Marcus Gad - L'interview Ready For Battle
Marcus Gad est en métropole pour une tournée de deux mois. De passage à Paris pour présenter son nouvel album Ready For Battle, La Grosse Radio en a profité pour lui poser quelques questions. L'occasion d'en apprendre un peu plus sur ce second album avec Tribe. Egalement de s'intéresser au message de résistance de ce projet et de décortiquer quelques morceaux avec Marcus Gad.
Ready For Battle est disponible ici - stream/download
L'enregistrement des titres
LGR : Enchanté, on est très heureux d'échanger avec toi. On va discuter de ton nouvel album Ready For Battle qui vient tout juste de sortir, le 10 février. Projet qui a été composé et enregistré entre 2018 et 2019. Le second album avec La Tribe après Chanting. En premier, j'aimerais en aborder la conception. Le processus de création collective enregistré en condition live, c'est un peu ta marque de fabrique avec la Tribe.
Marcus Gad : Enchanté La Grosse Radio Reggae. C'est vrai que nous, on a ce truc qui nous caractérise un peu. Du moins sur ces deux albums. Enregistrer les morceaux en live et ensemble, c'est vrai que j'aime bien expliquer pour les gens qui nous suivent et qui ne sont pas forcément familiers avec le procédé de l'enregistrement. Il y a beaucoup de musique qui s'enregistre aujourd'hui… En fait des musiques où chaque musicien enregistre sa partie dans son coin.
Donc nous, d'abord, on enregistre la batterie, ensuite on enregistre la basse, et cetera… Et alors, ça fait un rendu qui est différent. Nous, on enregistre tous ensemble le cœur du riddim, l’instrumental. Par conséquent, au niveau du groove, au niveau du ressenti général, ça donne quelque chose de différent.
Ça laisse place à la création et à l'émulation artistique. Il y a quelque chose qui se passe durant les enregistrements.
Bien sûr ouais, il y a une magie de l'instant. Ça laisse une porte ouverte à la surprise.
Un message de résistance
On va se concentrer sur le message de ce projet. Tu lances un appel à la résistance face à un système devenu obsolète. Un appel à une prise de conscience. Ready For Battle a été écrit et composé pourtant avant la crise sanitaire. Est-ce que tu pressentais quelque chose ? Est-ce que tu avais eu des visions de quelque chose ?
Il y avait vraiment un truc. C'est marrant, en le réécoutant avec le recul, je vois qu'il y a un côté un peu annonciateur. C'est vrai qu'on sentait qu'il y avait quelque chose dans l'air du temps qui montait et qui n’allait pas. Personnellement, je ne savais pas quelle forme ça allait prendre, mais je sentais qu'on arrivait dans une période… Et on y est encore malgré le fait qu'on soit sorti de la crise sanitaire. Un moment où on allait devoir vraiment défendre des droits et des valeurs qui sont fondamentales. Ceux-ci sont aujourd'hui attaqués par un système qui comme tu le dis est devenu obsolète. Système qui place les intérêts des plus puissants avant les intérêts du vivant. Donc du coup, c'est de ça dont j'ai parlé dans cet album. Effectivement la pandémie est venue confirmer ou mettre en lumière pas mal des choses qui sont les thèmes qui sont abordés sur ce sur Ready For Battle.
La pochette en Tapa
On va s’intéresser un peu au visuel de l'album. Aussi à l'histoire du clip “Ready For Battle” dans lequel on voit la conception sur un tissu tapa traditionnellement travaillé. Est-ce que tu peux nous parler de ce processus de création et de la valeur du tapa dans la culture Polynésienne et Mélanésienne ?
Marcus Gad - Dans la culture Polynésienne et Mélanésienne, le tapa a une place très importante. Pour remettre le truc dans le contexte pour les gens qui vont nous lire, le tapas, c'est une étoffe qui est conçue à partir d'une écorce de banians. Cette écorce est battue pour en séparer les fibres. C'est un procédé qui est long et assez fastidieux. Ensuite, ça prend vraiment cette texture d'étoffe de tissu un peu brut. Ce tissu en fait dans la culture Mélanésienne et Polynésienne, il représente vraiment les liens entre les hommes et le bois. Les liens qui sont tissés entre les hommes, puisque ça ressemblait à un tissage et c’est utilisé dans les coutumes. C'est quelque chose qu'on va offrir, pour faire un geste quand on arrive aussi chez les gens. On va offrir ce tapas pour symboliser les liens qui nous unissent.
