Télérama Dub Festival – Lyon (Transbordeur) – 10.11.2016

De passage à Lyon en ce jeudi 10 novembre, et plus précisément au Transbordeur, le Télérama Dub Festival, qu'on ne vous présente plus, est l'un des plus gros événements dub de l'Hexagone. Arrêtons-nous cependant sur deux particularités qui en font un rendez-vous atypique pour tout amateur de basses loud & heavy.

La première, c'est qu'il s'agit d'un festival itinérant. Tu rages parce que tu es marseillais et que le Dub Camp se trouve à mille lieues de chez toi ? Tu maudis le ciel, car, Strasbourgeois, les Dub Station ne se déroulent pas dans ta ville ? Aucun souci à te faire avec le Télérama Dub Festival, il existe forcément un endroit où aller skanker sans que tu traverses la France entière.

La seconde, c'est la proposition de créations originales. Entre Dubakill (déclinaison dub de Danakil), Kaly Live Dub meets Erik Truffaz ou Panda Dub Live Band, le Télérama Dub Festival se démarque en misant sur l'aspect innovant du dub. Tenter des expériences novatrices pour les artistes, faire des sauts dans l'inconnu en organisant la rencontre entre des univers différents.

Après avoir fait des haltes à Paris, Bordeaux ou encore La Rochelle, le Télérama Dub Festival s'est donc arrêté à Lyon le temps d'une soirée pour une programmation plus qu'alléchante : Lee Perry & Subatomic Sound, Manudigital, O.B.F vs Iration Steppas, Joe Pilgrim & The Ligerians meet Pilah, Dub Dynasty étaient les affiches principales de ce rendez-vous dub.

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A l'ouverture des portes, à 23h, les deux compères du High Budub Sound ont accueilli à coup de sélections reggae, dancehall ou dub les massives qui se pressaient dans le Club Transbo. En jouant, entre autres, le "Nicodemus" de Dubamine interprété par Blackout JA, dans lequel ce dernier déclare "the only good system is a sound system" ou encore le "Culture mi culture" d'O.B.F feat. Charlie P, le High Budub Sound a résumé ce qui attendait le public venu en masse. En effet, la soirée était sold out, prouvant ainsi l'intérêt grandissant pour le dub en France aujourd'hui.

Cependant, à titre de comparaison, les soirées Dub Echo qui se déroulent dans le même Transbordeur et dont la programmation est d'une qualité identique n'attirent pas autant de monde. Existe-t-il un effet Télérama ? La renommée du magazine culturel permet-elle de mobiliser des troupes plus nombreuses ? Le Télérama Dub Festival a imposé sa marque depuis 2003 et a accompagné l'émergence de la scène dub française, live ou sound system, aspect dont ne peuvent se prévaloir les autres soirées qui ont suivi le mouvement et qui ont pris le train en marche (même les Dub Station, pourtant des soirées de référence, ne datent "que" d'une petite dizaine d'années). Télérama a su prendre des risques pour promouvoir le dub en France et il en récolte les fruits aujourd'hui. L'année dernière, onze des douze dates se jouaient à guichets fermés.

Et bien que Frédéric Péguillan, le fondateur, directeur artistique et co-programmateur du festival, regrettait sur notre antenne le 14 octobre dernier (podcast de l'émission à retrouver ici) que les machines ont aujourd'hui pris le pas sur les instruments et que les groupes de live se font plus rares aujourd'hui (conséquence directe de l'appauvrissement de la culture et de la crise économique, faire venir un sound coûte en effet moins cher que des musiciens, ou tout simplement d'une tendance affirmée pour le sound, le débat reste ouvert), le Télérama Dub Festival a montré que le dub est encore protéiforme et se veut pluraliste. Des configurations multiples existent et quelques-unes étaient encore inédites avant cette quatorzième édition de l'événement.

