Déjà six ans se sont écoulés depuis la sortie de l’ambitieux The Book Of Souls. Un double-album long à assimiler, où la vierge de fer prenait plus que jamais le temps d’installer ses ambiances. Un format qui a visiblement enthousiasmé le groupe puisqu’il a décidé de remettre le couvert avec Senjutsu, un nouveau double-album certes un peu moins long que son prédécesseur, mais qui dépasse tout de même les 80 minutes.
Senjutsu, qui visiblement se traduit grossièrement par "tactique et stratégie" (l’auteur de ces lignes confesse une connaissance très réduite de la langue japonaise) a été composé en 2019 mais se glisse dans nos oreilles seulement maintenant, pour des raisons que l’on ne connait tous que trop bien. Effrayé à l’idée que le son fuite durant ce laps de temps très long, le groupe a placé les bandes dans un coffre-fort après avoir répété et enregistré dans la foulée au studio Guillaume Tell, sous la houlette de Kevin Shirley (aux manettes depuis Brave New World).
A quoi nous attendre pour cette dix-septième sortie ? "Stratego" et "The Writing On The Wall", les deux premiers extraits diffusés, illustrent bien la diversité de ce nouvel opus, entre nouveauté et tradition. On retrouve cette aisance naturelle des Anglais à trouver des mélodies imparables et leur patte est immédiatement reconnaissable, bien que "The Writing On The Wall" se distingue un peu avec cette touche bluesy (et quel superbe solo). "Days Of Future Past" est une composition rapide et puissante, nous rappelant des hits tels que "The Wicker Man" ou "The Mercenary". Une vraie réussite et un pied de nez à ceux qui pensent que Maiden n’est plus capable d’écrire des titres courts et percutants. Grosse, grosse performance, au riff d'entrée dévastateur et dont le refrain ne vous lachera pas !
Mais si Iron Maiden se plaît à nous rappeler sa longue et riche discographie, il distille aussi son lot de surprises qui font tout le sel de cette nouvelle livraison. "The Time Machine", par exemple, est une composition à tiroirs reprenant le thème original de "The Legacy" (A Matter Of Life And Death) pour ensuite partir sur une ambiance totalement différente, là encore assez nouvelle, où l’on retrouve toutefois ces lignes de guitares mélodiques caractéristiques des Britanniques et toujours aussi jousssives. Autre nouveauté avec le morceau titre, qui constitue une entrée en matière osée mais réussie, ayant une tonalité très sombre, ainsi qu'un refrain mélancolique et aérien. McBrain s’illustre particulièrement ici et propose un jeu de batterie très axé sur la lourdeur de ses toms, qu’on ne lui connaissait pas. La production met d'ailleurs particulièrement à l'honneur la batterie sur ce cru 2021.
Steve Harris se taille la part du lion en signant quatre compositions, qui sont aussi les quatre plus longues de Senjutsu, oscillant entre neuf et douze minutes. Si "Lost In A Lost World" ne manque pas d’excellentes idées, elle illustre un défaut assez récurrent chez Maiden sur ses dernières sorties qui est de tirer inutilement en longueur certains morceaux. Si nous sommes au départ portés par son ambiance, la chanson aurait dû être raccourcie sur ses deux extrémités ainsi que sur sa partie instrumentale afin de réveler tout son potentiel.
"Death Of The Celts" souffre d’un handicap assez similaire : malgré un refrain nous rappelant les meilleures heures de Dance of Death, cette composition se perd dans une partie instrumentale trop redondante, sans compter une bizarrerie aux alentours de huit minutes avec une descente brutale du niveau du son pour revenir au refrain, un mix sonnant étonnamment amateur. Si ces chansons peuvent individuellement être appréciables au fil des écoutes, elles viennent alourdir la dynamique de l’album et pourraient faire décrocher pas mal d’auditeurs avant la fin de Senjutsu.
Et ne pas venir à bout du disque serait une grave erreur. Car le groupe se surpasse sur ses deux dernières cartouches. "The Parchment" et "Hell On Earth" dépassent aussi les dix minutes, mais là, l’ennui ne pointe pas une seule fois le bout de son nez. Epiques, grandioses, magistrales, les superlatifs ne manquent pas pour qualifier ces deux pièces comme seule la vierge de fer peut nous les proposer, aux ambiances radicalement différentes mais dont le point commun est leur force émotionnelle.
"The Parchment" possède une touche orientale, quasi mystique et hypnotisante, sur une trame musicale lourde. Dickinson, qui chante globalement un peu plus bas que d’ordinaire tout au long de Senjutsu, est impérial et semble possédé lorsqu’il déclame ses textes. Le titre s’emballe sur sa deuxième partie et les trois guitaristes s’en donnent à cœur joie. Bref, tout est réuni pour faire un carton sur scène. "Hell On Earth" clôture l'opus et en constitue également l’un des sommets : les perles mélodiques se succèdent à une vitesse folle, cette épopée ayant l’air d’un refrain gigantesque et sans cesse renouvelé, dont on ne se lasse pas malgré les écoutes successives.
Oui, un peu comme sur The Book Of Souls ou The Final Frontier, le sextet a été légèrement gourmand, et aurait gagné à retirer une à deux chanson fleuve de sa tracklist, ou bien à les raccourcir sensiblement. Une fois cette critique posée, il reste … tout le reste. Le génie incroyable d’une formation qui après quarante ans de vie continue de nous procurer les mêmes frissons, en nous offrant des compositions exigeantes dans leur appréhension, mais tellement belles, puissantes et fédératrices. Iron Maiden vient encore de sortir un grand album, et s’est offert le luxe de nous surprendre. Hors catégorie, tout simplement.
Note : 8,5/10
Tracklist :
01 - Senjutsu (8.20)
02 - Stratego (4.59)
03 - The Writing On The Wall (6.13)
04 - Lost In A Lost World (9.31)
05 - Days Of Future Past (4.03)
06 - The Time Machine (7.09)
07 - Darkest Hour (7.20)
08 - Death Of The Celts (10.20)
09 - The Parchment (12.39)
10 - Hell On Earth (11.19)
Senjutsu, sortie le 3 septembre 2021 chez Parlophone