Entretien avec Kogaion Sound System

C'est lors d'un séjour à Bucarest, la belle et étonnante capitale roumaine, que j'ai eu la chance de rencontrer le fondateur de Kogaion Soundsystem, le crew le plus influent du pays. Je cherchais alors des contacts locaux afin de découvrir la culture reggae-dub dans cette région du globe plus connue pour sa musique gitane, son rap et son rock, que pour ses vibrations jamaïquaines. Devant le peu de réponses à mes sollicitations, et malgré l'enthousiasme de King Julien qui organise de petites soirées reggae et qui participe à la diffusion de cette culture grâce au site zonareggae, impossible dans un premier temps de prendre le pouls de la musique consciente aux pays des vampires et des oeufs peints. Puis une réponse arrive enfin dans ma boite mail : Sistah RastahFairy, découverte un peu par hasard au fil de mes pérégrinations sur le web, m'invitait cordialement à rencontrer Bobi. Il s'agit du fondateur du plus militant des sound systems roumains, qui m'accueillit du coup toute une après-midi afin de présenter en détail les motivations, les aspirations, les influences, qui poussent ce collectif à développer la présence de la musique dub et de la culture reggae dans ce pays de l'est. Un bref trajet en taxi, et me voilà en banlieue Bucarestoise afin de recueillir ce témoignage plein de motivation et d'énergies.
 

Un bref trajet en taxi, et me voilà  en banlieue Bucarestoise afin de recueillir ce témoignage plein de motivation et d'énergies


Bonjour Bobi, en premier lieu pourrais tu nous dire d'où te vient ta passion pour la culture reggae-dub, quels artistes t'ont séduit de prime abord, comment s'est déroulé ce premier contact dans tes souvenirs ?

Et bien, d'aussi loin que je me souvienne c'est à la fin des années 90 quand j'étais à la fac' et que je trimballais des cassettes avec Bob Marley enregistré dessus. J'écoutais pas mal de punk à l'époque, et c'est avec Piti (batteur du groupe E.M.I.L) que je me suis mis à écouter du ska, du reggae, des musiques plus conscientes. De mémoire je peux citer les Gladiators, Don Carlos, Alpha Blondy, Dennis Brown ou Tiken Jah Fakoly. Pendant quelques années j'allais travailler dans un bar sur la côte, près de la mer, et j'en profitais pour passer du bon son bien tranquille. En 2006 nous avons ouvert le Kaya Caffee avec quelques amis. C'était un petit business, avec plein de gens sympa qui passaient écouter de la bonne musique, en toute simplicité. C'est d'ailleurs là que j'ai fait la connaissance de Damian. Il venait tout le temps ! En même temps la faculté n'était pas très loin (rires).

Mais alors, qu'est-ce qui vous a propulsé dans l'univers du dub ? Qu'a-t-il bien pu se passer ?

Le 16 novembre 2007 à Londres. Je m'en souviens très bien ! Damian qui vivait en Angleterre depuis quelques mois n'arrêtait pas de m'appeler pour me dire comme c'était fou de voir les rues de Londres pendant le carnaval de Notting Hill. Et pour info il nous disait tout par téléphone, essayait d'expliquer ce qu'il ressentait, parce qu'à l'époque il n'y avait pas toutes ces vidéos qu'on peut trouver sur YouTube par exemple. Il m'a convaincu, avec quelques amis, d'aller voir de mes propres yeux tous ces murs de son. Il y avait AbaShanti, Iration Steppas et King Earthquake, mon corps vibrait de partout, de manière organique ! C'est presque indescriptible comme sensation. Je ne voyais pas ce qui se passait du coup j'ai avancé jusqu'au premier rang afin de comprendre, et là j'ai vu un petit bonhomme en train de manipuler tout un tas de boutons sur des machines bizarres. Entre les sirènes, la musique, la lumière, l'énergie : j'en prenais plein la gueule si on peut le dire comme ça (rires). Et là d'un coup tout s'arrête. Aba prend le micro et nous dit de laisser de côté nos angoisses et nos peurs, de nous laisser envahir par l'amour et la spiritualité. Puis, boum, c'est reparti de plus belle. En rentrant nous coucher on ne parlait que de ça entre nous ! Et de retour en Roumanie nous savions ce que nous voulions faire : diffuser la culture, monter notre propre soundsystem.
 