Donc pour nous, c'était vraiment encore une fois, une démarche de mettre la culture de la Nouvelle Calédonie en avant. On essaie de le faire en musique et du coup aussi visuellement à travers les clips et puis cette pochette.
Long Way Home
Mettre La Nouvelle Calédonie en avant, tu l’as aussi fait dans le clip “Long Way Home”. Cette chanson parle de l’éloignement et du fait que ton île te manque parfois. J’ai su que tu avais été bloqué en France pendant le confinement. Ce titre à pris tout son sens à ce moment-là.
Ça prend tout son sens au moment du Covid où effectivement je n’ai pas pu rentrer chez moi. Je suis resté bloqué un petit moment ici, mais j'ai écrit cette chanson avant. Quand tu viens de Nouvelle-Calédonie, tu as tes petites habitudes des îles et c'est vrai que la métropole, c'est un changement radical pour nous. Donc, il y a des moments où forcément on se sent loin de la maison. C'est dans un de ces moments que j'ai écrit cette chanson. Un petit peu pour raviver en mémoire ce qui me rattachait à ma terre. Du coup c'est une chanson qui est très visuelle dans les paroles. Car j’y ai mis un petit peu toutes les choses qui sont vraiment caractéristiques de chez moi, de ce que j'aime là-bas. Voilà c'est une chanson un peu florilège sur la Nouvelle Calédonie.
Sometines / Forward / Long Term
On va parler de “Forward” où tu lances un appel aux personnes de bonne volonté qui se manifestent trop peu face aux personnes malveillantes. C'est un titre avec des accents cubains et j'ai vu que c'est ton pianiste qui l'a écrite, ainsi que “Sometimes”.
Marcus Gad - Francky, c’est un super compositeur et un excellent musicien, qui a composé “Sometimes” et “Forward”. C'est vrai que l’on a des influences musicales diverses et variées notamment Francky qui lui, en plus, vient du classique avec le piano. Il est extrêmement versatile dans les styles qu’il peut aborder.
C'est vrai que nous on adore vraiment la musique cubaine comme Compay Segundo et tout ce qui est sorti de la période Buena Vista Social Club. Sur cette chanson pour ceux qui connaissent le style, il y a un clin d'œil autant au niveau des gammes abordées que dans l'arrangement. C'est directement inspiré de toute cette mouvance.
C’est aussi dû à la section cuivre assez présente dans Ready For Battle. “Long Term” met bien ce côté cuivré en avant. Une chanson entre le ska et l’ambiance Jazzy à la Louis Armstrong.
Bah c'était vraiment l'inspiration. Je dis toujours concernant cette chanson pour moi c'était Louis Armstrong et Le Livre de la Jungle. Tu sais parfois quand on est en studio comme ça, on essaie de verbaliser des images pour donner la puce à tout le monde. Je me souviens que c'est cette image là que j'ai donnée quand on était dans le studio. Je disais : 'Imaginez-vous le roi Louis en train de chanter à Mowgli'et puis on part dans cette vibe là du coup.
Seeking A Vision
On aimerait échanger sur “Seeking a Vision”. Tu y parles de ton rapport aux plantes pour le côté médicinal mais j'ai aussi entendu, pour ta recherche de vision/de vérité. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ça ?
Marcus Gad - J'ai un rapport assez intime avec les plantes. Les plantes visionnaires, médicinales, j’ai aussi de l'intérêt pour le chamanisme et c’est la raison pour laquelle j'ai voyagé dans pas mal d'endroits. Notamment le Mexique qui a une très longue tradition d'utilisation de ces plantes, des champignons, des cactus. Et puis je pense que c'est un truc ouvert, moi c'est vraiment quelque chose que je vis personnellement. Je pense qu'on est à une époque en fait avec tous ces liens avec les plantes, qui est en train de ressurgir. On le voit dans la recherche médicale et en psychologie où on a réouvert la recherche sur la psilocybine. Comme aux Etats-Unis ou en Angleterre et où il y a des résultats extrêmement concluants qui ont été constatés. A notre époque par exemple, la maladie qui touche le plus les êtres humains, c'est la dépression. Les chiffres sont exorbitants et on a des résultats absolument fabuleux avec les traitements de microdosage de psilocybine. Je trouve que c'est quelque chose sur lequel on ne peut pas fermer les yeux.
