Interview de Sir Jean & NMB Afrobeat Experience

Juste après leur concert au No Logo Festival (live report ici), nous sommes allés à la rencontre de Sir Jean & NMB Afrobeat Experience.

Faisant partie de ces artistes extérieurs au reggae programmés à Fraisans, leur parcours (en particulier celui de Sir Jean) et leur vision de la musique n'est cependant pas si éloignée que cela du genre popularisé par Bob Marley.

Yann, saxophoniste baryton, et Sir Jean nous parlent de la genèse et de l'aventure du groupe, de l'album Permanent War sorti en début d'année et du travail réalisé en amont pour préparer leur set.

Bonjour Sir Jean & NMB Afrobeat Experience, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Pouvez-vous vous présenter ?

Sir Jean : Sir Jean, vocal.

Yann : Yann, sax baryton.

Sir Jean, après avoir joué aux côtés de Meï Teï Sho, du Peuple de l'Herbe ou encore de Zenzile, est-ce que cette expérience afrobeat reflète un aboutissement musical, un projet qui te correspondait vraiment ?

Sir Jean : Non, ce n'était rien de calculé en soi. Je n'ai jamais rêvé d'ailleurs qu'un jour je pourrais faire un album entier d'afrobeat (rires). Je suis fan de Fela Kuti depuis que je suis gamin. C'est une opportunité, les gars m'ont proposé de participer à leur avant-dernier album, Democrazy. J'ai fait un morceau avec eux qui s'appelle "Collective madness" et, par la force des choses, j'ai dû remplacer Kady Diarra, la chanteuse qui tournait avec eux. Il y a quelque chose qui s'est passé entre nous. Au départ, j'avais dit non pour travailler avec eux, mais maintenant, chaque jour qui passe, je me dis que j'ai bien fait d'accepter. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. C'est un grand plaisir d'avoir réalisé cet album d'afrobeat.

Yann : Et le souci qu'on a eu avec le remplacement de Kady par Sir Jean, c'est que ça ne fonctionnait pas toujours. Pour remédier à cela, il a donc fallu faire un album, d'où Permanent War.

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Vous êtes programmés dans un festival à dominante reggae, or vous êtes un groupe d'afrobeat. Cependant, peut-on établir des ponts entre ces deux genres quant au message politique et aux liens avec l'Afrique ?

Sir Jean : Absolument. Le lien est évident. Fela a fait de toute sa vie un combat et à la même époque, le reggae se battait pour des causes identiques. Il y a toujours cette revendication qui est présente dans l'afrobeat aujourd'hui, mais nous ne sommes pas des porte-drapeaux, on ne représente personne. On vit en France en 2016 et on essaye juste de décrire la vie autour de nous et de dire aux gens : "Voilà comment on voit ce monde-là, est-ce qu'on peut en parler, qu'est-ce que, vous, vous en pensez". On reste donc dans cette continuité.

Yann : Finalement, c'est une même famille. Cette dichotomie qui existe entre l'aspect festif et un versant plus revendicatif, politique permet de penser à la fois le corps mais aussi l'esprit. Tout le monde danse sur "Get up, stand up". Le reggae, le funk, l'afrobeat, la salsa appartiennent à la même famille.

Sir Jean : On remarque aussi cette caractéristique à travers le parcours des artistes. Fela a voyagé, il a vécu en Angleterre où il s'est lié avec d'autres musiciens. Il est également allé aux Etats-Unis alors que les Noirs se battaient pour les droits civiques. Là-bas, il a rencontré les Black Panthers, il a découvert les discours de Malcolm X. Bob Marley a aussi parcouru le monde, à Londres il est tombé sur les punks qui étaient également des gens mis de côté par la société et qui revendiquaient la même chose sur des chansons plus hargneuses. La musique est un excellent vecteur pour pouvoir faire passer un message : toucher les corps, faire danser les gens, tout en faisant réfléchir la tête. C'est ce qu'on essaye de faire à chaque fois qu'on monte sur scène.

