Qui de mieux qu'Ashraff 30 pour nous parler de son nouvel album Remedy sorti le 14 avril dernier? C'est depuis Milan, que notre artiste sénégalais a accepté d'accorder cette interview à LGRR.
Ashraff 30, 30 ans de carrière
LGRR : Bonjour Ashraff 30!
Asraff 30 : Bonjour! J'aimerai dire merci de m'avoir invité.
On est ravi de te recevoir aujourd'hui pour cette interview!
Tout le plaisir est pour moi.
On va faire un petit tour de ta carrière, pour te présenter à nos lecteurs qui te découvriraient peut-être.
Tu es guidé vers la musique et le reggae roots par ton père.
A l'instar de plusieurs artistes sénégalais comme Meta Dia ou Faada Freddy, tu as fait tes débuts dans le hip hop, qui dominait le mainstream à l'époque à Dakar. Puis tu as trouvé ta voix dans le reggae, et formé un 1er groupe Kayamama en 2007 en Italie. Un groupe qui a d'ailleurs connu un franc succès, puisqu'il a été classé parmi les 3 meilleurs groupes de reggae en Italie lors du concours du Rototom Sunsplash, rien que ça!
Tu sors ton 1er album solo Colours and Cultures en 2016, et tu viens nous présenter aujourd'hui ton 5e album Remedy, sorti le 14 avril dernier.
Remedy, de quoi ça parle?
Peux-tu nous expliquer ce que Remedy signifie pour toi?
Remedy, comme le nom le dit, c'est un album qui parle un peu de solutions, qui parle de guérison. Mais dans ce cas-ci, guérison spirituelle je dirais. Donc c'est un album dans lequel j'ai essayé de donner un peu de points de vue et un peu de solutions par rapport à certains problèmes sociaux, même politiques et culturels, on peut dire. Donc c'est un ensemble de pensées et de critiques.
Sur les réseaux, tu avais annoncé l'arivée de l'album avec un texte fort, que l'on retrouve à l'arrière de la pochette. Et si tu es d'accord je vais citer la première et la dernière phrase, et puis je laisserai les lecteurs découvrir le reste.
Ok, vas-y.
"L'inéluctabilité de la mort est ce qui confère une valeur précieuse à la vie elle-même". Et tu termines par "N'oubliez jamais d'exprimer votre gratitude pour ce que vous avez, que ce soit tant ou peu, c'est l'essence d'une vie de qualité".
Exactement.
Ce texte sonne un peu comme un poème, une prière ou un mantra, et il annonce la couleur de tous les thèmes abordés à travers ces 12 titres, c'est bien ça?
Exactement. Donc, en ce qui concerne la mort, j'ai commencé à faire la musique depuis 1993, j'étais un petit jeune homme. Et j'ai commencé à faire la musique avec un de mes meilleurs amis qui s'appelle Sémou. Il y a même un titre qui parle de lui.
Donc ce que je voudrais dire, c'est que dans la vie, on sait là où peut-être ça commence, mais on sait jamais là où ça finit. Donc la vie c'est quelque chose de très précieux. Et je vois que dans ce monde où on est aujourd'hui, les gens tendent à vouloir beaucoup de choses, et ils perdent de vue ce qui est plus important.
Parce que je pense que dans la vie, si tu as une santé de fer et tu te réveilles, et tu es en mesure d'être avec des gens qui t'aiment et de pouvoir en quelque sorte vivre dans la paix, je pense que tu devais être dans la gratitude, c'est important.
Donc c'est pour cela que j'ai essayé de lancer ce message dans l'album.
Mon ami là donc je te parle, je viens de le perdre, il est mort, il n'est plus parmi nous. Donc j'ai dédié cette chanson à lui.
Mais c'est aussi un hymne à l'amitié, non? Et c'est aussi la meilleure façon que j'ai pour l'honorer, parce que c'était un grand musicien lui aussi. C'est une grosse perte pour toute la musique, et pour le hip hop sénégalais aussi. Parce que c'est un des meilleurs rappeur que je connaisse.
Et bien c'est un très bel hommage en tout cas.
Merci.
Remedy, nos titres coup de coeur
"Sémou", justement, c'était notre 1er coup de coeur sur cet album. Ce qui nous a d'abord plu, c'est la diversité des influences musicales, et en particulier sur ce titre. Est-ce que tu peux nous parler de toutes les influences présentes dans cette chanson?
Dans ce titre, musicalement parlant on a voulu mettre beaucoup de mélancolie. Donc on a voulu faire quelque chose de particulier. Faire un voyage à travers la musique, passant de l'acoustique au reggae, pour finir avec le hip hop, tu vois? Parce que ça représente aussi la chanson et mon évolution dans la musique, et la personne dont je parle dans cette chanson.
Un autre coup de coeur pour nous, c'est le titre "Holy Shadow", qui signifie ombre bénie. Explique nous ton message autour de celle-ci.