Après le tour de chauffe opéré par High Budub Sound, les massives se sont alors dirigés vers la salle principale, la "O.B.F Arena", dans laquelle les célèbres murs orange du sound system français avaient pris position. Cependant, ce n'était pas sur cette sono que Lee Perry et son band, composé d'un machiniste, d'un saxophoniste et d'un percussionniste, se produisaient mais bel et bien sur le système de son du Transbordeur, tout comme Manudigital plus tard dans la soirée d'ailleurs.
Alors qu'il fête les quarante ans de son album mythique, Super Ape, The Upsetter nous a encore gratifiés de sa nonchalance et de son excentricité légendaires. Entre quelques étirements, deux bouffées de ganja et un verre de champagne (je pensais pourtant que les Jamaïcains étaient plus amateurs de rhum ; Lee Perry s'embourgeoiserait-il ?), le producteur illustre que, malgré ses 80 printemps, il est toujours aussi en forme et motivé sur scène. Il nous a renvoyés à l'âge d'or du reggae, les années soixante-dix, période pendant laquelle il a été l'artisan génial de morceaux et d'albums qui restent encore très influents et renommés aujourd'hui : "Sun is shining" ou "I Chase the devil" sont gravés dans toutes les mémoires et seront interprétés par Lee Perry.

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"Zion's blood" et "Dread Lion" issus du Super Ape retentiront également de même que le "Black ark vampire" produit justement avec le Subatomic Sound.
On regrettera cependant qu'il n'y ait pas eu de véritable band (guitare, basse, batterie) derrière Lee Perry ; je n'ai absolument rien contre les machines, mais la prestation de Lee Perry n'en est que meilleure lorsqu'il est accompagné d'un groupe de musiciens. Lee Perry a su développer un son propre, très mystique, et surtout inégalé dont la quintessence est exprimée dans le Heart of the Congos, mais cette atmosphère ne s'est pas ressentie durant ce concert. Ce fut un bon show de Lee Perry, mais non son meilleur.

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C'est alors qu'il fallait retourner dans le Club Transbo pour Joe Pilgrim & The Ligerians meet Pilah. Ceux qui nous suivent assidûment savent que l'on apprécie énormément le combo tourangeau tant pour ses productions discographiques que pour ce qu'il est capable d'offrir en live. Alors quand il est associé, sur le Télérama Dub Festival, avec le Lyonnais Pilah, du Dub Addict Sound System et de Kaly Live Dub, on dit banco !! Joe Pilgrim incarnant le "trait d'union" entre les deux parties (ainsi qu'il nous le confiait dans une interview que vous retrouverez très prochainement), c'est lui qui est à l'origine du projet. Projet soutenu par Frédéric Péguillan qui a donc décidé de programmer cette création jusqu'alors inédite car c'était effectivement la première fois qu'elle était défendue sur scène. Le concept est simple : Joe Pilgrim & The Ligerians jouent des morceaux de Intuitions et de The Good, the bad and the addict, l'album de Pilah, et ce dernier se charge, en tant qu'operator, de dubber les pistes en live.

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Il y a plusieurs façons d'interpréter ce concert : soit vous le voyez comme une résurgence de la grande époque du dub live made in France (le fait d'avoir l'un des musiciens de Kaly Live Dub renforce cette hypothèse) où les machines étaient mêlées aux instruments ou alors vous le prenez comme la rencontre entre le meilleur groupe de roots français et un activiste du dub, et non des moindres, et vous obtenez donc en quelque sorte un Intuitions in Dub en live.
Mais c'est encore plus compliqué que cela, puisque les morceaux ("Hard time", "Open the gate", "Blessing light", Forward brothers", "Go down the river", etc) sont des extended versions :  Joe Pilgrim, toujours aussi extatique et exalté, chante sur les versions avant qu'il ne se mette en retrait et que le bassiste des Ligerians ne s'avance sur scène lors de la séquence dub. A ce propos, la paire basse/batterie s'est montrée exceptionnelle ce soir-là, principalement sur les morceaux rockers. Et de la part de Pilah, c'est un déluge d'effets, d'échos, de reverb, etc, en particulier sur la guitare de Gabriel Bouillon.
Pour une première, ce fut une vraie réussite ; ne reste plus maintenant, espérons-le, qu'à pouvoir concrétiser le projet dans la durée.

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Pendant ce temps, dans la grande salle, la dynastie la plus célèbre du dub anglais, j'ai nommé Dub Dynasty qui réunit la famille Alpha & Omega et Alpha Steppa se produisait sur la sono d'O.B.F. Comme à l'accoutumée, le crew a envoyé un son stepper à l'anglaise le tout rythmé par une Christine Woodbridge à la basse.

