Vous serez tous d'accord pour dire que l'été est plutôt propice au farniente, au bronzage, à la baignade, aux festivals, aux soirées, etc... Ce n'est assurément pas la meilleure période de l'année pour sortir un album.
C'est pourtant le 29 juillet que Dub Realistic du groupe autrichien Dubblestandart a surgi dans les bacs. Vous vous doutez qu'on était bien trop occupé pour pouvoir en parler au moment opportun. Mais maintenant que l'hiver est bel et bien installé et qu'on ne peut plus mettre le nez dehors sans risquer de subir les assauts répétés du froid, on peut enfin tranquillement vous faire part de nos impressions concernant cet album.
Et quelles impressions !!
On avoue notre honte d'avoir passé sous silence jusqu'à présent ce Dub Realistic, mais également, par extension, les géniteurs de ce chef-d'œuvre, les quatre artistes de Dubblestandart. Ces derniers, qui n'en sont pourtant pas à leur coup d'essai, trimballent derrière eux un pedigree remarquable. Apparus à Vienne en 1988, en réaction à une esthétique musicale qu'ils considèrent comme ringarde et conservatrice (il est bien loin le temps où l'Autriche était à l'avant-garde en matière de musique), les Dubblestandart ont, à leur actif, déjà plusieurs albums, ont collaboré avec les plus grands (Marcia Griffiths, Mikey Dread, Ken Boothe...) et ont surtout backé Lee Perry, avec lequel ils ont d'ailleurs enregistré l'album Return from planet dub. Rien que ça !!
Le dub de Dubblestandart est en grande partie inspiré par celui d'Adrian Sherwood (le label On U Sound, Dub Syndicate, etc), c'est-à-dire un dub instrumental, esthétique qui fut portée à son paroxysme au tournant des années 2000 par la scène française (Zenzile, High Tone, Improvisators Dub...). Ainsi, le line-up de la formation se compose comme suit : Herb Pirker à la guitare, Paul Zasky à la basse, Ali Tersch à la batterie et Robbie East aux claviers et aux machines.
On évoquait plus haut les featurings vocaux dont Dubblestandart peut s'enorgueillir, mais il est d'autres aspects que nous devons absolument développer si l'on veut assimiler de manière plus approfondie la démarche de Dubblestandart.
En premier lieu, le sample. Le groupe viennois a en effet samplé les voix de deux artistes majeurs du XXème siècle (William S. Burroughs et David Lynch) qui ont, chacun, construit un univers complètement destructuré dans lequel le rêve, l'hallucination, c'est-à-dire une vision déformée de la réalité, occupent une place importante. Ce choix n'est pas anodin de la part du groupe viennois, car qu'est-ce que le dub sinon qu'un double d'un morceau initial ? La célèbre phrase de Mad Professor "Every song could be dubbed, you have to find the dub" est en fait précédée d'une réflexion tout aussi fondamentale : "Every object has a shadow, you have to find the shadow". Par conséquent, le dub est au reggae, ce qu'une ombre est à un objet ou ce que le rêve est à la réalité, à savoir une image biaisée, mais qui en conserve la même structure. Doctor Reggae & Mister Dub.
En second lieu, le remix, qui demeure la base du dub. Dubblestandart est devenu maître dans cet art en retravaillant quantités de morceaux dont les plus emblématiques restent, selon nous, parmi tant d'autres, le "Dem can't stop we from talk" d'Anthony B ou le "Chase the devil" de Lee Perry et Max Romeo.
Et c'est justement par deux remixes que s'ouvre et se referme le dernier opus en date de nos Autrichiens préférés. Là aussi, il ne s'agit pas d'heureux hasards. Vous conservez tous, bien sûr, dans un coin de votre tête le cultissime Blue Lines de Massive Attack, l'album qui a jeté un pavé dans la mare lors de sa parution en 1991, tant le chef-d'œuvre du crew de Bristol a renouvelé l'esthétique en matière de musique. Bien que les Clash ou les Beastie Boys, eux-mêmes nourris au dub, avaient innové quelques années plus tôt en mélangeant les genres, Massive Attack a posé les bases de la création musicale contemporaine ; la fusion, l'éclectisme en sont désormais les maîtres-mots. Major Lazer, l'un des collectifs les plus influents d'aujourd'hui, est l'héritier direct de Massive Attack.