Ok, ombre bénie, comme tu vois, l'ombre c'est intouchable. Tu peux la voir mais tu peux pas la toucher. Donc c'est une sorte de métaphore. Parce qu'on est dans un moment historique où il y a beaucoup de violences et d'intolérance je dirais. Et je tenais à donner le message de la bonté, parce que quand on est bon, à la fin, on est protégé. Les anglais ils disent "what goes around come around". Ce que tu donnes, c'est ce que tu reçois.
Donc, j'appelle les gens à donner de l'amour, la patience et la tolérance. Et pour leur rappeler que le fait d'être bon, c'est une forme de protection divine. Parce que Dieu, il est là, et il voit tout. Et les gens bons, à la fin, ils sont protégés par une force divine. Et personne ne peut te toucher, tu es comme l'ombre. Mais ils vont essayer, ça c'est sûr!
On retrouve une reprise de Bob Marley and The Wailers de 1983, "I Know". Pourquoi avoir choisi ce titre là, qu'est-ce qu'il représente pour toi?
Alors ce que tu dois savoir, c'est que moi, le reggae a toujours été avec moi, parce que mon père, c'était un collectionneur des vinyles de Bob.
D'ailleurs, je me rappelle cette histoire qu'il m'a raconté. Il dit que son premier salaire, quand il l'a eu, il est rentré dans un shop de disques vinyles, et il est sorti il n'avait plus un rond. Parce qu'il avait acheté tous les vinyles qu'il avait trouvé là-bas! (rires). Donc mon père c'est un grand mélomane et un grand amateur de reggae. Donc le reggae je l'ai connu à travers lui.
Et quand j'avais 4 ans, je me rappelle encore, le dimanche c'était le jour du reggae. Et mon père commençait du matin jusqu'au soir à écouter tous ses produits Bob Marley. Il y avait aussi un peu de Peter Tosh, Jimmy Cliff. Donc moi j'ai grandi avec cette musique. Et en wolof ils disent souvent "ce qui arrive en premier dans un cœur, ça y reste toute la vie". Donc le reggae a été la première musique que j'ai écoutée.
Est-ce que tu peux nous dire maintenant quelques mots sur le clip "Hand on Back" qui est sorti en juillet dernier, extrait de cet album Remedy, et qui a déjà fait plus de 72000 vues sur Youtube ?
Alors "Hand on Back", comme vous voyez, le Sénégal a eu un moment particulier je dois dire, politiquement parlant. Et c'était un message pour le peuple. Pour dire que ensemble nous pouvons tout changer. Parce que, qui vote? Ce sont les habitants du peuple. Donc si on n'est pas satisfait du gouvernement qu'on a, on a qu'à le changer. Et tous unis, on peut changer les choses. Et d'ailleurs c'est ce qu'il s'est passé. Parce que, comme vous l'avez vu, le président a été changé. On a un nouveau gouvernement avec, je dirais, des gens compétents. Et on a l'espoir. Et je pense que cela sera un exemple pour beaucoup de pays africains.
Donc "Hand on Back", comme tu vois, la main sur le dos, ça veut dire aussi "hand to hand", la main dans la main. Et c'est pour dire d'être soudés comme des maillons.
Remedy... sur scène?
Est-ce qu'il y aura une tournée de prévue pour cet album ?
Alors, pour l'instant, je ne dirais pas une tournée, mais il y a une date importante à faire le 13 juillet. On sera en Espagne dans un grand festival, et c'est la première date que l'on fera et qui est confirmée. Et là, je suis en train de préparer aussi un voyage pour le Sénégal, et sûrement quelque chose va se passer là-bas.
On espère un jour avoir l'occasion de te voir en France!
Ouais ouais, moi aussi!
On suivra ça de près sur les réseaux.
Moi aussi je l'espère bien mais bon ça va arriver. La France c'est le prochain pays parce que je n'ai jamais joué en France je pense. J'ai fait beaucoup de pays, l'Angleterre, j'ai été un peu en Afrique, Sud Afrique, Sénégal, cette année on va aller en Espagne. J'ai fait beaucoup de pays mais la France jamais. J'espère que bientôt il y aura une première fois.
On va essayer de mettre ça dans l'agenda.
(rires)
Pour terminer sur cette présentation d'album, j'aimerais inviter nos lecteurs à écouter le titre "Ma Vocation". Il clôture l'album en français, et tu t'y fais l'avocat de ta nation avec la musique comme bouclier pour mener tes combats.
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Le bonus... immersion Sénégal!
Parce que c'était trop tentant, de rebondir sur cette idée de représenter et défendre sa nation, nous avons reçu un 2e invité surprise, c'est Malikal qui nous a rejoints. (Oui, celui-là même dont vous pouvez retrouver l'interview lors du Pyrène festival 2023 en cliquant juste ici).
OK, mais c'est quoi le rapport? Et bien, on nous dit dans l'oreillette qu'ils ont des projets communs, et la rédac n'a pas pu résister à l'idée d'élargir le propos.
Sénégal Top Ranking
LGRR : Malikal est avec nous aujourd'hui
Ashraff : Oooh Malikal mon ami!
