Au No Logo Festival (live report ici), le samedi, nous nous entretenions avec le producteur dub Iron Dubz, qui nous venait non loin de Genève. La scène dub rhône-alpine étant très riche, le dimanche, troisième et dernier jour de festival, c'est donc le collectif lyonnais Dub Addict Sound System qui a accepté de répondre aux questions de La Grosse Radio.
Cependant, ce n'était pas sur sa propre sono que le collectif se produisait au No Logo, mais sur celle de Rootikal Vibes. Et avant de faire vibrer le sol de Fraisans au rythme de grosses basses, les producteurs Pilah et Anti Bypass ainsi que le MC Joe Pilgrim ont évoqué les débuts du crew, les spécificités du sound system à la française et les particularités de chacun au sein de cette formation très hétéroclite qu'est Dub Addict.
Bonjour Dub Addict, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Pouvez-vous vous présenter ?
Anti Bypass : L'aventure a commencé en 2002 après qu'à la fin des années quatre-vingt-dix, on a vu quelques sounds anglais tels que Aba Shanti ou Jah Shaka à Lyon. On ne connaissait pas trop cette culture-là et on a pris une grosse baffe. On a donc décidé de monter notre propre sound system. Pilah et 19Dub ont construit les premières boîtes et très vite les autres se sont greffés à l'histoire.
Dub Addict, c'est donc trois producteurs qui composent leur propre musique et qui la mixent en direct, un sélecteur et un chanteur.
Joe Pilgrim : Il y a en effet trois producteurs (Pilah, Anti Bypass et Roots Massacre), un sélecteur (19Dub) et moi en tant que chanteur. De temps en temps, quelques invités nous rejoignent. Par exemple, Pilah a sorti l'année dernière un album, The Good, the Bad and the Addict, avec Ivan-Jah. On fait beaucoup de productions vinyles et quelques albums paraissent épisodiquement. Chaque producteur a un style particulier. Anti Bypass et Roots Massacre sont les plus roots et jouent leur son en live, tout est préenregistré sur les multipistes. Ils élaborent eux-mêmes leurs instrus. Pilah, quant à lui, est plus hybride dans sa façon d'aborder la production : il a une texture plus digitale avec des guitares organiques, sachant qu'il est le guitariste de Kaly Live Dub. Pour finir, 19Dub, Demolition Dub comme on l'appelle parfois, oscille entre le digital, le roots et le stepper.
Les sound systems dub explosent aujourd'hui en France. Vous faites cependant partie des pionniers de cette scène. Pouvez-vous rappeler le contexte de votre émergence (aspects créatif et technique, voire logistique) à une époque où elle était quasi inexistante ?
Pilah : A la base, notre idée était vraiment de ne pas reproduire le modèle que l'on avait vu afin d'avoir notre propre touche, d'être original. On a donc décidé de procéder à du live multipistes sur un système traditionnel de reggae en faisant du mix à la King Tubby dessus et pas uniquement pratiquer du cut ou de la sélection, même si cela peut nous arriver parfois.
Au niveau logistique, au début, tu fais avec des bouts de ficelle, et puis ça se développe. Tu passes ton salaire de misère dans des boîtes en carton pas terribles, ensuite tu fais des dates, tu rentres un peu d'argent et c'est là que tu peux commencer à grossir. C'est un travail de longue haleine la sono artisanale.
Vous êtes originaires de Lyon, ville réputée pour sa scène dub live. Aviez-vous la volonté, à travers le sound system, de revenir aux fondations du genre ?
Pilah : C'est vrai qu'on avait quand même l'idée de faire autre chose que ce qu'on pouvait pratiquer avec les groupes lyonnais (qui étaient très influencés par l'électro), à savoir revenir à quelque chose de mystique, sans même parler de religion. Simplement la vibration profonde du reggae.
Anti Bypass : Dans les années quatre-vingt dix, on retrouvait deux ambiances sur Lyon qui nous ont beaucoup inspirés : les concerts de la scène dub (High Tone, Kaly Live Dub,...) et les free parties. Et par conséquent, en tant que teufers qui écoutions déjà beaucoup de reggae, on était en contact avec le fait de poser des enceintes dans un endroit et de se balader avec un système de son. Les deux aspects sont donc intimement liés.