Nous venons juste d'assister à votre concert. Quelques impressions à chaud ?

Yann : Chaud oui, c'est bien le mot ! Un cagnard absolument incroyable ! La section cuivre, on a tous fait un mini-malaise durant le concert !! (rires) Je ne sais pas quelle température on a reçu dans le crâne, c'était énorme !! Mais le public était fantastique aussi. On sort du merch, les gens ont adoré. On est très heureux, puisque c'est une musique qui est faite pour être partagée, je le répète, le corps et l'esprit. Physiquement, c'était dur, soyons clairs, mais c'était superbe !!

Sir Jean : Je croyais que le Sahel, c'était au sud de Marseille (rires). Plus que la chaleur du soleil, c'est la chaleur des gens qu'il faut retenir. On vient de signer une tonne d'affiches pour des gamins qui te confient que ce que tu véhicules est très beau. Cela nous donne de l'espoir pour demain, car on vit quand même dans un monde un peu fou, dans une "Collective madness". Très contents d'avoir été programmés au No Logo. Comme tu le disais à l'instant, c'est un festival à dominante reggae, on remercie donc les organisateurs pour leur ouverture d'esprit. Cela nous a permis, même si c'est à une heure assez tôt, d'être découverts par environ mille personnes. C'est vraiment cool. J'ai tendance à dire qu'il n'existe pas de barrières entre les musiques ; si, lorsque tu montes sur scène, ce que tu produis est bon et que tu arrives à motiver le public, tu as déjà tout gagné, qu'il s'agisse de reggae, de ska, de rocksteady, d'afrobeat, de funk, etc. James Brown est un héros, Bob Marley c'en est un, Fela de même. Tous ces mecs m'ont fait danser et hurler. Inner Circle est en train de jouer en ce moment même, l'époque de Jacob Miller est ma préférée dans le reggae. No barrier !!

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Votre show est très chorégraphié. Tout cela a t-il été pensé et préparé en amont ?

Yann : Oui, bien sûr. En fait, il s'agit d'un travail de résidence. On a été accompagné par un artiste de danse contemporaine, qui fait beaucoup de performances et qui est mon frère.

Sir Jean : Ah, je me demandais quand il allait le dire !! (rires)

Yann : Il nous a laissés travailler sans nous diriger, on a simplement été orientés et les choses se sont mis en place naturellement. On a de très bons retours du public de ce spectacle, et cela nous fait plaisir. La musique live, c'est aussi un spectacle, on n'est pas que des disques ; nous sommes faits de chair et d'os. Mais on essaye de ne pas tricher non plus. J'espère que c'était tout sauf Beyoncé ce qu'on a proposé tout à l'heure (rires).

Sir Jean : En vingt-cinq ans de carrière en France, c'est la première fois que je travaille en spectacle, en résidence avec quelqu'un qui nous guide. C'est vrai que ça peut être compliqué pour des gens comme nous qui avons nos habitudes, mais le chorégraphe a su regarder ça globalement que ce soit pour les costumes, les masques, etc. Maintenant, on fait le show avec ce qu'il nous a donné, on prend cela comme des boîtes à outils tout en y imbriquant notre musique et notre jeu avec les instruments.

Permanent war s'ouvre avec le morceau éponyme et se conclut avec "Hope", deux titres antagonistes. Etait-ce volontaire ?