Je ne voyais pas ce qui se passait du coup j'ai avancé jusqu'au premier rang afin de comprendre, et là  j'ai vu un petit bonhomme en train de manipuler tout un tas de boutons sur des machines bizarres


Quand vous vous êtes décidés à passer à l'action, à créer Kogaion Soundsystem, avez-vous demandé de l'aide à des promoteurs de la culture originaires d'autres pays, où le mouvement était plus développé ?

Bien sûr, ce n'est jamais évident de se lancer seul dans une telle aventure. Et je vais te dire mec, nous avons reçu bien plus que ce que nous espérions à l'époque. Nous serons éternellement reconnaissants pour ça. Cela a commencé en France quand Jah Militant a accepté de venir en Roumanie pour une première expérimentation. En 2008. Et à l'époque à part un riff reggae dans quelques pubs à la télévision il n'y avait pas grand chose en Roumanie. Nous avons dépensé une petite fortune pour monter un sound en louant du matériel, et même si nous n'avions aucune idée sur la manière d'organiser un tel évènement, la fête fut plus que réussie. Le jour suivant on est allé respirer un peu d'air frais dans les montagnes, et on en a profité pour parler beaucoup du mouvement. Jah Militant nous a guidé en nous soumettant l'idée que nous devrions avoir un sound system à nous afin de diffuser le message de Jah en Roumanie. Wow... Dès lors, plus rien ne comptait à part ça. Les mois suivants, grâce à des conseils avisés et réguliers on a appris à fabriquer nous même notre sound system, merci encore à Jah Militant. Pendant une semaine avant que notre premier véritable festival ne commence nous étions nuit et jour à bosser dans les jardins pour terminer le travail. Mais quelle récompense au final ! Voir Jah militant et Aba Shanti avec nous dans une forêt en Roumanie, sur notre matos. Au milieu de nulle part... C'était juste énorme. Enfin nous avions de quoi écouter et promouvoir du reggae de la bonne manière dans notre pays.
 

Et la musique que vous diffusez, vous l'importez j'imagine ?


Oui, bien sûr, à 100%. Malheureusement il n'y a pas de magasin spécialisé ici. En fait on trouve des vinyles, mais il s'agit principalement de jazz, de musique classique ou de pop-rock. Du coup on se tourne principalement vers le web pour commander nos disques. On a choisi de jouer exclusivement du vinyle pour deux raisons. Tout d'abord, on aime ce support, les sensations qu'il procure, et ça il n'y a pas trop besoin de l'expliquer hein ? (sourires). La seconde raison est quant à elle beaucoup plus pragmatique. C'est illégal de télécharger du son en Roumanie, et les artistes souffrent de ne pas vendre leurs créations. Attention je comprends bien qu'un particulier qui ne gagne pas beaucoup d'argent, et nous ne sommes pas très riches ici, télécharge un son pour le mettre dans sa voiture. Mais quand tu vois que les DJs professionnels ou même des stations de radio vont jusqu'à prendre des mp3 de mauvaise qualité sur YouTube pour les jouer... Et puis les gens doivent comprendre qu'en achetant du vinyle nous essayons à notre échelle de supporter la création musicale et artistique.
 

Les mois suivants, grâce à  des conseils avisés et réguliers on a appris à  fabriquer nous même notre sound system, merci encore à  Jah Militant


Quels évènements organisez vous du coup ? Et avec quelles valeurs ?

