Alors que nombre d’artistes puisent dans la littérature fantasy pour engendrer des œuvres merveilleuses, le jeu vidéo semble encore être laissé de côté par beaucoup. Mis à part des groupes comme Tomb Mold ou bien Visigoth – qui a publié un EP sur le gargantuesque univers de Dark Souls en 2019 – peu se sont aventurés à mettre en musique ces univers parfois tout aussi foisonnants que leurs camarades de papier. C’est pourtant ce qu’a fait Serena Cherry, chanteuse dans Svalbard, avec Noctule dont sort le premier album, Wretched Abyss, qui nous propose ici une plongée dans les contrées de Skyrim.
Le dixième art a beau être récent, cela n’empêche pas les développeurs d’avoir pu créer des œuvres marquantes. Que ce soit au niveau du gameplay, au niveau visuel, ou encore dans l’immersion, nombreux sont les jeux à avoir traumatisé les (très) multiples joueurs. Et très clairement, la saga des Elder Scrolls est de ceux-ci. Une expérience amenant à un investissement sans pareil avec comme récompense la joie de se trouver dans un monde protéiforme… Où le feu et le froid s’affrontent, où les intrigues de cour vous marquent autant que les paysages que vous traversez, et où le terme "jeu de rôle" n’est jamais galvaudé.
Et là où le metal est souvent utilisé dans des bandes originales vidéoludiques – on peut citer Doom et l’intense travail de Mick Gordon, ou encore Percival Schuttenbach sur les aventures de Geralt de Riv (The Witcher) – , l’inverse est peu courant. Est-ce du fait d’une musique déjà existante sur le média ? Peut-être bien, dans le cas présent, la mise en mélodie de Skyrim par Noctule est une véritable réussite. En alliant black metal et éléments marquants de l'univers fantasy du cinquième opus des Elder Scrolls, le one-woman band arrive ici à transmettre sa passion dans une mixture sonnant comme une évidence.
Et pour peu que l’on connaisse un peu le travail de Serena Cherry sur Svalbard, le rendu sonore n’est finalement pas une surprise. La recette du black metal moderne mais classique est là : une couche de black metal très froid, d’intenses tremolo pickings, des cavalcades impétueuses de guitares associées à des hurlements à s’en déchirer la gorge. Mais, comme dans son groupe de screamo, la Britannique rajoute énormément d’émotions et le post rock n’est jamais loin. Les delays, la reverb, les envolées mélodiques enveloppent de beauté et de mysticisme la violence initiale du propos.
Quand bien même la mélancolie s’invite au détour de tempo ralenti sur "Deathbell Harvest", "Labyrinthian" ou encore, et surtout, "Evenaar", les compositions de l’album sont dans leur ensemble particulièrement épiques. Que ce soit "Wretched Abyss" ou "Elven Sword" aux cadences et riffs façonnés pour le headbang, ou bien "Winterhold", tout donne envie d’aller affronter ténèbres et dragons épée en main. Et malgré sa violence quasi continuelle, le disque offre un renouvellement constant, bien aidé en cela par son versant le plus mélodique lui permettant de varier les ambiances pour ne pas tomber dans la redondance.
Au fil des écoutes, on se prend petit à petit à remarquer des rythmiques, des patterns et un agencement qui font sortir cet album de la nasse. Le boulot de composition pour une personne dont c’est le premier projet en tant que one-woman band est saisissant. Du chant à la batterie en passant par les multiples guitares, tout a été travaillé avec minutie et surtout, cela transpire par tous les pores du disque, avec passion. La manière de conter Skyrim – oui désolé, le terme français Bordeciel est vachement moins beau – à travers ces chansons est une preuve que la force du jeu vidéo est précisément cette expérience qui est unique à chacun des joueurs. Et au final, Noctule n’est que ça : la restitution d’un amour sincère pour un jeu dont l’aura marque toujours si longtemps après sa sortie.
Wretched Abyss n’est pas seulement un brillant hommage à l’extraordinaire univers d’une saga dont cet épisode fête ses dix ans cette année, c’est aussi et surtout une magistrale galette de black metal. La passion de Serena Cherry accouche d’un disque multidimensionnel, à la fois épique et évanescent, porté par un riffing ciselé et des ambiances profondes. Difficile de dire s’il s’agit là d’un des albums de l’année, mais le voyage proposé par Noctule vaut définitivement le fait de poser une oreille dessus.
Noctule - Wretched Abyss est sorti le 28 mai 2021 chez Church Road Records
Tracklist :
1. Elven Sword
2. Labyrinthian
3. Wretched Abyss
4. Evenaar
5. Winterhold
6. Deathbell Harvest
7. Unrelenting Force
8. Become Ethereal
