"Le fait de poser son sound system est quelque chose de militant et aussi un acte autogéré, enfin presque car on a besoin d'électricité... Mais on adore l'ambiance dans les endroits alternatifs"
Rico, le selecta d'O.B.F Sound System a accepté de répondre à mes questions pour cet interview. C'est un ami de longue date qui travaille au centre culturel autogéré de l'Usine à Genève (où O.B.F organise ses fameuses soirées Top Ranking et Dubquake) qui m'a mis en contact avec lui.
N'ayant pas pu le rencontrer en chair et en os avant le départ du crew pour le Mexique, c'est par mail que notre échange s'est déroulé.
C'est donc du pays de Pancho Villa et d'Emiliano Zapata que Rico s'est confié à La Grosse Radio Reggae.
Peux- tu présenter O.B.F. Sound System aux auditeur(rice)s et lecteur(rice)s du webzine de La Grosse Radio Reggae?
O.B.F est un sound system militant reggae et dub, actif depuis bientôt 15 ans, issu de la scène underground française et genevoise. Nous sommes DJs, producteurs et soundmen, mais aussi organisateurs de soirées. Nous gérons aussi deux labels indépendants, O.B.F Records et Dubquake Records.
Comment se déroule votre travail de composition?
En s'inspirant des différentes influences musicales qui nous entourent, mais tout en restant très proches de la construction reggae en ajoutant notre touche personnelle, le tout mixé comme se veut la tradition ancestrale du dubwise, avec une console, piste par piste, et des effets externes analogiques, qui permettent une plus grande spontanéité dans les mixes et une plus grande liberté dans l'expression artistique.
Comment se passe une soirée dub "type" avec OBF (préparation, installation, techniciens,...) ?
Après une longue nuit à mixer des nouveaux dubs, le réveil est difficile, rdv 9:30 au café avec le crew pour le chargement du matériel. Le camion de location arrive, nous sommes prêts à charger. Les boxes, les racks et caisses de câbles sont maintenants empilés tel un tetris. Nous partons cette fois-ci pour 8 h de route, nous checkons la feuille de route préparée par Stef et c'est parti! Direction Bordeaux, après les nombreux péages et contrôles policiers évités de justesse, nous arrivons à la venue. Une rapide inspection de la salle pour voir comment installer le matériel et nous commençons le déchargement, on ne traîne pas car le temps est compté. Ça y est les murs sont montés, câblés, et G l'operator commence à tester voie par voie le sound system, je teste quelques dubs et Shanti D teste le mic! Tout est maintenant prêt pour la soirée.
Une petite pause, et la session commence, les basses retentissent, les gens se pressent à l'entrée du club pour entrer dans l'arène et vivre une expérience inoubliable.
La soiree terminée, pas de temps à perdre, nous démontons le sound system, chargeons le tout dans le camion et on est reparti direction l'hôtel pour un petit somme de quelques heures, avant de reprendre la route direction le headquarters.
Vous êtes actifs depuis de nombreuses années et pourtant vous n'avez sorti un premier album, Wild, que l'année dernière, hormis d'autres singles. Pourquoi avoir attendu si longtemps? Manque de temps? La composition est-elle différente?
On n'a pas voulu se presser, on voulait vraiment raconter une histoire, et pour une avoir une histoire à raconter il faut quand même un peu de vécu.
Je me suis mis à la composition, et on a bossé jusqu'à ce que l'on soit content du résultat, même si l'on n'est jamais réellement satisfait.
Télérama vous a récompensés en plaçant Wild dans les 5 meilleurs albums rock français et dub de l'année 2014 aux côtés du Berlin de Zenzile. Télérama organise son fameux festival depuis une douzaine d'années déjà. C'est d'ailleurs le seul média mainstream qui fasse la promotion du dub en France. Est-ce important pour vous d'avoir un soutien de "prestige" comme celui-là? Télérama a t-il permis à la scène dub française de se développer?
Le Télérama Dub Festival a popularisé le dub à sa façon, il touche une plus large audience que celles des reggae et des dub massives classiques et cela est bénéfique pour la scène dub en général, mais celle-ci reste une scène marginale et underground, qui reste encore méconnue du grand public.
D'autres productions en LP ou EP en projet?
Je serai en Jamaïque durant le mois de janvier pour bosser sur les prochaines releases de 2017.
