"Leprous ne fera jamais le même album deux fois"
A l'occasion de la tournée European Progressive Assault, La Grosse Radio est allée à la rencontre d'Einar, chanteur et claviériste de Leprous, qui a évoqué les problèmes rencontrés lors de cette tournée, mais aussi l'avenir du groupe, qui prépare actuellement son troisième album, successeur de Bilateral, ainsi que du travail accompli avec Ihsahn, dont le groupe sert de backing band.
Bonsoir Einar, comment se passe la tournée European Progressive Assault, qui t'amène au Divan du Monde ?
Cela n’est pas de tout repos, mais nous sommes contents des concerts. Cela implique beaucoup de pression et de stress beaucoup plus que quand on fait des premières parties. On a moins le temps de s’amuser ! Cela a aussi ses avantages : quand tu es en première partie, tu luttes pour que le public réagisse, alors que quand tu fais une date en tête d’affiche, c’est plus facile, même si toutes les salles n’étaient pas vraiment remplies, tu as une meilleure réponse du public. Cela demande beaucoup de travail cela dit. Je ne crois pas qu’il n’y ait un seul problème technique existant qu’on n’ait pas rencontré lors de cette tournée ! On a eu plein de soucis à régler, je ne crois pas qu’il y ait un truc qui ne soit pas tombé en panne, comme mon clavier, j’ai dû emprunter celui de Loch Vostok pour le reste. Mais le plus important est qu’on ait réussi à assurer les concerts, à part celui en Serbie, à cause des problèmes à la frontière. Lars, notre manager, avait été à l’ambassade danoise pour faire le nécessaire administratif et ils nous avaient dit qu’il n’y avait besoin de rien pour passer. Il se trouve qu’il nous fallait des papiers, et nous n’avons pas été autorisés à passer la frontière. Pourtant, deux jours après, nous avons dû y passer pour aller de la Bulgarie à la Croatie et nous n’avons pas eu de problème. C’est de la bureaucratie assez imprévisible ! (rires) Nous étions très déçus, nous avons entendu que plein de gens avec des drapeaux norvégiens nous attendaient et que la salle était remplie. Annuler des concerts est quelque chose qu’on déteste plus que tout, on ne le fait jamais, même si un membre du groupe est malade, on joue quand même. J’ai joué en étant très fiévreux à Bilbao (Espagne).
Avant de venir ici en tête d’affiche, Leprous a donné deux concerts à Paris, avec Therion en 2010 et avec Amorphis en 2011. Quels souvenirs te reviennent de ces concerts ?
Le premier a eu lieu à l’Elysée Montmartre, cette salle qui a brûlé. C’était super, on était complètement nouveaux dans le milieu professionnel à cette époque, c’était notre première tournée et on était très contents de la réponse du public. Ça change de la Scandinavie (rires), les gens y sont très calmes lors des concerts. L’année dernière, j’étais très content aussi . J’y ai découvert cette salle (Le Divan du Monde), et je l’apprécie beaucoup. Cependant, on avait quelques problèmes techniques et que notre guitariste Tor et notre bassiste étaient très malades, mais on a réussi à cacher ça, on estime qu’il faut assurer le concert quoi qu’il arrive et se plaindre entre nous après.
Vu que vous êtes en train de tourner en tête d’affiche, est-ce l’occasion d’enregistrer un album live ?
C’est un peu tôt. Nous devrions attendre deux albums de plus et le faire dans une salle en étant bien préparés et après avoir communiqué dessus à l’avance. Je dis que c’est tôt, mais je disais ça aussi pour le fait de partir en tournée en tant que tête d’affiche ! Avec le recul, je pense que notre manager a eu raison de nous donner cette opportunité parce que maintenant, on dirait que les gens nous prennent plus au sérieux que si on était un groupe de première partie. Ca marche comme ça. Certains groupes stagnent à un certain niveau où ils ne font que des tournées en première partie parce qu’ils ont peur de perdre de l’argent en faisait une telle tournée. Je pense que, comme ça, on pourra réunir plus de spectateurs et ainsi progresser.