Sir Jean : Oui, on y a réfléchi quelque part. C'était une volonté pour tout le monde de se pencher sur ce concept de guerre permanente qui a été théorisé en fait dès le XIXème siècle et qui revient de manière assez récurrente. En effet, les problèmes internationaux se règlent toujours à coups de drones et de bombes et de ce fait, notre rêve de vie en commun n'arrive jamais à se matérialiser. Mais, parallèlement, on ne voulait pas non plus s'arrêter là-dessus, puisque c'est tout de même lourd de symbole d'appeler un album Permanent War, tu diriges les gens vers une vision du monde très sanglante. C'est pourquoi, quelques morceaux tels que "Nice day for a new start" prennent le contre-pied de cette observation. Et finir avec un titre comme "Hope" cela nous permet de dire au public qu'il y a quand même de l'espoir dans tout ce climat délétère, c'est juste à nous de nous battre, de ne pas abandonner et de ne pas nous laisser aller dans le pessimisme et dans la lourdeur ambiante dans laquelle on vit.

Yann : Je voudrais également parler de "One for all" où l'on dit : "We've got to learn to live together". Je trouve cela très beau et c'est l'une des phrases fortes de cet album. Donc bien évidemment, l'espérance est le maître mot.

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"Hope" est uniquement instrumental. Est-ce justement à chacun de se représenter sa propre conception de l'espoir ?

Yann : J'invite les écrivains en herbe à nous envoyer leurs textes et on fera une version, ce sera avec plaisir.

Sir Jean : En fait, c'est difficile d'arriver sur scène avec ta vision du monde et de pouvoir la partager avec les gens. C'est sûr que si tu as une discussion sur ce sujet-là, tu auras autant de définitions de l'espoir que de gens avec qui tu échanges. Donc, envoyez vos textes, on attend !!

Très bien, on transmettra le message. Quant à "Hunted", sur scène, il est orienté hip-hop concernant le flow de Sir Jean...

Yann : Ça revient à ce qu'on disait tout à l'heure. Nous ne sommes pas du tout dans le cloisonnement. NMB a fait quatre projets musicaux différents sans s'inscrire dans une démarche très fermée artistiquement à chaque fois. A propos de "Hunted", en effet, c'est un flow hip-hop, mais on peut également rappeler qu'il est construit sur des modes éthiopiens et que les percus sont cubaines. Si l'on veut donc justement apprendre à vivre tous ensemble, c'est peut-être par le métissage que ça doit se passer. Tiens, je vais envoyer un texte pour "Hope" (rires). Toi, tu vas entendre du hip-hop, pendant que d'autres diront qu'ils ont écouté un morceau éthiopien ; en fait, il s'agit juste de musique et c'est sûrement à cela qu'ont pensé les programmateurs du No Logo en nous faisant jouer dans ce festival à 95% reggae.

Sir Jean : Tu l'as rappelé en commençant ton interview, j'ai beaucoup navigué entre des groupes différents. Je ne me suis jamais limité à un style de musique. Je viens du Sénégal et le premier groupe avec lequel je jouais, on a fait du mbalakh, du zouk. Je kiffe le reggae, je kiffe le hip-hop. La musique est une façon de s'exprimer. Est-ce que les Last Poets faisaient du hip-hop avant l'heure ? Il y a plein de questions qu'on peut se poser. Quand j'écoute les Bad Brains, c'est juste un truc de fou !! Tu pleures quand ils te posent un morceau reggae. C'est cela qui me plaît dans la musique. Aujourd'hui, les NMB composent de l'afrobeat, mais auparavant ils ont produit du hip-hop, du new orleans. Et peut-être que l'année prochaine, je viendrai au No Logo avec mon projet reggae que je suis en train de développer actuellement. Finalement, ce que je recherche, c'est que le public me dise qu'il a passé un bon moment, peu importe le style. Comme le disait Yann tout à l'heure, on n'a pas envie de tricher, c'est pourquoi, tout ce qu'on crée, on le réalise avec l'amour de la musique. De plus, il faut en écouter des choses avant de pouvoir les restituer ; au Sénégal, c'est ce que je faisais, aujourd'hui je suis dans un groupe d'afrobeat avec des Européens, je n'aurais jamais pensé ça !! (rires)

Yann : Et même pire, avec des Auvergnats !! (rires)

Sir Jean : Oui, ces gars-là m'étonnent vraiment ! (rires). Plus sérieusement, c'est juste le plaisir de partager.

