L'une des grandes caractéristiques de la scène française depuis l'apparition de la vague rock alternatif au cours des années quatre-vingt avec les Béru, la Mano Negra, les Négresses Vertes, etc a été de ne s'imposer aucune limite dans la création musicale. Des trois temps de la valse, on pouvait passer à un rythme reggae pour finir sur des riffs de punk, tout ça dans le même morceau ! Et bien sûr, ça jouait de la flûte de pan, de la contrebassine, du banjo, etc... Et ça donnait des genres aussi improbables que le "punk anarcordéon" ou le "salsamuffin".
Et rebelote avec l'arrivée de l'électro, du hip-hop (bon là par contre, ce sont les Anglais qui ont été les initiateurs du mélange des genres comportant une base électro via les labels Warp et Ninja Tune). Mais les Français ont repris cette manière de faire avec les groupes de dub et aussi d'électro (Le Peuple de l'Herbe, Chinese Man, Birdy Nam Nam, C2C, L’Entourloop, Scratch Bandits Crew, la liste est longue…).
Et c'est là que La Chose intervient (désolé pour cette introduction un peu longue, mais qui permet de mieux cerner l'identité de ce groupe).
La Chose est donc une chose assez composite qui se balade entre le jazz, la soul, le swing, le hip-hop, l’electro et le reggae, voire même le rock. On pense à Java et au Ministère des Affaires Populaires, quoiqu’il manque l’accordéon emblématique de ces deux groupes. Mais bon dans l’idée, c’est ça. Car les textes occupent une place importante chez La Chose ; c’est engagé, conscient, incisif et c’est surtout très bien écrit.
Voilà pour la présentation musicale.
Bon et maintenant en ce qui concerne la composition du crew, ça reste très simple, puisqu’ils ne sont que deux : Fèf au chant et aux machines et Fred à la guitare et à la basse.
La Chose se forme en 2007 à Millau et sort un EP en 2008 puis un album Pour faire tomber vos murs en 2011. Dès lors, ils enchaînent les tournées, écument les festivals et font les premières parties d’artistes aussi divers et talentueux que La Ruda Salska, Les Ogres de Barback, Beat Assaillant et autres Dub Pistols.
Le petit dernier est arrivé il y a quelques jours, le 29 janvier chez Flower Coast Records et Keyzit. Il s’agit d’un EP de six titres que les deux compères ont baptisé Vida Loca, la "vie folle". Ainsi, c’est à prendre comme vous voulez : un "mad world", le capitalisme fou que La Chose vilipende à couteaux tirés ; ou la "vida loca", la vie d’artiste nomade, sans contrainte, porté au gré des vents.
Alors pourquoi, me direz-vous, faire du hors-sujet, à savoir chroniquer un disque qui, a priori, n’a pas sa place sur La Grosse Radio Reggae?
Hé bien si, rassurez-vous chers amis adeptes du skank ! Du reggae, il y en a sur ce Vida Loca et même du très bon reggae. Et La Chose nous a aussi gratifiés d’une piste dub.
Mais nous y reviendrons plus tard.
La Chose reste en effet un collectif dont la structure repose sur un socle hip-hop : beat syncopé, chant scandé, scratchs, samples, etc…
Mais on sent une nette évolution par rapport à leur précédent album. Si ce dernier possédait des influences certaines swing, jazzy, il en va différemment de Vida Loca, à part peut-être le titre éponyme "Vida Loca" qui, par son sample de charleston et ses cuivres lancinants conserve quelques notes jazz. Les textes, acerbes, sont, ainsi que je le signalais plus haut, empreints de rigueur poétique : ça frappe fort et juste chez La Chose. Petite démonstration : "Finies les soirées affalé sur le canapé affolé à mater des idiots décérébrés venus squatter la télé. Au feu le capitalisme, ses lois et sa logique, ses pratiques, ses valeurs en plastique". Avant d’entonner l’hymne de cet opus : "Fini le train-train et les petits tracas, à moi la baraka et la vida loca".
Les autres morceaux hip-hop sonnent plus électriques que "Vida Loca". Les titres, déjà, annoncent la couleur : "En guerre" et "Comme un pavé dans la mare" sont, par conséquent, plus rugueux que "Vida Loca". Le riff rock de "En guerre" renforce cette hypothèse, d’autant plus que les lyrics sont poignants mais tout de même lucides et réalistes : "En guerre contre le système et donc contre moi-même. Tous les jours, il me nourrit, tous les jours, il coule dans mes veines".
"Comme un pavé dans la mare" retentit comme un titre du Peuple de l’Herbe, principalement via les cuivres, mais aussi par la guitare rock, reflet des dernières influences du crew lyonnais. Le morceau penche également du côté de la jungle et du dubstep.
Je vous laisse apprécier l’excellent clip.
Bon, passons maintenant aux tunes reggae. "A ma façon" reste un reggae assez classique qui finit par une plage dub avant de s’orienter vers le dubstep. En ce qui concerne les textes, La Chose reprend l’éternel thème de l’artiste qui choisit le combat pacifiste en lieu et place de la lutte armée : "Je me bats à ma façon, l’encre et la plume ont remplacé la poudre et le canon. J’ai vidé le stylo visant la cause de mon courroux, craché des litres et des litres de mots pour les mettre à genoux". Je vous l’avais dit que c’était très bien écrit !
Finissons sur "Faut pas lâcher l’affaire", morceau très efficace à la ligne de basse soporifique et au sample de flûte, somme toute assez courant dans le hip-hop. La deuxième moitié du titre est entièrement instrumentale, un dub qui annonce "Faut pas lâcher le dub", dont vous pouvez découvrir le mix en live par Fabwise.
Influences diverses donc pour La Chose qui a su avec cet EP renouveler son approche musicale et faire évoluer un son qui lui est propre et qui s’inscrit également dans la grande tradition de la chanson française à textes.
TRACKLIST
1. Vida Loca
2. A ma façon
3. En guerre
4. Faut pas lâcher l’affaire
5. Comme un pavé dans la mare
6. Faut pas lâcher le dub