Il y a trois ans sortait Tū, premier opus du power trio alors adolescent venu de Nouvelle Zélande Alien Weaponry. Qualifié de phénomène dès son arrivée fracassante sur la scène metal, le groupe, qui propose un mélange unique de groove metal et de te reo, langue autochtone du peuple māori, s’est vite fait un nom, avec un single devenu hit aux dix millions de vues, et des prestations live survoltées. Aujourd’hui de retour avec Tangaroa, son second opus, l’énergique formation sera-t-elle à la hauteur de ces débuts remarqués ?
Pour son deuxième album, le groupe (dont les membres, rappelons-le, présentent aujourd’hui une moyenne d’âge de vingt ans) poursuit avec ardeur son entreprise singulière, celle qui a fait sa marque de fabrique : faire retentir la langue māori dans un groove metal syncopé aux riffs plombants. Tangaroa, à cet égard, reprend la recette présente sur Tū … mais ce n’est pas tout. Les douze compositions de ce nouvel opus présentent un visage plus complexe, des facettes plus variées, ainsi que quelques ombres de noirceur, tout en restant fidèle à la griffe Alien Weaponry, celle de l’énergie et de la flamme guerrière.
L’entame de l’album révèle, certes, la fougue de la jeunesse, mais une jeunesse éclairée, avec un message et une ligne forte. Par une double démarche culturelle et environnementale, sur six titres interprétés en langue māori, le te reo, Alien Weaponry se fait la voix d’un collectif, portant haut et fort la voix, les traditions, la fierté, la richesse et la langue d’un peuple ayant longtemps peiné à se faire entendre. Sur l’excellente piste d’ouverture "Tītokowaru", les bruits des vagues laissent place aux chants des hommes qui rament en rythme, avant le déferlement de tension du refrain, des riffs enivrants, des variations de tempo et l’attaque franchement guerrière de ce portrait d’un chef légendaire ayant tenu tête au gouvernement colonial. La détermination se lit dans l’affirmation d’appartenance et la dénonciation de la dépossession des terres indigènes sur le morceau "Ahi Kā" ("nos terres", en français) aux premières mesures subtiles, presque atmosphériques, et au tempo ravageur.
Le groove est brut, fort, sur le titre "Tangaroa" (le dieu de l’océan), les riffs – accablants – et la rythmique – punitive – accompagnant parfaitement les parties tribales et le chant révolté de Lewis de Jong pour exprimer la colère devant les dommages irréversibles commis par la pêche intensive et illégale sur les fonds marins. L’impression de noyade mise en scène dans le clip est d’ailleurs suggérée par la production moins propre sur ce morceau au refrain fort, dénonçant la destruction des océans.
Le trio met donc en avant une certaine universalité dans ses propos, notamment sur les titres en te reo, mais l’album comporte également des moments d’introspection voire de vulnérabilité. Certains titres en anglais reflètent des inquiétudes et un mal-être plutôt personnels, mais aussi toute l’anxiété d’une génération (plus que jamais dans l’air du temps). Le refrain nu metal de l’efficace "Blinded", plein de rancœur adolescente, s’appuie sur le chant expressif et écorché du vocaliste, servi par des riffs rythmiques, une superbe ligne de basse du nouveau venu Tūranga Porowini Morgan-Edmonds et un jeu incroyable et subtil de Henry de Jong aux fûts et, surtout, aux cymbales. L’excellent riff d’ouverture de "Dad" amène à un titre à l’ambiance bien plus sombre et au chant plus solennel, Lewis de Jong démontrant décidément une belle maîtrise dans des registres variés au niveau vocal, en plus d’occuper l’espace avec ses riffs et mélodies intenses à la guitare.