Tony Allen était batteur, Fela était saxophoniste, Sir Jean, quel est ton instrument de prédilection, à part la voix ?

Sir Jean : Je n'en ai pas. J'aime bien taquiner la guitare par moments, car elle permet de chanter, avec le saxo c'est impossible (je suis un peu trop bavard pour jouer du saxo). En fait, je suis tombé dans la musique par accident et hormis ce projet reggae sur lequel je me concentre et qui me tient vraiment à cœur, je n'ai jamais réfléchi à ce que je faisais dans la musique. Parfois, je me dis que depuis tout ce temps, j'aurais pu apprendre à jouer d'un instrument. J'ai commencé au Sénégal, et là-bas, les instruments, ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile. Comme j'ai une bouche et que j'aime bien m'exprimer, la voix est mon instrument fétiche. C'est par elle que je me sens vraiment entier. Au commencement était le Verbe.

Sir Jean, où en est ton expérience acoustique avec Jo Cocco ?

Sir Jean : Pas d'actualité en ce moment pour Real Acoustic Sound. Jo a sorti récemment un album, Acoustic Time, qui est la suite de ce projet sur lequel on a tourné un an. Musicalement, Jo est un frère pour moi, c'est quelqu'un avec qui j'ai partagé des choses très fortes.

Et le projet reggae que tu évoquais à l'instant, peux-tu en dire un peu plus ?

Sir Jean : A la base, c'est la raison pour laquelle je ne pouvais pas travailler avec NMB. Après avoir arrêté de tourner avec Le Peuple de L'Herbe, j'ai passé trois ans sans rien faire pour me concentrer sur ce projet. Et il y a dix ans, j'ai enregistré un album reggae mais que je n'ai pas sorti. Ça me trotte dans la tête puisque le reggae reste quand même ma musique de prédilection ; si un jour tu me croises dans la rue avec un casque, tu peux être sûr ,qu'à l'instar du No Logo, à 95% ce sera du reggae que j'écouterai, sauf en ce moment car je révise les morceaux de NMB (rires).
Depuis quelques temps, je tourne avec le Conquering Sound et d'ailleurs une mixtape va sortir [disponible depuis peu ici, NDLR].
Finalement, il n'y a pas encore grand-chose à dire dessus, mais je vais sûrement sortir un EP. Donc restez à l'écoute, on vous balancera un single par-ci, un clip par-là.

Quelques réactions sur le No Logo ?

Sir Jean : Tout est dit dans le nom. De plus, en très peu de temps, il est devenu l'un des festivals majeurs de reggae en France. Je leur souhaite longue vie et bonne continuation.

Yann : C'est encore la preuve de cette puissance collective. J'ai l'impression que tout le monde l'attend et le No Logo en est un exemple fantastique. C'est : "Vous êtes le festival", je trouve cela remarquable. Bravo les mecs !!

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Sir Jean : Respect ! Vous faites votre boulot avec la démarche d'aller creuser, chercher, faire découvrir des groupes. C'est peut-être cloisonné entre les différents canaux, mais finalement pas tant que ça, puisque selon ton humeur tu peux écouter du rock, du métal ou du reggae. Je n'ai jamais rencontré Zopelartisto, mais j'aimerais bien que cela se fasse. Je voudrais enfin souligner qu'avec mon épouse, Alpha Petulay, on a été diffusé sur La Grosse Radio Reggae grâce à l'antenne interactive. Merci et BIG UP pour tout ce que vous faites !!

Yann : Et je remercie La Grosse Radio d'avoir été le premier média à avoir parlé de Permanent War. Bravo les gars et merci !!

BIG UP à vous aussi Sir Jean & NMB Afrobeat Experience. Merci de nous avoir accordé cette interview.

Crédit photos : Frédo Mat



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