Attention, prenez bien votre inspiration avant de prononcer le nom de ce groupe : Giant Panda Guerilla Dub Squad. Ainsi, pour plus de commodité, à la fois parce que je ne veux pas vous infliger ce supplice de lecture et aussi parce que je n'ai aucunement envie de réécrire en entier un nom que j'utiliserai plusieurs fois dans l'article, je me bornerai à employer l'acronyme, à savoir GPGDS. De toute façon, c'est "swag" et "hype" de tout abréger, symbole de cette société twitterisée et hashtagisée : "T'as té-ma le clip de PNL, "J'suis QLF" ? C'est encore en mode oklm. La mif RPZ !! Omg, ils sont DLL avec leur disque de platine !! Je te laisse, y'a #lesGG avec un clash entre NKM et DSK askip, mdr !!"
Tout d'abord, deux observations concernant cette appellation légèrement cocasse. La première, c'est que GPGDS fait partie de ces dénominations interminables dont d'autres groupes se parent, que l'on pense à Tokyo Ska Paradise Orchestra, à New York Ska Jazz Ensemble, à Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, euh non, ça ce n'est pas un groupe...
Deuxièmement, GPGDS compte parmi ces artistes qui inscrivent le mot dub dans leur nom, alors qu'ils n'en font pas ou bien de manière très sporadique, comme Gentleman's Dub Club, Dub Trio, Dub War, Dub Pistols, Dub Inc, Long Beach Dub Allstars... Qu'à cela ne tienne, ne soyons pas sectaires, la musique est et demeure universelle. Et au fond, peu importe, les groupes choisissent le nom qu'ils veulent, nan mais !!
D'autant plus que GPGDS a sorti quelques albums de...folk et de country, dont l'excellent Bright Days et le très justement nommé Country. "Quoi, nan mais c'est n'importe quoi, c'est quoi alors ce groupe, au juste ? Ils font du reggae, du dub ou de la country ? Manquerait plus qu'ils nous annoncent qu'ils jouent du funk !!" Hé hé, c'est le cas...
Ah oui, j'ai oublié de le signaler, GPGDS est originaire de Rochester dans l'Etat de New York, et donc non loin de la ville du même nom qui a vu émerger des artistes aussi talentueux qu'éclectiques qui ont secoué les codes musicaux, que l'on pense au Velvet Underground, à Sonic Youth ou aux Beastie Boys. La démarche est peut-être moins radicale chez GPGDS mais elle participe tout de même de cet esprit d'ouverture. En effet, GPGDS se contrefiche des étiquettes, ne se prend pas du tout au sérieux et il faut y voir là la cause du choix d'un nom aussi ubuesque.
Plus globalement, GPGDS se situe dans cette grande vague de reggae américain qui a émergé il y a environ quinze ans et portée par Groundation. L'impact de cette scène n'est pas négligeable tant elle a permis de faire évoluer le reggae music : Groundation l'a mixé au jazz, SOJA mais aussi d'une manière générale une bonne partie des Californiens (Rebelution, Long Beach Dub Allstars, Tribal Seeds...) y ont incorporé des éléments pop et rock, sans oublier les rappeurs tels que les Beastie Boys, Cypress Hill, NAS ou encore Snoop Dog et même Wiz Khalifa, qui se sont, de près ou de loin, intéressés au genre né à Kingston. Ne manquait plus que GPGDS pour y apporter sa touche folk.
GPGDS vient donc de sortir son sixième album, Make it better (après Bright Days et Steady), le 16 septembre dernier chez Rootfire Cooperative, structure qui a également publié Golden de The Movement et dont on vous avait parlé ici. Comme souligné plus haut, cette galette ne contient pas de pistes dub ; à la rigueur, ce qui pourrait s'en rapprocher le plus sont les quelques overdubs, échos et autres effets propres au genre développé par King Tubby et Lee Perry. Mais ces procédés sont tous très largement utilisés dans le reggae aujourd'hui et même ailleurs...
Make it better est d'inspiration roots, mais plus encore. En gros, c'est un peu comme si Bob Dylan ou Grateful Dead (l'une des grandes influences du groupe) avaient joué du reggae au cours des années soixante. Ceci est très aisément perceptible sur le single de l'album, "Live and travel" ; l'introduction sonne clairement comme le fameux "Like a rolling stone" de celui qui écrira plus tard "Hurricane".
Le reggae de GPGDS est donc fait pour être écouté, à l'instar du clip, sur les routes interminables des Etats-Unis dans un pick-up ou dans un monospace, et non pas sur un sound system. En cela, il est une invitation au voyage, à l'évasion, à l'errance comme le déclare le bassiste du groupe, James Searl : "Conceptually, the album is the journey of the boy on the cover". (voir ici).
Voyage à travers l'Amérique avec un gros détour par la Jamaïque, bien sûr. Le one drop "Signs" avec sa batterie très Carlton Barrett et le rub-a-dub "Really true", dans lequel le chanteur adopte une posture lover's rock à la Gregory Isaacs, et "What kind of world" restent les plus proches du son yardie. On appréciera aussi énormément "Trouble deep" qui descend en droite ligne des premiers albums de la période Island Records de Bob Marley, lorsque les solos de guitare et les nappes de clavier étaient bien plus américains que jamaïcains. De plus, même si les cuivres épiques de "Gotta make a living" font irrémédiablement penser à Studio One, le skank et la guitare penchent plutôt vers le rock, celui interprété par les punks quand ils jouent du reggae, des Clash à Inner Terrestrials. Une ossature reggae recouverte d'une enveloppe charnelle rock & folk, tel pourrait se résumer ainsi l'esthétique musicale de GPGDS.
Car c'est bien un son 60's et 70's que GPGDS remet au goût du jour et ce n'est d'ailleurs pas innocemment qu'ils revendiquent un son "psychedelic roots". Nous en avons encore pour preuve le dynamique "Walk right talk right" qui nous replonge dans les grandes heures du funky music, celui de George Clinton. Et le titre "Greatest days" est très riche d'enseignements de ce point de vue-là : même si le skank est bel et bien présent, les guitares et les claviers préparent le terrain pour la dernière partie du morceau, dans laquelle les musiciens s'énervent sur un rockabilly bien symparthique. Quant à la dernière chanson, qui porte très bien son nom d'ailleurs, "Gone", elle permet, sur une douce note mélancolique, de conclure brillamment ce Make it better.
GPGDS nous a apporté la démonstration qu'il est encore possible de faire muter le reggae et de le diriger vers des contrées pour le moins inattendues et à contre-courant de ce qui se fait majoritairement aujourd'hui, où les styles digitaux et électroniques dominent très largement. Make it better n'est cependant pas un album concept complètement cérébral dans lequel les fans de reggae seraient totalement déstabilisés ; non, il s'agit plutôt d'une œuvre qui chercherait à faire se rencontrer deux publics différents mais unis par les liens indéfectibles de la musique.
TRACKLIST
1. Make It Better
2. Live And Travel
3. Signs
4. Really True
5. Walk Right Talk Right
6. What Kind Of World
7. Gotta Make A Living
8. Greatest Of Days
9. Trouble Deep
10. Gone