C'est dans le cadre de la onzième édition des Paris Dub Session, le 21 janvier dernier, que nous avons eu l'occasion de rencontrer Ackboo.
Les remixes de son album Invincible étant sortis récemment, il fallait, par conséquent, absolument que nous puissions poser quelques questions au jeune dubmaker toulousain.
Peu de temps avant de faire skanker les massives sur la sono du BoomBoom Collective en compagnie du MC Ras Mykha, Ackboo a donc accepté de se confier à La Grosse Radio.
Il nous parle de l'éclectisme qui règne au sein d'Invincible, de quelques artistes qu'il respecte et admire sans oublier de nous dévoiler les orientations que prendra son prochain album.
Je tiens à souligner que quelques questions proviennent de Zopelartisto.
Bonjour Ackboo, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Peux-tu te présenter, pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?
Bonjour à toutes et à tous. Tout d'abord, je vous remercie pour cette interview, je suis content d'être en live & direct sur La Grosse Radio ; c'est un média qui me soutient beaucoup depuis quelques années, je suis donc très heureux de faire un entretien avec vous.
Sinon, pour me présenter, je fais de la musique, et plus particulièrement du dub, depuis maintenant un peu plus de dix ans. J'ai sorti mon premier vinyle, Bangladesh Dub, en 2009 ; c'est celui-ci qui a contribué à me faire connaître. Dès lors, les sound systems ont commencé à me contacter pour leur produire des sons. Puis, en 2013, j'ai publié mon premier album, Turn up the Amplifier, ce qui m'a amené à faire beaucoup de concerts et à vraiment vivre de la musique. Pour le moment, je profite, je m'éclate ; on verra combien de temps ça va durer.
Alors Invincible est-il un album de dub ?
Honnêtement, ça n'a aucune importance ! Mais je dois tout de même reconnaître que les fans de "Turn up the Amplifier", qui a été un gros hit de sound system, ont été un peu déstabilisés par les morceaux d'Invincible. Cependant, avec le recul et avec le temps, et surtout après m'avoir vu sur scène, ils ont compris qu'Invincible était finalement un album de dub. C'est vrai que sur le disque on retrouve une façade electro, d'autant plus que le mastering a été fait par Basalte Studio et je leur ai explicitement demandé de faire péter le son alors que celui sur Turn up the Amplifier avait une texture plus chaude du fait de son mastering en analogique. Mais en live, ça reste du dub.
Il faut également avoir à l'esprit que le dub est très protéiforme. Par exemple, Bisou, un producteur, a pu se faire lyncher sur Internet, parce que des auditeurs ont considéré que ce qu'il faisait n'était pas fidèle au genre. Stand High Patrol ou O.B.F ont subi aussi ce genre de critique. Et je reste persuadé que lorsque King Tubby a créé le dub, les puristes du reggae lui sont tombés dessus, parce qu'il supprimait les voix, qu'il augmentait la reverb, etc... Mais si King Tubby avait écouté ces gens-là, le dub n'existerait tout simplement pas aujourd'hui.
Finalement, je suis partisan des gens qui explorent, qui font des expériences, qui choquent peut-être, mais ce n'est pas grave, puisque l'essentiel est de se faire plaisir, tant que le message initial du dub n'est pas dévoyé et qu'il ne se dirige pas vers des thèmes liés au sexe, à la violence, aux drogues, etc.
Justement, est-ce que ta musique n'a pas plus à voir avec celle du dub live à la française qui, elle, mêlait quantité d'influences, qu'avec celle de la scène stepper plus traditionnelle ?
Je suis plutôt à cheval entre les deux, entre le sound system et le dub live. Techniquement parlant, c'est 100% dub live, mais pour le côté musical, c'est assez mitigé, puisque je ne fais vraiment du dub live que depuis cinq ans ; avant, je composais dans ma chambre et je produisais des dubplates pour les sound systems, qu'il s'agisse de Dawa Hi Fi, Lion Roots, Zion Gate, O.B.F ou encore Iration Steppas qui a joué mes sons pendant très longtemps. Par conséquent, je ne peux pas dire que je suis un artiste issu de la scène dub live, contrairement à Panda Dub ou Mahom, par exemple, qui ont directement débuté par du live.
Cependant, pour signer chez Hammerbass [label parisien sur lequel est sorti le premier album d'Ackboo, Turn up the Amplifier, NDLR], il faut absolument faire du live, c'est la condition requise, c'est ce qui m'a donc amené à développer cet aspect. Petit à petit, mes compos sont donc devenues plus electro.
On a l'impression de se replonger dans la musique de Kraftwerk ou de Giorgio Moroder en écoutant Invincible. Est-ce le cas ?
Je connais ce que font Kraftwerk et Giorgio Moroder mais ils ne font pas partie de mes influences.
Ce que je voulais dire par là, c'est plutôt le sentiment qu'un son vintage traverse l'album.
