le jour en 2006. Vlad Pucens, guitariste et chanteur, essaye de rassembler des musiciens autour de son projet, puis se résoud à sortir une démo tout seul en 2007, avant de mettre le projet en sommeil faute de succès, pour le réactiver en 2013.
Après un premier album studio en 2017, voici donc Diary Of Existence. Le groupe se définit comme du rock / metal mélodique gothique. On retrouve en effet tous ces éléments dans l'album, qui offre des morceaux plaisants, mélancoliques, plutôt lents, pas dénués d’un certain romantisme noir. Le jeu des différents instruments est maîtrisé, les mélodies sont agréables, la voix féminine correspond bien à l’univers gothique et apporte une certaine variation et une certaine émotion dans son interprétation (voir notamment « Writing on the Walls », reprise de Sam Smith).
Mais si les morceaux sont de bonne tenue, le groupe semble encore chercher son identité. L’introduction de « Gemini », à base de sons inquiétants, de sanglots et de guitares lourdes saturées, laisse en effet présager un album de metal gothique particulièrement lourd et sombre. Or, beaucoup de morceaux s’orientent plutôt vers du rock gothique à la noirceur de façade, agréable mais un peu léger pour ceux qui espéraient plonger au tréfonds des tourments de l’âme humaine. C’est d’autant plus vrai dès que Vlad Pucens prend le chant. Faute d’arrangements plus lourds, sa voix dirige plus vers des ambiances rock voire pop gothique, et est parfois un brin trop maniérée (sur « Everlust » notamment).
Même si on reste un peu sur sa faim, l’album n’en reste pas moins intéressant et offre des éléments prometteurs, notamment la voix de Kate Brown, le travail des guitares de Pucens et Max Reksna et du clavier d’Andrew Jirgensons. Reste à Everlust à se construire une identité plus consistante.
Chronique de Aude d
Psychonaut / Sâver – Emerald (Split EP / post metal)
Voici le genre de sortie dont le label indépendant Pelagic (fondé par Robin Staps de The Ocean) a le secret : un EP sur lequel deux groupes, animés par une même démarche d’exploration organique autant que musicale, proposent des compositions complètement hors des sentiers battus. Difficile de faire plus intrigant que ce split de Psychonaut (Belgique) et Sâver (Norvège) : chacune des deux formations, en effet, propose une seule et longue piste pour un total de trente-cinq minutes de musique, navigant entre lourdeur et calme, émotions à vif et expérimentations spirituelles.
Seize minutes durant, le trio belge Psychonaut présente "The Great Realisation", entre épopée métaphysique et œuvre-concept en cinq actes, chaque tableau narrant une expérience psychédélique. Tout y est massif, la créativité du trio s’exprimant sans frein, de la production soignée à la profusion des couches de percussions et d’instruments utilisés, de la variété des chants (des chœurs, polyphonies, au chant de gorge, des screams saisissants au chant clair hypnotique) à l’impressionnante expression des guitares, par les riffs écrasants ou accords délicats acoustiques. Saisissant de profondeur, de technicité et de fluidité, ce morceau-fleuve à l’identité tribale, mélodique et lourde, s’impose dans ses contrastes parfaitement maîtrisés comme un prolongement naturel à Unfold the God Man, le remarquable premier album de Psychonaut paru il y a un an.
Place à Sâver pour "Dimensions Lost, Obscured By Aeons", seconde piste d’Emerald. Le trio norvégien livre également ici une composition qui fait suite à un très bon premier album, They Came With Sunlight (2019). Le décor planté est plus sombre, et après une longue introduction aux nappes de synthés traînantes, les riffs et le bourdonnement de la basse prennent le dessus. Tout est chargé dans le sludge metal de Sâver, des passages hypnotiques à l’accordage très bas de la guitare en passant par le grésillement devenant la ligne mélodique de conclusion. Encore une fois, le jeu des contrastes fait mouche : le chant clair et réverbéré du guitariste s’allie au scream saturé du bassiste, et derrière les fûts il y a autant de lourdeur que de variations subtiles.
Les deux formations post metal se sont bien trouvées : Emerald brille par sa cohérence, sa lourdeur, et sa richesse. À noter que Sâver et Psychonaut ont pu présenter ces deux compositions pour l’édition en ligne du Roadburn Festival le mois dernier, en livrant des performances réellement captivantes.
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Chronique de Julie L
The Scalar Process – Coagulative Matter (death technique)
Depuis quelques années le death technique a le vent en poupe. Cette vague musicale popularisée par Necrophagist et Obscura au début des années 2000 a largement su faire des émules, en témoigne la reconnaissance aujourd'hui obtenue par Spawn of Possession ou encore Beyond Creation. Et la France n'est pas en reste, puisque des formations s'y donnent les moyens à la hauteur de leurs ambitions, comme Fractal Universe ou The Scalar Process. Cette dernière nous offre aujourd'hui son premier album, Coagulative Matter, un album riche et particulièrement travaillé.