C'est donc le "Safe from harm", lui-même basé sur "Stratus" de Billy Cobham, que Dubblestandart a remixé sur ce Dub Realistic ; Amanda Bauman remplace Shara Nalson au chant. Pas d'innovation notable avec ce titre, mais on n'en veut pas aux Autrichiens, Massive Attack avait placé la barre tellement haut sur "Safe from harm" avec ses scratches bien placés, ses nappes électro, ses effets innombrables, le flow quasi rap de 3D et surtout une ligne de basse si abyssale qu'il était vraiment difficile de se démarquer. On retiendra juste une ambiance plus lounge, et c'est déjà pas mal !
Non, là où ça commence à devenir très intéressant, c'est d'emblée sur la deuxième piste, "Arab dub". Nul besoin d'être anglophone ou expert en relations internationales pour comprendre où le groupe veut nous emmener. D'autant plus qu'on peut entendre un "international" au...vocoder, outil de modulation vocale que l'on pensait relegué aux oubliettes depuis que l'autotune a déferlé tel un raz-de-marée engloutissant tout sur son passage ces dernières années. Vocoder présent aussi sur "Welcome to Europe" et sur le titre éponyme de l'album, morceau à la croisée du "Wild wild dub" de Zenzile et le "Wir sind die roboter" de Kraftwerk. Les "dub realistic", "fantastic" de Dubblestandart font brillamment écho aux "automatische" et "mechanische" des Allemands. A vous de juger.
Kraftwerk, Massive Attack, Dubblestandart, quelle généalogie !! Nous avons cependant omis de mentionner un autre artiste faisant partie de la sphère d'influence de Dubblestandart, à savoir Jean-Michel Jarre. En effet, sur l'album Return from planet dub, les Autrichiens avaient repris le fameux "Oxygen part 4" avec justement Lee Perry et en samplant David Lynch. Les plages de synthé, nombreuses sur ce Dub Realistic et en particulier sur "Welcome to Europe", "Had to have his grass", "Harmonie als Ziel der Welt", sont irrémédiablement à mettre en parallèle avec celui qui est considéré comme l'un des pionniers des musiques électroniques en France.
Les inspirations rock ne sont pas en reste non plus sur cet album. Jouant le dub en live, tout comme l'école française, les Dubblestandart pratiquent une musique dans laquelle les guitares n'exécutent pas seulement les skanks, mais pratiquent également un son indus à la limite d'un autre groupe majeur de ces dernières décennies, Nine Inch Nails. "One by one" ou "South central voodoo" vont dans ce sens. Même la batterie d'Ali Tersch sonne froidement et brutalement avec une grosse accentuation sur le snare, à la manière de Scorn, le projet électro-indus de Mick Harris, ancien batteur du groupe de death metal, Napalm Death.
Et avant que Dub Realistic ne se termine par un "Sun is shining dub", on aura donc retenu que Dubblestandart conjugue à merveille les instruments classiques avec les machines. Le dub lourd et profond, parfois new age, du groupe, dans lequel une large place est accordée à l'expérimentation, entre en contradiction totale avec le son stepper et dancefloor ultra majoritaire et finalement très répétitif d'aujourd'hui. Il s'agit très probablement de la raison pour laquelle Dubblestandart est très peu, voire pas du tout (à l'exception forcément du Télérama Dub Festival et d'un titre diffusé sur notre antenne), plébiscité dans le monde du dub.
Sans vouloir jouer les redresseurs de torts de seconde zone, il était grand temps que l'on parle davantage de Dubblestandart sur La Grosse Radio !
TRACKLIST
1. Safe From Harm ft. Amanda Bauman
2. Arab Dub
3. Had To Have His Grass
4. Earthshaker
5. Welcome To Europe
6. Harmonie als Ziel Der Welt
7. More Human Than Human
8. Dub Realistic
9. Not Controlled By The Artist
10. South Central Voodoo
11. One by One (The Boat Stops)
12. Let It Flow ft. Tanice Morrison (DUB)
13. Safe From Harm ft. Amanda Bauman (DUB)
14. Sun Is Shining ft. AishaE (DUB)