(ici, nos 2 sénégalais se saluent en Wolof dans la bonne humeur. La rédac, pas au point sur l’orthographe, se contentera de vous le certifier sur l’honneur!)
Salut Malikal!
Malikal : Bonjour!
On a déjà parlé de toi sur la Grosse Radio reggae lors du Pyrène Festival, du Festival Tempos du Monde ou encore des Villégiatures. Et aujourd’hui on va aborder votre projet en commun avec Ashraff 30, le Sénégal Top Ranking, que vous avez formé à 4 avec Ibson et Lëk Sèn il y a 2ans.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots le Sénégal Top Ranking?
Malikal : Alors c'est un projet déjà humain on va dire. Humain, sénégalais. Après, on essaie aussi d'apporter notre touche à l'édifice. De la musique reggae sénégalaise africaine à travers le monde.
Et on a sorti un single qui s'appelle "Diayantè", qui est un message de motivation rétrospective à travers tout ce qu'on a eu. Et comment on peut le mettre au diapason pour le bienfait musical, artistique, éducatif. Que ce soit au niveau du Sénégal, de l'Afrique, et du monde. Ashraff si tu es d'accord tu peux reprendre le relai sur le Top Ranking.
Ashraff : (rires) Je suis tout à fait d'accord avec toi. "Diayantè" c'est un message d'union entre les artistes. Parce que nous, on est un peu partout dans le monde. Il y a les sénégalais en France, en Italie, en Espagne, en Jamaïque, où tu veux. Mais c'est juste une façon pour dire que le courant entre les artistes doit passer.
Malikal : Exactement. Et bien je rebondis pour dire qu'on va essayer de ramener le Sénégal Top Ranking en France pour déjà faire un premier pas.
Ashraff : Ah ben ça c'est sûr (rires) Yeah man!
Du Dem
Sur le Top Ranking vous êtes 4, mais on nous dit dans l'oreillette qu'il y a un autre projet collectif où vous êtes 16, si on a bien mené notre enquête, le Du Dem, initié par Lëk Sèn. Alors, qu'est-ce que c'est le principe de Du Dem?
Ashraff : Alors moi au début, j'ai été contacté par lui tout comme Malikal et tous les autres, parce que lui, il avait en tête d'organiser quelque chose. Une sorte de coalition entre tous les artistes reggae sénégalais.
Donc il nous a tous appelés pour faire ce premier pas qui était une sorte de compilation Du Dem, où il y avait ce riddim qui a été créé par lui. Et chacun de nous avait fait une sorte d'interprétation de ce riddim. C'est sorti comme un album, et ça s'appelle Du Dem reggae. C'est la première fois je dirais, que les artistes se sont réunis de cette façon, et on a fait cette chanson et chacun a apporté un thème.
Chacun a fait son interprétation sur un même riddim?
Ashraff : Oui, et c'était quelque chose de très beau. Bon, l'idée, en général, c'était aussi d'organiser quelque chose. Un grand show pour célébrer cela, mais on n'a pas encore eu la possibilité de le faire. Et je pense que ça serait bien un jour, de pouvoir faire cela avec tous les artistes, et partager la scène. Si chaque artiste partage la scène, ça doit être vraiment les chairs de poule, ça doit être quelque chose de très beau! Et je serais ravi de partager cela avec les autres.
On espère que ça se fera un jour!
Du Dem par Malikal, "Guinte"
Du Dem par Ashraff 30, "Hill City"
Pour retrouver la version de tous les artistes participant au projet, rdv sur Jahsen Creation sur Youtube, juste ici.
Un résumé en musique
Pour finir d'illustrer cette belle solidarité, on aimerait faire découvrir à nos lecteurs un de nos titres préférés, "Reggae.sn", extrait de ton album acoustique Ash26 sorti l'an dernier, où tu rends un bel hommage à tous ces artistes dont vous nous parlez.
Ashraff : ouais, j'ai fait un peu le griot des artistes là, tu vois!
Malikal : Au nom des artistes, je te dis Jahjeuf (merci).
Ashraff : Jahjeuf! Cette chanson on l'a fait avec Lëk Sèn, il a fait une petite partie. Et je l'ai fait avec lui, parce que j'ai vu que lui, il a essayé de réunir les artistes. Donc il n'y avait pas d'artiste mieux que lui pour le faire ensemble. Donc je le salue. C'est un homme que je respecte beaucoup, pour ses idées, et pour sa façon de voir, la philosophie.
Merci beaucoup à tous les deux, Ashraff et Malikal d'avoir été avec nous aujourd'hui.
Ashraff : Merci beaucoup à toi aussi!
Malikal : Merci beaucoup, merci à tout le monde, merci à vous pour l’invitation, merci Ashraff.
Ashraff : Merci mon frère.
Malikal : Et on se dit à très bientôt fall, béguéti!
Ashraff : Bye bye!
Merci Ashraff 30 et Malikal pour ce voyage musical sans frontière. Un honneur pour la rédac de pouvoir proposer à travers vous cette belle ouverture sur le monde.