Qu'est-ce qui différencie, selon vous, la scène emblématique anglaise du sound system à la française ?
Joe Pilgrim : En France, il y a une façon de groover qui est différente. Comme le soulignait Anti Bypass, la teneur techno est très présente dans ce qu'on entend. En Angleterre, la basse est beaucoup plus chaloupée, même chez Vibronics on retrouve cette empreinte jamaïcaine. Pourtant, les Anglais n'ont pas peur d'aller dans le côté puritain traditionnel rasta et de mêler ça à d'autres influences, alors qu'en France, il existe déjà plus de clivages ; soit c'est très rasta, soit c'est plus ouvert d'esprit.
Pilah : La différence est également culturelle. Depuis peu, il y a quelques Jamaïcains en France, contrairement à l'Angleterre où on retrouve une très forte communauté jamaïcaine qui s'est installée plusieurs décennies plus tôt.
Joe Pilgrim : En effet, l'immigration jamaïcaine a clairement influencé la musique anglaise dans sa façon d'appréhender le reggae et le dub, chose que l'on n'a pas connue en France. Il n'existe pas de communauté rasta ou jamaïcaine en tant que telle. Finalement, on observe deux versants de la même musique.
Ressentez-vous justement un certain brassage en ce qui concerne le public de vos sessions ?
Pilah : En fait, aujourd'hui, les soirées dub remplacent la free party. Auparavant, il y avait des teufs en permanence, maintenant c'est de temps en temps. Les sound systems dub servent en quelque sorte de palliatif. Du coup, tu as des gens qui viennent de l'électro, parce que tu retrouves des grosses basses.
Anti Bypass : Il y a aussi toute une jeune génération qui découvre le reggae mais de manière inversée, c'est-à-dire en commençant par le stepper. Ce public, qui recherche une sensation, va voir OBF par exemple qui a un son très violent, très technoïde. Ainsi, il existe deux publics : l'un, qui reste attaché aux sound systems roots où l'on passe uniquement du vinyle et l'autre, plus jeune, qui recherche avant tout du stepper. Mais les deux peuvent se recouper.
Vous avez tous plus ou moins des projets parallèles. Pouvez-vous nous en parler ?
Anti Bypass : Pour ma part, depuis une dizaine d'années, je me suis mis à l'électronique, créer et fabriquer mes propres machines destinées à la production dub. Je suis en train d'explorer et de me mettre à fond dans cette activité. Pour l'instant, il s'agit de prototypage, ce ne sont que mes amis et moi-même qui possédons mes machines.
Pilah : En ce qui me concerne, avec Kaly Live Dub, on fait une petite pause en ce moment. Sinon, avec Joe Pilgrim,on prépare un projet Joe Pilgrim & The Ligerians meets Pilah, une création spécifique pour le Télérama Dub Festival. De plus, avec d'autres producteurs, on a monté un concept de live multipistes, Dub Master Clash.
Joe Pilgrim : La pluralité des influences au sein du crew permet de renforcer ce qu'on envoie par le sound system. Roots Massacre est également très engagé dans la production studio, il perfectionne ses techniques de jeu, du fait qu'il enregistre lui-même ses batteries et tous les autres instruments. Il travaille en ce moment avec un chanteur, Nai-Jah. Les producteurs de Dub Addict ont une vision assez proche de celles des pères fondateurs du dub jamaïcain. Cela permet de creuser, de chercher, d'ouvrir de nouvelles portes tout en gardant une certaine mystique.
Un petit mot pour le No Logo ?
Joe Pilgrim : BIG UP le No Logo !! Ça fait vraiment plaisir d'être là !! Ça fait longtemps qu'on en entend parler, on avait très envie d'y venir. De plus, on est très contents d'être accueillis sur la sono des Rootikal Vibes pour diffuser les good vibes du dub et du reggae music !!
BIG UP à vous aussi les Dub Addict. Merci de nous avoir accordé cette interview.
Crédit photos : Frédo Mat