Puis Manudigital a fait alors son apparition sur la scène dans une configuration quelque peu différente que celle qu'il a l'habitude d'utiliser sur sa tournée marathon. Conséquence de sa programmation au Télérama Dub Festival, il se devait de modifier son show. Il est toujours muni de son attirail de machines et autres claviers, mais l'écran vidéo a disparu ; il est remplacé par quelques écrans pixels verticaux. De plus, le beatmaker est accompagné par un batteur électronique et un clavier, alors qu'auparavant il était le seul musicien sur scène. Ce qui n'a pas changé, c'est le recours aux MCs, dont bien évidemment Bazil. Mais étaient aussi présents George Palmer, dont la voix bien trop édulcorée pour un concert aussi démesuré que celui de Manudigital a pu décevoir, et Greg, chanteur des Colocks.

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Et ce nouveau format fonctionne avec brio, c'est le moins que l'on puisse dire !! Manudigital peut maintenant plus se concentrer sur les grosses basses (c'est un euphémisme) qu'il envoie et peut-être un peu moins sur le beat, puisque le batteur s'en occupe. Le concert est toujours introduit en off par Joseph Cotton, lui-même chantant sur le prodigieux et dancefloor "Manudigital affair" en combinaison avec King Kong. Le remix stepper de "Politic man" de Soom T et le "We nah bow" riddim verront aussi se déchaîner le public, dont quelques membres n'hésiteront pas à monter sur scène, voire à carrément l'envahir !! Signe que la prestation de Manudigital a, une fois de plus, fait encore des heureux.

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Mais alors que la grande salle était pleine à craquer et au sein de laquelle il était compliqué (là aussi c'est un euphémisme) de circuler, c'est devant des massives peu nombreux que Poirier a diffusé son univers éclectique qui valait tout de même le détour. En effet, l'artiste jongle avec habileté entre hip-hop, reggae, jungle, dancehall, bref des styles aussi divers que variés, raison pour laquelle le producteur a été signé chez Ninja Tune, rien que ça !!
Le collectif Roots Raid, composé, entre autres, de Bongo Ben, le percussionniste des Ligerians qui effectuait donc un deuxième set ce soir-là, a ensuite succédé à Poirier. Suppléé par deux MCs, les deux machinistes ont joué leur roots et leur dub posés mais tout de même bien fringants avant que ne surgisse le missile dub de cette soirée.

C'est vers quatre heures du matin que les spectateurs lyonnais ont pu découvrir la création "officielle" du Télérama Dub Festival millésime 2016 : O.B.F vs Iration Steppas. Il ne s'agissait en aucun cas d'un clash, mais plutôt de la rencontre amicale entre les deux entités les plus homériques en termes de basses sur la sphère sound system européenne. Si vous cherchiez Rico à sa place habituelle de selecta auprès de son operator, ce n'est pas là que vous alliez le trouver mais plutôt sur scène. En effet, Rico et Mark Iration (accompagné de Dennis Rootical à la basse) étaient en position chacun derrière sa console pour un mix en live & direct.

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Le concept était novateur en soi puisque cela a permis d'observer les deux artistes dans une posture à travers laquelle on ne les voit que peu souvent. Plus habitués à faire de la sélection traditionnellement, c'est à des mix d'anthologie auxquels ils se sont livrés pour cette dernière heure de dubwise. Rico a par exemple remixé le "Kilimanjaro" d'Iration Steppas et réciproquement Mark Iration le "Leave it alone" d'O.B.F. Le Transbordeur était complètement survolté à l'écoute du dub irrationnel de Rico et de Mark Iration. Il n'y a aucun équivalent en Europe et l'on comprend pourquoi, selon les dires de Frédéric Péguillan (toujours dans notre émission du 14 octobre), O.B.F a réclamé Iration Steppas lorsque le Télérama Dub Festival a demandé à qui Rico voulait s'associer pour cette création. La musique des deux crew se complète et est finalement fusionnelle. Les massives ont pleinement apprécié le concept et en redemandaient encore et encore, jusqu'à ce que ne sonne le glas de cette soirée magique.

Un énorme BIG UP à tous les artistes et à toute l'équipe organisatrice du festival, Frédéric Péguillan & co !!

Crédits photos : Frédo Mat 



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