Nous essayons toujours de ne pas simplement passer que de la musique, de faire plus que de simplement distraire les gens. Notre but c'est de promouvoir la culture reggae-dub dans son intégralité. Il faut rendre les gens curieux, leur faire comprendre pourquoi il y a ces murs de son, ces machines, pourquoi nous n'avons qu'une seule platine et non pas une sono de mix pour DJ comme dans d'autres styles musicaux. C'est sûr que pour celles et ceux qui ne connaissent rien au reggae, ça n'est pas évident. Du coup on fait venir des références internationales, des pointures, afin que le public puisse voir ce qui se fait de meilleur. Nous on essaye simplement de faire perdurer chez nous une tradition qui n'est pas la notre. On respecte tellement tout ceux qui ont permis à ce mouvement d'être ce qu'il est aujourd'hui. Mais nous sommes roumains, pas jamaïquains, africains ou anglais. Notre héritage culturel est différent. Pourtant, à notre manière, nous essayons de diffuser la culture Rasta. Sans être des rastas nous-mêmes pour autant. Mais c'est une tradition ancienne, qui mérite le respect. Elle véhicule d'ailleurs des valeurs universelles qui nous concernent tous en tant qu'êtres humains, peu importe nos origines, notre nationalité, ou notre religion. Donc, pour en revenir à ta question, on organise le One Love Gathering chaque été depuis 2009. C'est là que le public peut découvrir  tous les soundsystems roumains. Ce festival a lieu dans des espaces naturels, sauvages, et reste totalement gratuit. Comme ça pendant quelques jours les gens peuvent se connecter entre eux sans être parasités par toutes ces petites choses du quotidien qu'on appelle distractions. Mais au delà même du reggae, et bien il y a cette envie de faire montre d'amour et de respect envers nos prochains. De comprendre l'autre avec ses différences. Et nous restons humbles, car c'est grâce à tous ces gens qui se réunissent autour de nous que nous apprenons à être meilleurs, plus forts. Nous n'avons pas de théorie ou de schéma particulier à appliquer. Nous apprenons tous les jours. 
 

Si vous deviez inviter une figure du mouvement, qui serait-elle ?


Tout le monde l'ami, tout le monde. Nous quand quelqu'un vient jouer avec nous nous prenons ça comme un honneur, un présent à notre égard. Donc tout le monde est le bienvenu, et franchement des références nombreuses nous ont déjà fait cet honneur.
 

Ce festival a lieu dans des espaces naturels, sauvages, et reste totalement gratuit


Que penses-tu de la scène actuelle du reggae en Roumanie ? Les gens s'investissent-ils autant que vous ? Le message universel dont tu parlais tout à l'heure trouve-t-il un écho ?

A mes yeux tout est trop récent pour pouvoir faire un bilan. Mais il y a une vague, et elle grossit chaque jour un peu plus. Il faut se dire qu'ici il y a sept ans rien ne se passait. Ah si, il y avait bien le Fiyah Burn Sound, basé à Timisoara, qui jouait du reggae, de la d'n'b, et de la jungle. Dans un laps de temps assez réduit on a vu émerger deux festivals en plein air qui ont lieu chaque année, quatre sound systems qui jouent régulièrement, et puis des émissions de radio, des blogs, des petites soirées underground... Plein de monde adhère, promeut, diffuse. Et ça devient petit à petit reconnu : Channel One, King Shiloh et Mungo's HiFi sont venus jouer au Electric Castle (le plus gros festival roumain) cette année. Yeah man, si ça n'est pas une preuve ça ! Ensuite les soundsystems locaux (Kogaion, Irie Warriors, Genmaica, KAZE) planchent sur des productions de dub music ici-même, mais nous n'en sommes qu'aux prémices. A Bucarest vous pouvez jeter une oreille aux travail de Serious Dub : ils travaillent bien et sont meilleurs d'année en année.

 

Du côté des autorités vous n'avez jamais de problèmes ?


Franchement ? Non. La plupart du temps ils sont même assez sympa avec nous. Par contre d'autres personnes se plaignent, mais pas respect pour eux je tairai leur nom ici (sourire).

Merci Bobi pour toutes ces précisions. Pour finir cette interview peux-tu nous dire quels sont vos plans concernant l'avenir proche ?

Nous essayons surtout de développer notre activité dans plusieurs ville du pays, et de proposer des évènements accessibles à toujours plus de monde. Il y a également le projet intitulé Dub Avalance dans la plus belle station de ski roumaine, et nous espérons qu'avec de nombreuses énergies réunies cela deviendra rapidement un incontournable.

Interview réalisée par Olivier BATISTE, Novembre 2014, à Bucarest, Roumanie.

 



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