Crédit photo : Piotr Kwasnik
Alien Weaponry explore et s’autorise même des incursions progressives sur quelques morceaux qui, loin de dénoter avec l’ensemble, sont placés de façon ingénieuse dans la tracklist. La lenteur apparente du morceau introspectif "Unforgiving" révèle une construction en spirale, chaque instrument apportant une dimension et une profondeur a sur lequel la prestation vocale intense et écorchée de Lewis évoque presque Kurt Cobain. "Crooked Monsters" est quant à lui plutôt marqué années 70, presque entièrement instrumental, avec une longue intro psychédélique à la basse rétro, des riffs pachydermiques et des mots de rage sourde.
L’intensité et l’intelligence du live est lisible sur certains titres, le combo réussissant à invoquer une énergie rare, et à façonner des ambiances certes variées mais semblant taillées pour une communion fiévreuse avec le public. Puissance et explosivité, couplées à cette ardeur brute, transparaissent régulièrement au fil de l’album, par exemple dans le refrain percutant de l'épique "Hatupatu", récit fédérateur et syncopé d’une rencontre légendaire entre un ancêtre guerrier et une sorcière, à l’entame redoutable et aux cris menaçants. Il en va de même avec l’hallucinante ligne de basse servant de pont entre les riffs et la rythmique imparables et d’irrésistibles breakdowns guerriers ("Kai Whatu"), ou encore dans la rage brute et le sentiment d'impuissance face aux méfaits de la toxicomanie exprimés par le méchant staccato thrash de "Buried Underground", doté d'une énergie à la Max Cavalera.
Une mention spéciale est à réserver au magistral "Īhenga", qui présente une composition vraiment intéressante, un riff ingénieux – sans doute le meilleur de l’album – et un ensemble lourd, hypnotique et intense. L’irruption d’un chœur en te reo, l’utilisation d’instruments traditionnels, tout fusionne comme naturellement avec la puissance du groupe, et fonctionne à merveille sur ce titre puissant, ancré à la Nouvelle-Zélande, qui ne ressemble à aucun autre. Il faut d’ailleurs souligner sur tout l’album la qualité du mix : le côté brut du chant, des hakas, de la batterie (qui sonne comme sur scène) et de l’énergie, est pourtant transcrit avec force et profondeur pour un rendu massif remarquable.
Que ce soit contre les ravages du colonialisme, les dommages environnementaux, ou sur des sujets comme le deuil, la haine de l’autre ou envers soi-même, la colère sourde irradie de Tangaroa. Il y a une cohérence complète des styles, de l’énergie, et du propos. À grands coups de poings dans la bienséance, par des hurlements, cris du ventre, par la révolte et par l’outrage, les frères de Jong expriment aussi bien en anglais qu’en te reo une sorte d’urgence, de nécessité brute, sur laquelle repose l’album tout entier.
En laissant libre cours à une ardeur décomplexée et à une noirceur plus affirmée, Alien Weaponry signe un opus saisissant d’honnêteté et de puissance, combinant toujours et même mieux un héritage culturel à honorer à un souffle explosif à libérer. Il est fascinant d’assister à l’ascension irrésistible du trio désormais doté d’une setlist capable de faire méchamment trembler les parterres des salles de concert du monde entier. Il ne faudra pas attendre longtemps pour en avoir le cœur net : les Néo-Zélandais accompagneront Gojira pour sa tournée Fortitude, et passeront par la France à Lyon, Bordeaux et Paris en février 2022. On n’aurait pas pu rêver d’une meilleure association …
Line Up Alien Weaponry :
Lewis de Jong - Guitare, Chant
Tūranga Porowini Morgan-Edmonds - Basse
Henry de Jong – Batterie
Tangaroa tracklist :
1. Tītokowaru (5:52)
2. Hatupatu (5:31)
3. Ahi Kā (3:46)
4. Tangaroa (5:43)
5. Unforgiving (7:11)
6. Blinded (5:38)
7. Kai Whatu (5:17)
8. Crooked Monsters (4:24)
9. Buried Underground (3:57)
10. Dad (4:51)
11. Īhenga (5:19)
12. Down The Rabbit Hole (5:04)
Tangaroa, second album de Alien Weaponry, sort le 17 septembre 2021 via Napalm Records.