KillaSoundYard – Les Bas Fonds

Lorsqu'on évoque le mot "libertaire" musicalement parlant, on pense irrémédiablement à punk. Mais on ne le dira jamais assez, punk et reggae ont toujours fait bon ménage. Que l'on se souvienne des productions dub ou reggae des Clash ("One more time", "Police & Thieves"), de Stiff Little Fingers ("Bloody Dub", "Mr Fire Coal Man") ou des Ruts ("Jah War"), les liens entre les deux scènes demeurent très étroits. Même en France, les Béru, Nuclear Device, La Souris Déglinguée, Ludwig Von 88 et autres Burning Heads font état de ce rapprochement artistique et, surtout, politique. Un punk croisé lors d'un festival reggae nous confiait d'ailleurs à ce propos : "Ce n'est pas la même musique, mais ce sont les mêmes revendications". Tout est dit.

Puis, au cours des années quatre-vingt-dix, la scène dub live française s'est fait l'héritière de cette tradition ; les High Tone, Zenzile, Kaly Live Dub citaient tout autant King Tubby que les Clash ou même les Beastie Boys (qui eux aussi oscillaient entre punk hardcore, hip/hop et reggae/dub) comme de grandes influences.

C'est dans cet esprit et ce contexte qu'il faut appréhender l'apparition du crew francilien qui nous intéresse aujourd'hui, KillaSoundYard, "fédéré autour de valeurs anticapitalistes et antifascistes" et composé de trois artistes : le MC Daman et les musiciens Kayaman et Drychus. Après avoir sorti un maxi vinyle et un album éponyme en 2015, KillaSoundYard présente son nouvel opus sous la forme d'un EP, Les Bas Fonds (c'est-à-dire souterrain ou underground), disponible depuis le 6 février dernier chez Root'Zik Production.

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Le LP KillaSoundYard contenait déjà les germes du son propre au groupe : c'était à la fois roots, electro, dub, digital... Et surtout, on pouvait remarquer des morceaux comme "Autonomous Zone", "Self Organised", "Social Earthquake" ou "No Border", le genre de titres qui auraient tout à fait pu figurer dans des albums de punk. Mais encore, il se trouve que le chanteur Daman est assez proche d'un certain K-Sänn Dub System et qu'ils ont sorti une galette ensemble en 2015, Weapon of Resistance, dans laquelle là aussi, le novice, avant écoute des titres "Power to the Workers" ou "Riot in Town" par exemple, pourrait se demander, à raison, s'il s'agit d'une production punk ou reggae. Et comme si ce n'était pas suffisant, Daman et K-Sänn ont aussi travaillé avec Conscious Youth (voir ici), eux aussi issus de la mouvance autonome et libertaire de Manchester et Bristol.

Bon, maintenant, j'espère que c'est clair pour tout le monde ! Dirigeons-nous maintenant vers Les Bas Fonds où se cache le KillaSoundYard.

Bien que l'on a évoqué la porosité entre la scène dub française et ses aînés du mouvement punk, KillaSoundYard, même s'il s'inspire de ces deux influences (musicalement ou de façon plus politisée), n'a rien d'un groupe de dub ni de de punk. Le combo francilien a plus à voir avec ces artistes reggae qui renouvellent le roots et plus particulièrement le rockers à leur façon, tels que Gentleman's Dub Club ou City Kay, ainsi que nous le confiait en interview (voir ici) Jay Ree, chanteur de ces derniers : "au final, d'une certaine manière notre structure est et sera toujours du roots, ce n'est que l'habillage qui évolue. On revient à ce que faisaient par exemple les Black Uhuru, qui étaient parmi les premiers à apporter des machines".

Ce n'est d'ailleurs pas anodin si le batteur de City Kay se retrouve sur la première piste, "Dub Night" : la rigueur du musicien en témoigne, la rythmique est propre et soignée sur ce rockers, voire quasi-parfaite, pendant qu'une mélodie plaisante au clavier et quelques notes de guitare renforcent l'efficacité du morceau. L'autre rockers du EP, "Freedom for Palestinians" (en combinaison avec Jacko de Jacko with Bambool), avec des effets à la Sly Dunbar certains, est lui aussi de bonne facture, très dancefloor, même si l'on regrette, une fois de plus, que les cuivres soient joués au synthé, tendance malheureusement très affirmée dans le reggae contemporain.
Quant à "State of Emergency", track également rockers, il s'oriente plus vers une esthétique dub stepper avec sa ligne de basse digitale et un intermède "technoïde" en milieu de morceau.

L'electro est encore très prégnant sur "KSY Section", un reggae digital porté par le flow de Daman, et sur le rub-a-dub "Mascarade", l'un des titres les plus aboutis des Bas Fonds et où la correspondance avec le son de City Kay n'en est que plus appréciable.

Grâce à son roots dynamique teinté d'une texture alliant instruments et machines, KillaSoundYard cherche à dépoussiérer le rockers à une époque où le rub-a-dub a clairement le vent en poupe et domine largement les productions reggae. On ne saurait que trop vous conseiller de prêter une attention toute particulière à leur EP.

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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