A la différence des combos mentionnés précédemment, The Scalar Process n'hésite pas à inclure des éléments atmosphériques dans ses compositions, ainsi qu'une touche moderne, à travers certaines rythmiques saccadées, parfois djenty ("Cosmic Flow", "Poisoned Fruit"). Les parties de batterie de Clément Denys (Fractal Universe, batteur de session sur l'album) apportent la puissance nécessaire à l'ensemble, tandis que les claviers et la guitare se chargent d'uniformiser le tout.
Que les amateurs de technique se rassurent, The Scalar Process (et son guitariste Eloi Nicod) maîtrise les codes du genre, à base de sweeping legato et autres plans en tapping ("Celestial Existence", "Ink Shadow", "Azimuth"). On songe régulièrement à Obscura ("Azimuth" lorgne du côté de Cosmogenesis), sans pour autant que la technique ne prenne le pas sur la musicalité. Et à cet effet, les nombreux passages atmosphériques et interludes, à la manière de ce que propose Fallujah, offrent des respirations bienvenues (le pont de "Ink Shadow", l'interlude "Ouroborous", l'introduction "Elevation" et l'outro "Somnambulation"). Les arpèges cristallins de la guitare d'Eloi se rappellent régulièrement à notre souvenir ("Poisoned Fruit"). The Scalar Process tente même une incursion jazzy sur "Mirror Cognition" avant de retrouver ses racines death metal sur la fin du titre. Nous avons précédemment mentionné Fallujah. Et bien sachez que Scott Carstairs, guitariste de la formation américaine, se fend d'un solo sur "Ink Shadow".
La vraie surprise de l'album réside dans le titre éponyme, qui s'étend sur plus de dix minutes et met en avant la facette progressive de The Scalar Process. La formation expérimente ose varier les ambiances (ce piano sur le final de "Coagulative Matter"), dans un tout particulièrement cohérent en dépit de la difficulté de l'exercice. On apprécie également les variations dans le chant de Mathieu Lefevre qui ne se cantonne pas au même registre tout au long de l'album.
Avec Coagulative Matter, The Scalar Process frappe fort d'emblée avec un album solide, et fait preuve d'une grande maturité pour un premier opus. On ne peut que souhaiter à la formation le même succès que celui récemment obtenu par leurs compatriotes de Fractal Universe.
Chronique de Watchmaker
Watershape – You Are Not (metal progressif)
Watershape, formation prog venue d’Italie, a déjà à son actif un bon nombre de reprises (de Bowie à King Crimson en passant par Porcupine Tree), et un premier album sorti en 2018. Le quintette continue de s’affirmer et exprime son style particulier dans ce nouvel opus, You Are Not, sorti le 21 mai 2021 via Elevate Records. Les compositions des huit titres révèlent des structures progressives vraiment intéressantes, avec des ponts jazzy, notes mélodiques et envolées vocales, mêlés au groove et à l’intensité de passages metal très fort en riffs comme dans "The Mystery Man" ou "Floating (In the Damp Air)" où le combo basse/guitare galopant et un solo d’école amènent une puissance presque nostalgique à l’album.
Il faut noter le beau travail sur les percussions, tour à tour jazzy, orientales ou franchement heavy qui accompagnent riffs puissants et lignes de synthé pour un retour bienvenu dans les années 80 ("The Endless Journey"). Par griffes subtiles, Watershape ose et expérimente, faisant flirter accords metalliques avec des touches de world music, des passages syncopés et des envolées lyriques à la Leprous dans des morceaux éclectiques voire bariolés comme "Colors Rite", avec sa fin planante très seventies, ou "In the Garden of Dreams and Grace", à la grâce rappelant Porcupine Tree.
Vocalement, la prestation est également diversifiée, plutôt agréable dans les passages en chant clair, franchement séduisante quand Nicolò Cantele sature légèrement son chant ("Timanfaya"), un peu moins convaincante en revanche sur des surinterprétations assez théâtrales ("Mr K", "Colors Rite"). Le single "Enough" résume bien l’identité de Watershape, entre recherche expérimentale, intensité et mélodie : l’ambiance plantée par les nappes de synthé, l’oscillation entre un phrasé syncopé dans les couplets et des mélodies suaves dans les refrains, le jeu basse / batterie balancé, une guitare subtile accompagnant les envolées du vocaliste, voilà du prog étrange mais attrayant, troublant sans pour autant être dérangeant. Quelques imperfections de production ne viennent pas gâcher cet élan prometteur de composition, qui saura séduire les amateurs de curiosités progressives.
Chronique de Julie L