Est-ce que cette tournée vous a ouvert des portes ?
Tout à fait, c’est probablement grâce à cela que nous avons déjà 6 dates en festival de programmées, à Wacken, Sweden Rocks, Brutal Assault, Roadburn, Tuska et un autre dont je ne me rappelle plus le nom.
Comment as-tu perçu l’accueil de Bilateral, sorti il y a maintenant un an (2011) ?
Quand tu créées quelque chose, tu en deviens si proche que tu n’as pas le recul nécessaire pour savoir comment cela sera reçu. Même si on était contents de ce qu’on avait fait, nous étions un peu nerveux. Mais l’accueil a été un million de fois plus satisfaisant que ce que je pouvais espérer. Je crois que, sur 128 reviews, la note moyenne était de 8.8 sur 10, ce qui est assez impressionnant. Je pensais que cet album serait aimé ou détesté, mais les critiques l’ont semble-t-il apprécié. On est très heureux de cet acceuil, mais cela ne nous empêche pas d’avoir peur de faire un autre album !
Justement, qu’en est-il de ce prochain album ?
Nous avons déjà 12 chansons. Toutes ne seront pas dessus. Nous avons prévu de faire un album et un EP, si toutes les chansons valent le coup. Nous préférons avoir un excellent album plutôt qu’un album et un EP moyens. Ce sera différent, certaines personnes seront déçues, et ce sera le cas à chaque fois, parce que Leprous ne fera jamais le même album deux fois. Selon moi, c’est ce que les gens croient vouloir, mais ce n’est pas le cas. Les gens ont peur du changement, mais une fois qu’ils y sont habitués, cela leur plait. On peut prendre Facebook comme exemple, avec ceux qui se plaignent de la Timeline dans un premier temps et qui s’y font ensuite. En tant que musicien, je peux dire que si, un jour, nous nous disons qu’il faut faire comme tel ou tel album, je quitterai le groupe, parce que c’est là que la créativité s’arrête. Je pense qu’il est important que chaque album ait sa propre atmosphère. Chacun aura son préféré, mais je préfère ça plutôt qu’on ne puisse pas distinguer un album de l’autre, comme cela arrive à beaucoup de groupes de metal. Après ce sera toujours considéré comme du metal progressif, on ne va pas faire un album de jazz !
Quelle atmosphère aura cet album ?
Il sera plus sérieux. Cela correspond à l’humeur qu’on avait quand on l’a écrit. Il sera aussi plus sombre, plus triste, mais pas nécessairement plus heavy.Il a été fait dans un laps de temps bien plus réduit que Bilateral, dont l’écriture s’est étalée, donc il contient une plus grande variété d’humeur, notamment avec "Mb.Indeferentia" et "Waste Of Air". Mais le prochain sera surprenant. Une chanson de cet album est jouée au Divan du Monde, "Coal", un des titres les plus heavy de l’album. D’habitude on en joue deux, mais le set est plus court cette fois-ci.
Leprous est aussi le backing-band d’Ishahn (ex-Emperor). Comment vous êtes-vous connus ?
