Après la réédition progressive de sept de ses albums par Wagram, Alpha Blondy lançait le 4 avril dernier une nouvelle bouteille dans les eaux tumultueuses de la vibz reggae : Vision.
Avec ces titres aux allures prophètiques, et alors que la politique Ivoirienne s'enlise, l'enfant de Dimbokro ressort les instruments de la réconciliation, à coup de paraboles et roots-rock-reggae !
En effet, l'ambassadeur de la paix, souffle encore et toujours un vent propre à réveiller les consciences, s'attaquant aux affres socio-économiques qu'impose la Babylone de nos temps.
Et ce sont ses frères d armes, les jamaïcains Earl Walker et Clinton Fearon (The Gladiators), ainsi que le chanteur sénégalais Ismaël Lô, qui l'accompagnent dans sa croisière musicale.
A noter également la technicité de Tyron Downie et Dennis Bowell, qui se cachent à nouveau derrière ces sons, plus raffinés que d'aventure.
Musicalement riche, métissage de tradition africaine et de modernité (notamment un zeste de guitare rock), l'album dépasse la simple plaidoirie, offrant une écoute riche et généreuse.
La palette instrumentale s'étale de la kora à l'harmonica, au fil des 13 titres (en majorité francophones), la voix quant à elle semble plus épurée que celle des albums originels.
Ouvrant par "Rasta Bourgeois", morceau qui malgré son titre est chanté en anglais, le pape du reggae africain ébranle le cliché du bon sauvage, négrillon pauvre et illettré que glorifie habituellement l'imaginaire collectif et populaire ...
"Poverty ain't no fashion
Poverty is not a profession
Poverty is a social crime !"
Avec "Stewball", reprise d’Hugues Aufrey contant les mésaventures d'un étalon blanc, Alpha Blondy nous arrache quelques larmes sur ce titre magnifique qui semble avoir été créé pour sa voix. D'autres y verront une symbolique plus recherchée, à l'antithèse du mythe initial (Stewbald le canasson irlandais remportant la course à la barbe des nobles pur sang, parabole de la victoire du prolétaire face aux élites). Quelle que soit son interprétation ce morceau est un des points forts de l'album.
Alpha Blondy s'attaque ensuite, un brin désabusé, aux "politichiens", faux amis et autres renégats de l'impérialisme néocolonial. Usant d'expressions communes telles que "Trop bon trop con" ("Trop bon"), "Parle à mon cul ma tête est malade" ("Ma Tête"),
"mieux vaut être seul que mal accompagné" ("Ces soi-disant amis"), il fustige les suscités et évacue amertume et déceptions.
Apres avoir soutenu Gbagbo, puis rallié l'opinion générale, le reggaeman tente peut être ainsi de prendre du recul et de réaffirmer sa position de libre penseur...
Ecrit en Afrique du Sud, "Vuvuzela" est la seule déception de l'album (si l'on oublie les distorsions vocales de "C'est Magic"). Malgré un message crucial (prévention du sida), le titre frôle avec la 'danse' pour kermesses, Alpha Blondy ânonnant des paroles ridicules telles "couvre ton vuvuzela pour faire waka waka".
Une hérésie pour les fans, qui croiront entendre le nouvel opus de saga africa !
Le joyeux et cuivré "Pinto (Mon Kôyaga Préféré)", la douce mélopée "Bôgô", le dansant "Massaya", sont tous trois chantés en Diaulou, et cette trinité festive, bien qu'indéchiffrable pour le néophyte, recèle une musicalité qui bercera l'oreille de l'auditeur comme autant de langue adamique Anté-Babélienne.
Le fou de dieu parachève par « L’autre rive », une messe roots qu’enchantent chœurs, harpe et flûtes : malgré les désillusions, Alpha Blondy garde la foi et donc l'espoir !
On retiendra donc de cet album aux 13 titres (chiffre biblique par excellence : 'Les gens de Sodome étaient méchants, et de grands pécheurs contre l'Éternel.' (Genèse 13/13)), pose une nouvelle pierre à l'édifice d'Alpha Blondy et de son Solar System, véhiculant son noble message de la plus exquise des manières .
Pour approfondir :
Alpha Blondy : Un combat pour la liberté de Dramane Cissé et Antoinette Delafin
YesMan