Tours a encore frappé ! On affirmait en introduction de la chronique de l'album de Big Red, Vapor, que cette ville comprenait ce qui se faisait de mieux aujourd'hui en France en matière de reggae. Ce Blue Lotus vient confirmer nos dires.
Résultant de la rencontre entre deux entités tourangelles, Ondubground, et plus précisément Art-X, et SoulNurse Records, cet EP témoigne donc de la qualité de la production musicale à Tours.
Blue Lotus est sorti le 6 juin dernier chez ODG Prod, le fameux net label qu'on ne vous présente plus et qui a déjà collaboré avec tout le monde ou presque.
Et en amont, on retrouve SoulNurse, la structure (à la fois studio d'enregistrement et maison de disques) fondée par Gabriel Bouillon, guitariste des Ligerians. Vous connaissez tous, bien sûr, les albums de ce groupe, qu'il s'agisse de ceux avec Rod Anton (Reasonin' et Wevolution) ou de celui avec Joe Pilgrim (Intuitions).
Cependant, j'aimerais évoquer une autre réalisation issue du studio SoulNurse, à savoir le remix de "Natty Rebel" des Gladiators lui-même basé sur le "Soul Rebel" riddim des Wailers, dont on vous avait déjà parlé ici. En effet, cette track préparait le terrain, en quelque sorte, à ce Blue Lotus, puisqu'elle était déjà parue chez ODG Prod et qu'était également présent Art-X sur l'une des nombreuses versions du titre pour un somptueux mix au mélodica.
Maintenant, c'est pour un EP complet que Art-X et SoulNurse se sont plus à travailler ensemble pour aboutir à un projet roots et groovy. Blue Lotus ou lorsque le son posé et hypnotique des Ligerians s'associe au mélodica transcendantal et spirituel d'Art-X.
Car si les personnages du célèbre album de Tintin Le Lotus Bleu se rendaient dans la fumerie d'opium du même nom à Shangaï pour s'échapper de leur condition de simples mortels, nul besoin de substances psychotropes avec ce Blue Lotus : la musique suffit amplement à emporter notre âme vers des contrées moins matérielles.
Outre le nom de l'oeuvre, c'est la pochette, réalisée par Dizziness Design, dont la couleur est à dominante bleue (logique, me direz-vous), qui se réfère grandement à l'esthétique du Japon (dragon, geishas, lotus, soleil, la vague de Hokusai, dieu du vent qui symbolise le mélodica,...). Quant au long cou, il représente d'après Dizziness Design celui "des personnages qui auraient été maudits pour leurs mauvaises actions et dont le cou s'allonge la nuit dans leur nouvelle vie". On retrouve d'ailleurs ce même aspect dans le clip de "Skank in the air" par Chinese Man.
Une fois dit cela, vous penseriez peut-être que, musicalement, ce Blue Lotus s'inspire de sonorités orientales ? Que nenni !! Il s'inscrit dans la plus pure tradition du reggae jamaïcain, ainsi que l'en atteste ODG Prod : "Blue Lotus et ses quatre titres s’improvisent en hymne au roots reggae des 70's".
Les influences sont effectivement nombreuses ici. On citera bien évidemment la filiation naturelle avec Augustus Pablo, des allusions plus ou moins explicites à des one riddim et des styles différents, du roots au rockers.
Ainsi, même si cet EP est étiqueté ODG Prod, les compositions portent néanmoins la patte SoulNurse, la touche Ligerians et cela se ressent durant toute l'écoute de l'opus. Ne restait plus qu'à Art-X de venir se poser avec son mélodica sur les instrus de Gabriel Bouillon. Autant dire que cela entre en contradiction avec son album Toy Story, dans lequel il évoluait aux côtés d'artistes plus "électros" : Panda Dub, Miniman, Manudigital...
Et pourtant, ce sont des cuivres que l'on entend dès le titre d'ouverture "City's too ruff" qui rappellent légèrement le "Rockfort Rock" riddim avant que Art-X ne surgisse avec son instrument de prédilection. D'emblée, les fondations sur lesquelles reposent ce Blue Lotus sont posées: ligne de basse intense, percus, mélodica capable de grandes envolées, etc...
Pourtant la seconde piste vient perturber cette unité, mais de manière positive, j'entends bien. En effet, si la structure rythmique des morceaux est majoritairement orientée one drop sur cet EP, c'est tout l'inverse qui se produit sur "Hong King Kong". Ainsi, la batterie évoque plus ici Sly Dunbar que Carlton Barrett et, par conséquent, le mélodica s'aligne dessus pour offrir une tune dancefloor et enjouée.
On revient à un reggae plus calme sur les deux derniers titres, à un son plus "ligérien", des mélodies plus apaisées. Mais attention, qu'on ne se méprenne pas : la basse est toujours aussi lourde et hypnotique. D'autant plus que quelques petits solos de guitare à la manière des meilleures instrus des Ligerians ne sont pas pour nous déplaire, surtout sur "Bank, no money".
"Human", symbiose entre le "Cassava piece" d'Augustus Pablo et une mélodie très "Smooth but revolutionary", conclut brillamment ce Blue Lotus.
On aurait peut-être espéré quelques featurings vocaux, mais là n'est pas la question, car la musique se suffit amplement à elle-même ici. Une oeuvre purement instrumentale, donc, qui s'appuie sur des compositions rigoureuses et une teinte mystique et spirituelle.
TRACKLIST
1. City's too ruff
2. Hong King Kong
3. Bank, no money
4. Human