En 2016, les prochaines sorties EP telles que les collaborations avec Charlie P, Sr Wilson, Danman, Wayne Smith, Shanti D vont arriver très prochainement.
Il existe autant de styles et de genres que de sound system. Chacun a son identité propre. Comment qualifierais-tu le son d'OBF et, par extension, quelles sont les influences (outre le reggae et le dub) qui ont conduit à créer la "patte" OBF?
Le son d'O.B.F est varié mais a su garder une identité qui lui est propre, les influences reggae bien sûr, mais aussi les techniques de dub developpées après des années de mixes, l'ouverture sur d'autres paysages musicaux nous a aussi permis d'évoluer et de varier les compositions. Mais nous avons une préférence pour les musiques militantes, deep, voir ambient spirituel, mais aussi black music, hip hop, innovatrice et surtout il faut de la bassssss!
Il y a toujours eu une scène sound system en France depuis les années quatre-vingt (je pense notamment au King Dragon Sound System avec, entre autres, Lord Zeljko). Comment perçois-tu l'évolution de cette scène? Le public est-il différent?
Le public a changé c'est sûr, je n'étais pas là dans les années 80 car trop jeune pour ça, mais le public des Dances back in the day était un public d'aficionados et en mode raggamuffin. Zeljko a largement contribué à la promotion du reggae dans les dances mais aussi à la radio et aussi avec ses productions. Simplement aujourdhui le public est plus varié. Peut-être aussi plus influencé par la musique électronique et les techniques de productions ont aussi changé, plus accessibles, mais l'utilisation du sound system est beaucoup plus présente dans les soirees actuelles que Back in the days.
Penses-tu que l'émergence d'une scène dub live (High Tone, Zenzile, etc...) a contribué à l'engouement pour le sound system ces dernières années en France?
Nous pensons que ces groupes comme High Tone ou Improvisators Dub ont été les prémices de la scène dub en France. Même si le format ou les productions sont différents, ces groupes ont contribué à l'émergence des sound systems en France. OBF a pendant des années officié en tant que djs warm up pour ces groupes qui nous ont permis de nous faire connaître et de populariser notre musique.
Qu'est- ce qui diffère, selon toi, entre la scène emblématique anglaise (King Earthquake, Jah Shaka, maintenant le Reggae Roast) et la scène française?
La scène française a été largement influencée par la scène anglaise, comme Jah Shaka, Jah Tubbys, Aba Shanti I, Iration Steppas, la scène roots and culture, uk roots, Nous sommes aussi fans de la periode 80's de Saxon. La façon dont on run un sound system, dubplates, sélections, micman, entertainment avec un style militant ou quelqufois décontracté.
Concernant la différence, peut-être que la scène anglaise a gardé un côté plus rastafari que la scène française.
Dans une interview pour Radio Grésivaudan, le chanteur des Wailing Trees estimait, pour sa part, qu'il existait une "french touch" reggae. En effet, le reggae français rayonne à l'étranger. Peut-on également parler d'une "french dub touch"?
La french dub touch bien sûr elle existe, même si les producteurs français sont influencés par la scène uk, ils ont su également avec le temps trouver leur styles.
Vous êtes très actifs, vous organisez les soirées Top Ranking et Dubquake à Genève, vous avez posé votre sound lors des Dub Station, maintenant à l'occasion des Dub Echo à Lyon (toutes des soirées de référence), vous vous rendez en Angleterre et dans bien d'autres pays. Des artistes majeurs jouent sur votre sound. Qu'est-ce qui fait votre force?
L'originalité, la vibes, le partage avec le public! Et surtout faire ce que tu fais avec le coeur!
Vous partez pour une tournée au Mexique. Je ne connais qu'un seul sound mexicain, Mexican Stepper. Y a t-il là-bas, sachant qu'on est très près du berceau à savoir la Jamaïque, une scène déjà très dynamique ou est-ce que vous vous y rendez pour développer cette scène et prêcher la bonne parole du dub?
La culture locale sound system ici au Mexique est déjà présente depuis de nombreuses années, la musique locale mexicaine est jouée sur des sonos appelées sonideros et propres à chaque quartier, comme les sound systems jamaïcains, mais avec d'autres sélections.
