Défiant toutes les attentes, bien loin du combo black metal / corpse paint souvent associé à la Norvège, le groupe Malossi, qui sort aujourd’hui son second opus Blanke Barter, propose un univers bien singulier. Le quatuor distille un stoner lourd et percutant, interprété dans le dialecte de Solør, sa région natale, à l'est d'Oslo. Par un son puissant, évocateur du désert américain, mais revisité à la sauce scandinave, Malossi dresse un tableau surprenant et décalé de scènes ordinaires de la Norvège rurale, pour un dépaysement assuré !
Adeptes de tuning de mobylettes (Malossi étant d’ailleurs une marque de pièces détachées de deux-roues), les membres de Malossi, aux allures de grand enfants, décrivent dans l’album des paysages entre forêts et zones industrielles, courses de bolides et rencontres alcoolisées ou caféinées dans des stations services. C’est en tout cas ce que nous promet le dossier presse, les paroles étant dans un dialecte régional souvent incompréhensible, intrigant, mais coloré et délivré d’une manière vraiment expressive par le vocaliste Roy Møllerud qui signe ici une prestation impressionnante de justesse, navigant de l’énergique chant clair à des tonalités franchement punk dans de nombreux couplets.
C’est que les quatre compères ne sont pas là (que) pour rire. Certes, l’humour n’est pas loin, comme par exemple dans les quintes de toux du vieil homme mis en scène dans "Kaffekjæft", ou encore sur le titre de l’album, qui, traduit littéralement, signifie "moustache brillante" ! Et pourtant, le combo norvégien signe dans Blanke Barter dix compositions ingénieuses, lourdes et efficaces, faisant preuve d’une aisance admirable dans l’exercice qui, sur le papier, pouvait paraître surprenant voire osé.
Une identité stoner et desert rock s’impose à chaque instant, mise en évidence par un côté chaloupé et groovy allié à la lourdeur des riffs, mais des touches variées et nuancées viennent enrichir cet univers et lui donner sa singularité. Ainsi, des accords d’harmonica bluesy et des harmonies vocales puissantes et expressives apportent un supplément d’âme aux pistes d’ouverture et de clôture de l’album : "Far Hass Knut", éminemment dynamique, où riffs lourds et entêtants et percussions variées s’équilibrent avec l’énorme vibration du duo basse / guitare, et l’ultime morceau "Drømmer På Boks", marqué par l’ingéniosité de la navigation entre passages de blues rock et des moments plus chargés en riffs plombés.
Maîtrisant à la fois le storytelling et les mélodies mémorables, Malossi trouve facilement des chemins menant vers des sonorités plus heavy, plutôt rétro, lorsque la fusion s’opère entre le fuzz des guitares et l’intention un peu plus rugueuse, moins propre, du chant, alimentée par de très beaux soli assez seventies. C’est le cas dans le single accrocheur "Kløpp Dreieventiln", qui n’évoque pas le désert californien mais bien les sentiers boueux de l’est norvégien, sur lesquels on pourrait presque s’imaginer, chevauchant des mobylettes, les membres de Deep Purple ou, dans un autre style, de Red Fang.
Il faut saluer un travail des guitares vraiment impressionnant de la part de Tommy Hylden et Roy Møllerud, aussi à l’aise sur des lignes mélodiques que les riffs plombants, en pleine symbiose avec le groove chaloupé de la section rythmique basse / batterie, furieusement efficace (comme sur "Tusen Mål Jord", au tempo irrésistible, agrémenté d’un improbable solo de cuivres, ou "Kaffekjæft", aussi puissant que groovy). Le combo sait également se faire plus mélancolique, malgré des morceaux dynamiques ("Kje Med Are"), voire plus sombre et menaçant : il n’y a plus rien de fun dans le riff imparable de "Tomt Prat" alourdi par la densité des cordes saturées, l’arrivée de cloches, et le vrombissement presque sinistre du solo.
L’exercice de style(s) se poursuit sans répit pour le combo qui lorgne vers des sonorités variées mais toujours marquées par une lourdeur impitoyable : avec les sonorités ultra saturées et la rythmique punitive de "Flatnævan", on est autant dans l’héritage de Motörhead que dans celui de Kyuss, quant au morceau "Skuld", il plonge l’auditeur dans une obscurité sourde, doom à souhait, par son approche sludge, démontrant encore l’habileté du combo dans ce jeu d’équilibriste entre le stoner d’école et les nombreuses teintes plus heavy. À grands coups de refrains accrocheurs et de mélodies imparables, par une approche complètement décomplexée et une réalisation impeccable, Malossi signe avec Blanke Barter un second album remarquable, aussi surprenant qu’efficace, réussissant sans aucun doute la synthèse entre tableau social, incursions dans divers univers très affirmés, et hommage appuyé à un genre assumé. Les faits sont là : l’une des surprises de cette année sur la scène stoner nous vient d’Oslo, avec du chant en norvégien et une fascination pour le tuning de mobylettes. Qui l’eût cru ?
Tracklist Blanke Barter :
1. Far Hass Knut
2. Kje Med Are
3. Kløpp Dreieventiln
4. Kaffekjæft
5. Tusen Mål Jord
6. Vante Sko
7. Tomt Prat
8. Flatnævan
9. Skuld
10. Drømmer På Boks
Line-up Malossi :
Roy Møllerud – chant, guitare
Tommy Hylden – guitare
Pål Salvesen – basse
Øyvind Minsaas – batterie
Blanke Barter, de Malossi, sort le 13 août 2021 via Rob Mules Records