C'est extraordinaire de voir qu'on a des plantes qui n'ont pas besoin d'être manipulées. Elles amènent des résultats qui sont meilleurs que les médecines chimiques qui dérèglent les sécrétions hormonales. Ce sont des sujets sur lesquels il faudrait faire une émission entière. C'est quelque chose qui fait partie de mon chemin et que je commence à partager dans mes chansons parce que je pense que c'est le moment.
Change et l'IA
J’ai lu que le clip de “Change” et “Seeking a Vision” était une suite du narratif de toute cette quête. La vidéo a été réalisée grâce à l'intelligence artificielle ce qui est assez novateur dans le reggae. Perso, je ne connais que Full Dub qui a fait ça sur un clip. Est-ce que tu peux nous parler de l'intelligence artificielle de ce clip ?
C'est une question intéressante. Le fait qu'on ait utilisé ce truc d'intelligence artificielle là, ça interpelle beaucoup les gens.
Marcus Gad et intelligence artificielle, ça ne colle pas trop à la base.
Ça ne colle pas forcément au premier abord. Mais en fait ce qu'il faut savoir, tu vois par rapport à ça, c'est que nous on était vraiment dans une recherche artistique. On a tourné ce clip en Jordanie et on voulait mettre un effet sur ces images pour vraiment triper l'image. Donner ce rendu où je suis en train de faire un voyage dans un monde imaginaire et psychédélique.
On a essayé plusieurs choses et on n’était pas partis dans cette démarche d’utiliser de l'intelligence artificielle. Pourtant il se trouve qu’il y a ce logiciel qui est tout nouveau et qui interprète la vidéo image par image. Il interprète les photos en rajoutant des éléments qu'on lui dit de rajouter. C'est-à-dire qu'on tape des mots-clés dans le logiciel et lui, à partir de ces mots-clés, il fait une recherche de milliers de photos. Ensuite, il modifie l'image en fonction de ça.
En vérité, en ce moment c'est dans l'air du temps, c'est dans le débat. Il y a plein de gens qui sont pour et il y a plein de gens qui sont contre. On dit intelligence artificielle mais en vérité pour moi c'est pas véritablement une intelligence artificielle. Ça reste un programme formaté par l'humain pour obtenir un résultat. Et là, en l'occurrence, c'est vraiment au service de l'art. Nous, c'est comme ça qu'on l'a utilisé, c'est au service de l'image plus qu'autre chose. Ce qu'on cherchait c'était d'avoir une image qui nous convienne et pas nécessairement d'utiliser une intelligence artificielle.
Comme je dis en blaguant ce n’est pas un robot et il ne va pas envoyer vos informations à l'état, il n'y a pas de souci.
Reflexion
On va parler de “Reflexion”. C'est un titre que tu interprètes de manière un peu plus chantonnée. Tu es moins haut que d'habitude et j'ai entendu que certains musiciens ne t'avaient pas reconnu à l'écoute de ce titre.
Marcus Gad -“Reflexion”, c'est un titre particulier puisqu’il fait partie des rythmes qui ont été créés spontanément par le groupe. C'est à dire qu'on était en répète, tout le monde s'est mis à jouer et ce riddim a été créé sur l'instant. Du coup, on l'a enregistré. Des fois, j'enregistre des trucs tout seul dans ma chambre juste pour me souvenir, pour garder l'idée. Celui-là en fait, quand je l'ai enregistré la première fois, je l'ai chanté tout doucement parce qu’il y avait des gens qui dormaient à côté et puis je ne voulais pas les réveiller. En réécoutant, je me suis dit : J'ai envie de chanter cette chanson comme ça. Genre, vraiment posé, chantonné, très calme. Dans une manière dont je n’avais pas chantée avant. Dès que je l'ai faite écouter à l'équipe, tout le monde a vraiment remarqué ce côté-là et a beaucoup aimé.
On a décidé d'interpréter cette chanson comme ça et je trouve que c'est une des chansons fortes de cet album.