Le reggae, le dub sound system pour ce qui nous concerne a connu une effervescence ces 5 dernières années mais le réel boom a eu lieu cette année avec le festival Dub Experience qui a rassemblé une partie des acteurs les plus représentatifs de la scène dub locale: Ohm Mane Padme Um, Spiritual Sound, Mr Zebre, La Otra Sezion, Rootical Session, Bungalodub, Unidub Estereo, etc...
Cet événement n'a rien à envier à la scène européenne, avec un sound system de qualité et un public chaud bouillant!
Peux-tu présenter l'Usine et pourquoi en avoir fait votre "QG" ?
L'Usine, centre culturel autogéré qui a une place centrale dans la culture undergound genevoise et européenne, qui regroupe une quinzaine d'associations pluridisciplinaires comme la musique, le cinéma, le théâtre, coiffeur...
Nous avons commencé à jouer à l'Usine en 2004 avec le collectif Audioactivity pour les premières parties des groupes français dub, puis j'ai travaillé à l'Usine à temps plein pour la salle du Zoo et commencé à organiser les Dubquake et Top Ranking plus tard. C'est une salle qui correspond à nos idéaux, autogérés, hiérarchie horizontale, c'est un endroit famillial pour nous, où on s'y sent bien.
Peux-tu rappeler le contexte du bras-de-fer entre l'Usine et la municipalité de Genève et le canton de Genève?
C'est un peu compliqué mais pour faire court, la ville veut imposer à l'Usine de rentrer dans un cadre qui ne lui convient pas, la politique du diviser pour mieux régner.
Tu disais dans la vidéo de soutien des artistes dub à l'Usine : "ils veulent fermer un des derniers bastions de la contre-culture à Genève". Quels étaient ces autres lieux de contre-culture? Etaient-ils emblématiques de la ville de Genève et en quoi participaient-ils à l'identité culturelle de la ville?
Genève était une ville très riche culturellement, et alternativement parlant avec des endroits squattés, autogérés, ouverts au public qui proposaient un large éventail d'événements culturels. Beaucoup de ces lieux ont forgé notre identité et ont malheureusement disparu les uns après les autres après une politique de gentrification à Genève. RIP goulet, artamis, rhino, la tour, bandito, le kalif et bien d'autres.
En tant que Dijonnais, je suis marqué par l'Espace Autogéré des Tanneries, qui présente des similitudes avec l'Usine et qui lui aussi a subi les pressions de la municipalité qui les a contraints à se délocaliser. Vous avez déjà posé votre sound là-bas. Y a-t-il d'autres endroits du même genre en Europe, voire même dans le monde qui vous ont accueillis?
Bien sûr nous avons été souvent accueillis dans ce genre d'endroits, comme l'Italie avec ses centres sociaux culturels (notamment la scène napolitaine avec des groupes aux multiples influences comme 99 Posse, Bisca, 24 Grana, dont je vous conseille vivement l'écoute!, NDLR), l'Allemagne, la Croatie, etc...
En quoi est-ce important pour vous de poser votre sound dans ce genre d'endroits?
Le fait de poser son sound system est quelque chose de militant et aussi un acte autogéré, enfin presque car on a besoin d'électricité... Mais on adore l'ambiance dans les endroits alternatifs.
Vous avez tissé des liens avec les High Tone (accompagnement sound system pour les tournées Dub Invaders) issus du label historique Jarring Effects, qui se considère comme activiste (votre remix du "Dub Fever" du split entre High tone et Improvisators Dub figure d'ailleurs sur le 100ème album du label). Avez-vous la même perception de la musique? Doit-elle transmettre un message militant, politique?
Nous avons des goûts musicaux en commun bien sûr, nous sommes assez ouverts aux expérimentations, et le côté militant et underground de la famille High Tone nous convient totalement, les tontons de french dub sont en place!
Un dernier mot pour La Grosse Radio Reggae?
On a répondu à ce questionnaire sur la route au Mexique en direction de Tepozltan, et crois-moi c'était pas facile car ça bouge dans le van, et il y a aussi pleins de trucs magnifiques qui nous entourent ! Bref on vous envoie des positive vibbbbbbes depuis la ville où est né le dieu Quetzacoatl!
UN IMMENSE BIG UP A RICO, A TOUT LE CREW D'O.B.F ET A MON POTE YORDAN!!
FIGHT FOR L'USINE!