Le son vintage, il vient du fait que je suis accro au roots et aux gens qui l'ont secoué dans les 70's. J'aime beaucoup King Jammy, Scientist, Mad Professor. De la même manière, je trouve qu'Iration Steppas a mis de grosses claques à la scène roots : on ne peut pas rester insensible à la musique d'Iration Steppas, sachant qu'il est arrivé avec un son extrême ; soit tu détestes, parce que tu considères que ce n'est plus du dub, soit tu adores, parce qu'il arrive à se démarquer. J'ai aussi énormément de respect pour Stand High Patrol ou O.B.F, entre autres, car ils bousculent les codes. Tous ces gens qui renouvellent le style me plaisent beaucoup et c'est la raison pour laquelle je m'entends très bien avec Malone Rootikal ; on compose parfois ensemble, on écoute du roots tous les jours. Le roots est donc dans notre ADN, mais on essaye de le faire évoluer en fonction de notre environnement. Et finalement, on ne se pose pas la question de savoir, ainsi que Russ D de Disciples l'a affirmé dans une interview, si, lorsqu'on compose un morceau, Jah Shaka pourra le jouer en sound system. Moi, je me moque si Jah Shaka, avec tout le respect qui lui est dû, peut jouer ce que j'ai fait, l'essentiel est de se faire plaisir.
Parlons de "Celadon". Zopelartisto voulait savoir quel était le processus d'intégration de nouvelles sonorités dans ta musique, notamment à travers ce morceau.
J'aimerais ouvrir une petite parenthèse à propos de "Celadon", puisque le titre est à double interprétation. Zopelartisto a dit très justement que c'était une une porcelaine chinoise. Mais il s'agit aussi d'une couleur. En effet, quand j'écoute de la musique, je vois également des couleurs et des formes.
Quant au fait d'intégrer de nouvelles mélodies, c'est quelque chose qui m'a toujours plu. J'ai, dans mon studio, des sons qui ne verront peut-être jamais le jour mais qui ont ce genre de couleur.
En fait, il faut prendre le morceau de l'autre côté. Quand j'ai commencé à travailler sur Invincible, c'était à l'époque des attentats de Charlie Hebdo et j'avais déjà le concept de l'album avant qu'il n'existe ; c'est la première fois que ça m'arrivait. Parmi les instrus que j'avais déjà composées, je cherchais un son à envoyer à Brother Culture, puisqu'il est l'un des chanteurs les plus engagés que je connaisse. Je voulais qu'il soit le porte-drapeau du concept "on est invincible" : nous sommes les 99% de gens qui n'ont rien demandé et qui souffrent à cause des 1% restants. Si l'on prend conscience de la force que l'on représente, alors nous sommes invincibles. Il fallait donc un son qui figure comme un hymne et la mélodie sur "Invincible" s'y prêtait très bien. Sinon, ça a toujours été dans mes habitudes d'intégrer des sonorités venant d'ailleurs.
Qu'en est-il du clip avec Maïcee ?
Malheureusement, je pense qu'il ne sortira jamais. Nous n'avons jamais pu nous coordonner, Maïcee, le vidéaste et moi-même, à l'époque où l'on envisageait de le faire.
Linval Thompson et Horace Andy sont présents sur ton album. Avec quelles autres légendes jamaïcaines aimerais-tu travailler ?
Je n'ai pas vraiment d'idée, à part peut-être Eek-A-Mouse. En fait, maintenant je voudrais surtout travailler avec de vieux potes ou des gens peu connus plutôt qu'avec des artistes renommés. Sur les premiers albums, les featurings correspondaient à des rêves de gosse que j'ai pu réaliser. Mais si jamais, dans mes projets futurs, je crée une instru où il faudra absolument Johnny Osbourne, par exemple, alors ce serait un plaisir de pouvoir le faire.
Abordons un thème plus généraliste. Selon toi, l'émergence, ces dernières années, de producteurs tels que Diplo, Skrillex ou DJ Snake (qui font des instrus à la fois pour d'autres artistes mais aussi et surtout sous leur propre nom), a t-elle permis de remettre en avant le rôle de compositeur/producteur qui était tombé en désuétude. On retrouve cet aspect également dans le reggae aujourd'hui avec toi, Manudigital, Supa Mana, etc...
Non, je ne pense pas. Cela a toujours existé, qu'il s'agisse de King Tubby, Scientist, et même plus tard avec Massive Attack, par exemple, qui a travaillé avec Horace Andy. Le nom d'Horace Andy n'était pas forcément mis en avant. Il existe deux catégories de producteurs. D'une part, des personnes de l'ombre qui composent pour des chanteurs, dans le rap notamment : ils vont en quelque sorte, vendre leur travail, toucher les royalties et ne plus intervenir dans le processus de création. D'autre part, et cela se remarque surtout dans l'electro, des artistes qui font leurs prods et invitent ensuite des chanteurs : ces producteurs, par contre, vont davantage avoir leur mot à dire sur la création finale et être vraiment impliqués dans la démarche artistique.
Que penses-tu de Diplo et, par extension, de son projet Major Lazer ?