Blessed Be The Love
Parmi les chansons que tu as écrites il y a un petit moment “Blessed Be The Love”. Elle date de quand tu avais 20 ans, pourquoi avoir choisi de la mettre sur un album maintenant ?
Tu vois, il y a des chansons comme ça. Quand j'ai commencé la musique, j'estimais qu’on n’avait pas encore les moyens techniques suffisants pour réaliser ces chansons. Il y a des chansons comme ça que je voulais vraiment garder en cartouche. Genre en mode : Le jour où on rentrera dans le studio et que la vibe est là, c’est là où je dirais : Ok là, c'est le moment de l'enregistrer. C’est ce qu’il s'est passé avec “Blessed Be The Love” qui est une chanson que pendant longtemps je n’ai pas eu envie de la figer. Parce que ce n’était pas le moment. C'est vrai qu’avec le groupe Tribe, sur l'enregistrement de cet album, on a on a réussi à amener une sauce qui me plaisait vraiment, où je pensais qu'il y avait vraiment la musicalité pour ce titre.
Jericho Walls
“Jericho Walls”, c’est une chanson écrite lors d'un voyage en Palestine à Jéricho. C’est le titre avec la rythmique la plus rapide de Ready For Battle.
Oui, c'est vraiment la chanson la plus jumpy, la plus dynamique de l'album. C'est une chanson de motivation, c'est une chanson stimulante. Pour la petite histoire, j'étais en voyage en Palestine au moment où je l'ai écrite. C’est un voyage qui m’a beaucoup marqué et Jéricho en particulier. J'ai été accueilli là-bas dans un camp de réfugiés où je me suis fait beaucoup d'amis et du coup ça m'a inspiré cette chanson. “Jericho Walls”, je l'ai écrite sur le toit de mon hôtel dans ce camp de réfugiés. Dans cet esprit, elle a été faite directement sur place.
Le partenariat avec Les Jardins du Thorains
J'ai vu que tu étais à l'origine d'un partenariat avec Les Jardins du Thorains. Tu peux nous parler de ce partenariat stp ? C'est de la distribution de graines pendant les concerts ?
Marcus Gad - C'est un truc qu'on a commencé à faire il y a un moment. C'est vrai qu’au-delà de la musique, on est vachement engagé dans ce mouvement. Le mouvement des reproductions des semences paysannes et la libération de la semence paysanne même j'ai envie de dire. On a commencé à distribuer des graines en concert qui venaient de nos propres jardins et pour nous c'était une occasion d'ouvrir le débat là-dessus et d'en parler aux gens.
C'est super important !!
Marcus Gad - Oui, puisqu’aujourd’hui ce qu'il est important de savoir, c'est que 98% des légumes et des fruits qu'on mange sont issus de semences hybrides F1. Et la semence hybride F1, c'est une semence qui est génétiquement modifiée et dans ce cas, l'agriculteur ne peut pas récupérer de graine. En plus, ces hybrides ont besoin de beaucoup de pesticides et d'engrais pour pousser. Ça pollue, voir ça tue et ça détruit les sols. C'est à dire que c'est un véritable problème aujourd'hui, car l'alimentation mondiale est basée sur ce genre de semence là. Donc nous on en parle beaucoup. Le fait de distribuer des graines, c'est un petit peu une carte de visite, ça invite les gens à aller se renseigner là-dessus.
Pour répondre à ta question, il y a le jardin, un semencier super engagé dans la libération des semences qui nous a contactés. Il nous a proposé donc de faire ça en partenariat. Pour nous, c'était génial d'avoir un retour à ce niveau là, parce que jusqu'à maintenant, on le faisait de manière complètement artisanale. Là, on a un semencier qui nous a fait des paquets imprimés de plusieurs variétés différentes. Donc voilà, c'est une étape de plus dans ce cheminement militant qu'on entreprend.
Focus sur la tournée
Quelque chose à rajouter sur l'album ? Sur ce qui arrive pour Marcus Gad ?
La grosse tournée en métropole pour commencer là, donc sur mars et avril. J'invite vraiment les gens à venir à notre rencontre, à venir au concert puisque c'est là que l’on partage vraiment la musique. Venez nous rencontrer en concert pour faire l'expérience directe de notre musique.