Et bien, en fait, c’est le mari de ma sœur. (Rires) Ça facilite les choses ! Il est comme un frère pour moi, depuis que j’ai onze ans. Il a toujours été une source d’inspiration pour moi, mais je viens aussi d’une famille de musiciens, ma mère a enseigné le chant toute sa vie. Quand Leprous s’est formé, Ihsahn nous a proposé de tourner avec lui, après avoir vu qu’on en était capables. Donc on répète ses chansons dans notre coin, puis il nous rejoint, il prend sa guitare et tout fonctionne naturellement. C’est une bonne situation de tourner avec lui, c’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup sur le plan personnel. Faire des festivals avec lui et Leprous en tant que groupe est aussi un moyen de nous faire remarquer, car nous avons beaucoup d’aspects musicaux en commun, même si sa musique est plus rapide et extrême, on s’adresse au même public, à part les fans du Emperor Old School, qui sont assez dur à convaincre, même pour Ihsahn ! (rires - Il grogne "Inno a Satana" d'Emperor). Il fait ce qu’il veut, c’est pour cela qu’il est toujours en activité. Il déçu tellement de gens avec ses choix artistiques qu’au final, les gens se sont habitués à sa nouvelle direction et le respectent. Son courage lui a bien servi. Être honnête et être soi-même est la meilleure chose à faire pour réussir en musique, à mon avis. Et même si ça plait à personne, au moins, ça vient de toi, tu n’essaies pas de ressembler à quelqu’un d’autre. Pas mal de gens disent qu’il faut faire comme si, comme ça… Qu’ils le fassent dans leur propre groupe ! (rires)
Tu as aussi été au Hellfest avec Ihsahn et Emperor, quels souvenirs gardes-tu de ce festival ?
La première fois, en 2007, quand je faisais les claviers pour Emperor, c’était un des pires festivals que j’ai jamais fait, rien n’allait et personne n’était content. Quand j’y suis retourné, deux ans plus tard avec Ihsahn, j’ai vraiment vu du changement, et maintenant je le considère comme un excellent festival, bien plus professionnel. Ils sont aussi plus créatifs avec les groupes proposés. Alors que le Wacken est très metal pur et dur, ça m’a étonné d’être programmé là-bas. Il y aurait quand même besoin de plus de toilettes ! (rires)
T’intéresses-tu à la scène française ?
J’aime beaucoup Gojira. Ils savent évoluer, mais gardent leur son unique que j’aime beaucoup. C’est en même temps du death metal de base, avec les ingrédients habituels (basse, batterie, guitare et cris), mais ils y ajoutent une émotion particulière. Les ingrédients sont les mêmes, mais la manière dont ils les utilisent leur donne une toute autre saveur. C’est une musique qui me convainc, ils arrivent à transmettre leur passion à travers leur musique.
Vous êtes classés comme un groupe de metal progressif. Comment tu le définis ?
J’estime que je joue de la musique. Les gens sont obsédés par la classification et nous mettent dans la case "metal progressif". Selon moi, la musique progressive n’a rien à voir avec les schémas rythmiques ou les solos de guitare, c’est de la musique qui dépasse des limites, mais sans que cela soit l’intention première, car cela ne fonctionne pas comme ça. Ce n’est pas un genre, c’est plus un état d’esprit. Je suis un fan de Radiohead, ces mecs ne sont pas considérés comme faisant de la musique progressive, mais je pense que c’est le cas, parce qu’ils ont une manière particulière de gérer les émotions dans leur musique. La plupart des groupes qui se disent progressifs ne méritent pas ce titre. Qu’est-ce qu’il y a de progressif à jouer dans un groupe qui copie Dream Theater ? Pourtant, même si je ne l’écoute pas, je pense que ce groupe était progressif à ses débuts et très importants. Les critiques sur ces mecs m’énervent.
Quels groupes sont progressifs selon toi ?
Je mets The Mars Volta dans cette catégorie. Opeth a aussi réussi à faire des choses très intéressantes, mais le groupe essaie trop de se la jouer retro sur son dernier album et je ne trouve pas ça très progressif. Mais, comme j’ai dit, je n’aime pas trop les genres. Si les gens ont absolument besoin de nous coller une étiquette, qu’ils le fassent ! Il y a aussi un aspect commercial, si cette tournée s’appelle Progressive Assault, c’est pour cibler un certain public, celui duquel nous nous rapprochons le plus. Si cette tournée s’appelait "thrash metal tour", les gens nous lanceraient des tomates tous les soirs ! (rires).
As-tu quelque chose à dire à tes fans français ?
La France est l’un des pays où nous aimons le plus jouer, donc faites-nous revenir !
Un grand merci à Catherine Hearn et Marine Crépiat pour les photos.