C’est une expérience singulière qui attendait le public parisien le 18 septembre dernier, pour célébrer la reprise tant attendue des concerts en salle. Bien loin du mur de son et de puissance habituellement construit, la formation belge Amenra proposait en effet un set acoustique, sans première partie, dans la salle parisienne de La Cigale, configurée en places assises pour l’occasion.
L’entrée des musiciens se fait de la façon la plus sobre possible, chacun prenant sa place sur les chaises positionnées en cercle au centre de la scène. Certains tournent le dos au public, en position statique, simples silhouettes armées d’instruments dont les traits se distinguent à peine sous un mince éclairage. Dans cette solennité ambiante, pourtant, il faut noter que ce soir, contrairement à son habitude, le vocaliste Colin H. van Eeckhout laisse voir son visage, faisant face au public. Les premières notes d’"Aorte" résonnent donc dans un silence accompagné du frisson de satisfaction des connaisseurs parmi les spectateurs, conscients d’assister à un moment privilégié. Ce fin murmure sera d’ailleurs l’une des seules réactions audibles de la part du public du soir, particulièrement attentif et respectueux, semblant complètement happé par la mélancolie ambiante du set entier au point de respecter le silence le plus complet, et ce même entre les morceaux.
Le quintette, ce soir accompagné d’une violoniste, entame d’abord le set avec peu d’éclairage. C’est dans ce décor intimiste que la magie commence, déjà, à opérer. Les harmonies des guitares, la délicatesse de la batterie et la précision de la vibration de la basse fournissent l’écrin idéal au superbe chant clair de Colin qui s’élève en harmonie avec le violon dans "Diaken". Les fans ayant pu assister aux dates acoustiques d’Amenra en 2019 retrouvent, la qualité de la sonorisation en moins, la magie solennelle quasi spirituelle que le groupe avait pu créer en jouant dans des églises. Ce soir, le décor d’une nef d’église sur l’écran sert de rappel visuel de cette ambiance pour l’hypnotique morceau-culte "Razoreater", pièce intense portée par l’interprétation poignante de Colin et la force des arrangements acoustiques. Les yeux se ferment, les têtes balancent lentement, que ce soit sur scène ou dans le parterre.
L’écran s’anime aussi lentement et progressivement que le tempo des morceaux interprétés, dévoilant des images en noir et blanc transportant le groupe et le public dans des paysages inhabités, pouvant évoquer tout aussi bien la contemplation ou la désolation, l’introspection ou la souffrance, laissant le choix à chaque spectateur de se plonger dans son monde intérieur et de faire sa propre lecture des morceaux joués.
Colin délivre une prestation extraordinaire, son chant clair et précis irradiant dans chaque morceau, avec une intensité sans aucun artifice, tout aussi cathartique mais vraiment différente de celle des cris qu’il inflige lors des prestations électriques. Passant du registre lancinant en français ("Les Lieux Solitaires"), des frémissements de voix sur de lents accords de guitare ("To Go On.: And Live With. Out."), en passant par des chuchotements graves ("Wear My Crown"), jusqu’aux incantations en flamand, précédant le crescendo intense du subtil "Vor Immer", ou sur le progressif "De Evenmens" (deux morceaux issus du dernier opus d’Amenra, De Doorn, sorti cette année), le vocaliste tient la salle suspendue à ses lèvres, sans échanger de réel regard avec son public ou ses musiciens, mais proposant plutôt une posture d’introspection irrémédiablement contagieuse.
L’ensemble du set est marqué par la subtilité incroyable des arrangements acoustiques des morceaux, que ce soit des classiques du groupe ou des reprises, venant agrémenter la setlist de façon bienvenue : "Roads", de Portishead, tout en délicatesse, et deux titres sur lesquels guitare et voix s’entremêlent, l’émouvante "Song To the Siren" (Tim Buckley) et le standard du folk US "Kathleen" (Townes Van Zandt). Les harmonies et l’équilibre des instruments ne fera jamais défaut, et il faut souligner la justesse des passages au violon, sublimant l’ensemble, comme sur la complainte "The Dying of Light".
La fin du set emmène vers un climax d’intensité et d’émotions, sur lesquels les morceaux prennent une dimension quasi spirituelle, du splendide "A Solitary Reign" (figurant sur Mass VI) à l’enchaînement "To Go On…" vers "The Longest Night", moment comme suspendu où la violoniste Femke de Beleyr joint son chant à celui de Colin pour un moment de grâce indéniable, les deux voix semblant faites l’une pour l’autre. Une heure trente se sont écoulées, et sur les accords lents de "Deemoed", les musiciens sortent de scène un par un, le loop de guitare semblant hanter la scène vide bien après leur disparition sans que quiconque n’ose applaudir. Ce sera sur la traditionnelle phrase "La tristesse durera toujours", projetée sur l’écran de fond, que le public de La Cigale se lancera dans un tonnerre d’applaudissements.
Dans un silence complet, presque religieux, le public de la Cigale a offert au cercle de musiciens une bulle d’écoute pour laisser libre cours à son rituel teinté de lenteur, de tristesse et d’émotion. Avec Amenra, le retour au live s’est fait dans un tumulte émotionnel qui est resté intimiste, lent, mais on ne peut plus marquant.
Setlist :
1 Aorte / Nous Sommes du Même Sang
2 Diaken
3 Razoreater
4 Les Lieux Solitaires (Plus Près De Toi)
5 Song to the Siren (Tim Buckley cover)
6 The Dying of Light
7 Wear my Crown
8 Roads (Portishead cover)
9 Vor Immer
10 Kathleen (Townes Van Zandt cover)
11 De Evenmens
12 A Solitary Reign
13 To Go On.: And Live With. Out.
14 The Longest Night
15 Deemoed
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