J'aime beaucoup ce qu'il fait, car il mélange la culture dancehall jamaïcaine avec toutes les influences electro et trap en vogue en ce moment. Le grand écart qu'il opère et ce qui en résulte sont tout simplement prodigieux. C'est hyper dansant, dans ses concerts tu retrouves toute l'ambiance jamaïcaine, notamment le twerk, qui est à la mode depuis quelques années aux Etats-Unis et en Europe, alors que ça fait quinze ans qu'on twerke en Jamaïque. Il a remis au goût du jour la richesse de la culture jamaïcaine (avec des artistes comme Ward 21 par exemple), mise de côté par les gros médias après l'âge d'or du reggae.
Tu viens de parler de trap à l'instant. En écoutes-tu, notamment via des gens comme Travis Scott, Young Thug, etc ?
Oui, j'en écoute et j'aime beaucoup. C'est quelque chose qui m'influence énormément en ce moment et je pense que mon troisième album sera là-dessus, sur l'afro-trap notamment. Par contre, en ce qui concerne les lyrics, je ne suis pas dedans du tout, je prends plutôt ça comme un divertissement, à la manière d'un polar. Les messages qui y sont inhérents (sexe, drogue, alcool...) ne me parlent pas trop. Mais si tu prends la musique, la rythmique et la puissance du son, je trouve ça hyper cool. Et finalement, en studio, tout ce que je compose depuis un certain temps, tend vers le trap.
Evoquons l'album de remix d'Invincible maintenant, qui est aussi éclectique que l'original. En est-il l'écho ?
Oui. Cet album de remix regroupe quelques-uns de mes potes et il s'avère que dans mon entourage, on ne retrouve pas uniquement des gens qui font du dub à 100%. C'est vrai que ces remixes font écho à l'album original en terme d'éclectisme, mais c'est plutôt une démarche inconsciente, puisque je fréquente des artistes de tous bords.
Peux-tu nous présenter Synaps Rider qui a remixé "Raise our voice" ?
A la base, c'est un graphiste, mais il fait aussi de la musique depuis plusieurs années. On s'est rencontré dans l'entreprise où j'allais imprimer mes flyers et mes affiches. On a gardé le contact et il a commencé à me faire écouter ses sons qui sont totalement electro, mais il aime beaucoup le dub. Je voulais qu'il soit sur l'album et je lui ai demandé de choisir un morceau à remixer. On sent bien toutes ses influences.
Quant à "Helping Hand", il a été revisité par RVDS dont fait partie Olo d'ODG. On retrouve RVDS sur l'album de Supa Mana, Double Trouble, sorti tout récemment chez Brigante Records. Que penses-tu de ce label qui est en train de jeter un pavé dans la mare au sein du reggae français ?
C'est un label qui est super frais, j'adore ce qu'ils font. Ce sont des gens indépendants, très carrés et qui savent bien travailler. Ils méritent d'avoir pignon sur rue, ça commence à arriver et j'espère que ça va continuer. Ce que j'aime aussi dans ce label, c'est tout le travail que fait Olo, l'un des fondateurs, avec Art-X, de Ondubground (ODG). C'est quelqu'un de très productif et de très talentueux, tant au niveau de la composition que de la production, c'est-à-dire qu'il mixe très bien les morceaux qu'il compose en les mettant en valeur. Il touche à tout, est intelligent et très ouvert d'esprit. Il s'occupe donc d'une partie des instrus d'Ondubground, il en a produit pour Biga*Ranx, de même qu'au sein de Brigante Records, si elles ne sont pas composées par lui, elles sont chapeautées par lui. Et enfin, il a son projet RVDS, qui est énorme. J'ai un très grand respect pour lui, d'autant plus qu'il était déjà là avec Ondubground, bien avant que je ne commence le dub. Mais malheureusement, il n'a pas encore la reconnaissance et le succès qu'il mérite, cependant ça devrait arriver, sachant qu'il participe à la tournée de Biga*Ranx.
Tu as également sorti les versions instrumentales d'Invincible...
En effet. Je sais très bien que je ne vais pas tout sortir en vinyle. Comme j'ai vraiment mis tout mon cœur à produire ces instrus, je trouvais que c'était dommage qu'elles ne soient pas disponibles uniquement pour les gens qui voulaient seulement écouter les parties instrumentales. C'est une manière de leur donner une vie. Du coup, je les ai mises pas cher sur mon Bandcamp.
Tu y as déjà répondu brièvement et indirectement plus haut, mais as-tu un album en prévision ?
Oui, j'espère qu'il arrivera fin 2017. Il sera un mélange de trap, reggae, dub, etc...
Toujours "Ready for War" ?
Plutôt ready for justice (rires) !
Un dernier mot pour La Grosse Radio ?
Merci de soutenir la musique indépendante et de donner un coup de pouce à tous les artistes qui n'ont pas accès aux medias classiques. Merci pour tout le soutien que vous m'avez apporté ces dernières années.
Merci à toi aussi Ackboo pour nous avoir accordé cet entretien !